La critique de P. Leroy-Beaulieu ne va pas seulement porter sur le réformisme socialiste et coopératiste, mais aussi sur tous les projets visant à amender l’échange salarial. Le système de la participation aux bénéfices, préconisé par des économistes comme P. Rossi ou L. Faucher, en est une parfaite illustration. En distribuant aux salariés une prime sur les ventes de la production réalisée, la participation aux bénéfices remet en cause le mode d’organisation salariale qui suppose que le travailleur perçoit une rémunération en fonction de son travail et non aussi en raison de la réussite de l’entreprise industrielle dans laquelle il est employé ; ce mode de rémunération du travail va nécessairement, pour P. Leroy-Beaulieu, « contre le cours naturel des choses », car il introduit le salarié dans la gestion des activités productives alors que celles-ci doivent rester normalement sous la conduite et la responsabilité de l’entrepreneur. Il est en effet légitime tant des points de vue de l’efficacité que de la justice que ce dernier dirige seul la production dans la mesure où il engage à ses « risques et périls » ses capitaux 1492 . Le salariat permet ainsi une répartition équitable des fonctions économiques dans la production : le salarié parce que sa responsabilité ne dépasse pas la tâche productive qui lui est confiée par l’entrepreneur est rémunéré suivant le produit de son propre travail. Or, le système de la participation aux bénéfices ajoute au salaire une prime sur le résultat de la société à laquelle il appartient, proportionnant ainsi la rémunération du travailleur en fonction de la bonne ou mauvaise gestion de l’entrepreneur ; rémunération qui ne relève pas de la responsabilité du salarié et entrave par conséquent la liberté patronale 1493 . P. Leroy-Beaulieu emploie les mêmes présupposés pour sa critique de l’association coopérative ; remise en cause qu’il juge d’autant plus en droit de formuler car tous les projets de réforme sociale par l’association coopérative se sont jusqu’alors soldés par des échecs. Il trouve ainsi une confirmation pratique de son libéralisme économique ; loin de répondre au commandement de principes économiques artificiels, l’organisation économique suit les mécanismes de « lois naturelles » dont le salariat constitue un élément de base (1.1) 1494 . Ainsi, parce que l’échange salarial garantit une totale liberté individuelle, la subordination du capital au travail ne peut se réaliser que par une remise en cause des droits individuels. C’est pourquoi, l’association coopérative en règle générale se voit contrainte, à moins d’employer des moyens coercitifs, de réintroduire le salariat dans son organisation du travail (1.2) 1495 . Cette remise en cause du principe même de la coopération conduit inévitablement P. Leroy-Beaulieu à se porter en faux contre tout projet d’économie coopérative (1.3) 1496 .
P. Leroy-Beaulieu [1872, p. 175].
P. Leroy-Beaulieu [Ibid., p. 228].
« L’organisation du commerce et de l’industrie sera maintenue parce qu’elle est le produit non de l’arbitraire des hommes et des lois, mais de la nature des choses et de la nature humaine », P. Leroy-Beaulieu [Ibid., p. 286].
Les principales critiques sur la coopération sont développées dans la contribution « De la prétention de supprimer le salariat par les associations coopératives » en 1886 à L’Economiste Français et dans la double contribution « La coopération » à La Revue des Deux-Mondes, reprises et augmentées ensuite dans le Traité théorique et pratique d’économie politique, P. Leroy-Beaulieu [1886 ; 1896b, pp. 556-643].
La remise en cause de l’économie coopérative est adressée essentiellement au projet de C. Gide dans le Traité théorique et pratique d’économie politique, P. Leroy-Beaulieu [Ibid., pp. 588-597].