1.3) La libéralisation complète des formes collectives

Les pouvoirs publics prolongent le mouvement de libéralisation des formes collectives à l’œuvre depuis les années 1880. La loi du 1er avril 1898 donne la liberté d’association à la mutualité. Les sociétés de secours mutuels peuvent d’une part, se constituer sans autorisation administrative préalable, et d’autre part, intervenir pour des objets qu’elles se sont elles-mêmes fixés (maladie, accident, vieillesse, assurance-vie, etc.). En 1902, la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF) est créée ; reposant sur l’initiative individuelle, les sociétés de secours mutuels continueront de maintenir une opposition forte au principe de l’assurance obligatoire, en dépit du fait que les mesures de couverture des risques sociaux (retraite, maladie, etc.), relevant de la prévoyance privée, s’avèreront rapidement insuffisantes 1640 . La loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association achève la libéralisation des pratiques associatives, après celles obtenues sur l’association coopérative en 1867, sur l’association syndicale en 1884 et sur l’association mutuelle en 1898 1641 . La loi 1901, à la différence des précédentes lois associatives, ne permet pas de déterminer les activités que sous-tend l’association sans but lucratif, ni les règles d’organisation auxquelles les associés engagés pourraient se référer. Elle valide en ce sens moins la reconnaissance d’une forme associative déterminée qu’un ensemble de pratiques sociales relativement hétérogènes réunies par le législateur au sein d’un même cadre juridique. Enfin, la loi du 7 mars 1925 sur les Sociétés à Responsabilité Limitée (SARL) donne une liberté complète à la constitution des sociétés de capitaux en ne déterminant aucune limite inférieure au volume de capital de départ nécessaire à la formation de la société, et, en ne définissant aucune contrainte sur le nombre de personnes nécessaires et la répartition du capital de la société entre les sociétaires.

La loi 1901 termine le mouvement de libéralisation et de reconnaissance juridique des formes associatives débutant par la loi sur les coopératives en 1867, puis par la loi sur les syndicats en 1884 mettant fin à la loi Le Chapelier, et enfin, par la loi sur les sociétés de secours mutuel en 1898. Cette légitimation « éclatée » de l’association remet en cause le caractère « multifonctionnel » des associations qui les définissaient avant 1850 qui poursuivaient tout à la fois des objectifs économiques, politiques, sociaux, voire éducatifs. Aussi, l’idée d’association développée et étudiée ici se réfère-t-elle le plus souvent à l’association coopérative ; celle-ci représente en effet la filiation la plus évidente de l’associationnisme des années 1830-1848 car elle poursuit aussi des objectifs économiques, politiques et sociaux, et parce que sa nature économique la rapproche le plus des formes associatives de la première moitié du XIXe siècle.

Comment situer dans cette perspective la loi 1901 ? Elle développe une nouvelle liberté d’association que les précédentes lois n’avaient pas prise en compte, c’est-à-dire elle donne une liberté complète quant à l’objet de l’association qui peut-être politique, social, éducatif, etc. Aussi, l’association 1901 est limitée du point de vue de sa capacité de détention et d’acquisition des biens ; l’acquisition des biens n’est autorisée que si celle-ci est jugée nécessaire à la poursuite de l’action entreprise par l’association. La « peur de la mainmorte » et les motivations libérales des parlementaires expliquent cette faible capacité économique attribuée à l’association. Selon M.-T. Cheroutre, la promulgation de cette loi est indissociable du contexte politique qui prévaut en cette fin de XIXe siècle à la fois favorable au libéralisme économique et encore marqué par son anticorporatisme. L’association en effet ‘« étant donné son caractère désintéressé, ’ ‘’ ‘pouvait’ ‘’ ‘ bénéficie’ ‘’ ‘r’ ‘’ ‘ de dotations importantes et ’ ‘’ ‘acquérir’ ‘’ ‘ finalement un patrimoine considérable qui ’ ‘’ ‘aurait été’ ‘’ ‘ soustrait – puisque la durée de l’association’ ‘ est indéterminée – au mouvement économique et ainsi retranché de l’activité économique »’ 1642 . Néanmoins, en achevant le mouvement de libéralisation des formes associatives, et, en donnant à toute personne la liberté totale de constituer et d’adhérer aux associations de son choix, à l’instar de la loi sur les syndicats de 1884, la loi 1901 constitue une étape importante dans la reconnaissance de l’existence de corps intermédiaire entre l’Etat et la société civile.

Notes
1640.

B. Gibaud [1998, p. 151].

1641.

Il faudra compléter cette liste par la loi sur les Sociétés Coopératives de Production (SCOP) de 1917.

1642.

M.-T. Cheroutre1993, p. 53.