1) Les associations coopératives de consommation

M. Mauss marque d’emblée sa préférence pour la coopération dans la consommation. Elle est en effet de toutes les formes coopératives, celle qui pratiquement agit le plus dans le sens de l’intérêt général. L’association de production permet aux sociétaires une amélioration de leur rémunération individuelle par une augmentation de leurs salaires et la perception d’un dividende sur l’activité productive de la coopérative. L’association de crédit assure aux emprunteurs de bénéficier de crédits avantageux et ainsi de disposer de revenus individuels plus conséquents que dans les conditions de prêts capitalistes. Dans ces deux derniers cas, le principe coopératif vise à satisfaire l’intérêt particulier de l’associé. L’association de consommation, à l’inverse, par la réduction des prix des biens et l’équilibre de la production et de la consommation qu’elle garantit, est celle ‘« qui a le plus déplacé les axes économiques et juridiques, qui constitue le plus des réserves collectives et non individuelles, et rend le plus de services publics »’ 1679 . La production et le crédit peuvent faire l’œuvre d’une organisation coopérative mais doivent rester subordonnés aux objectifs des associés consommateurs. Aussi, M. Mauss, dans la tradition du socialisme associationniste, ne prête aucune fonction politique à la coopération ; l’association doit rester indépendante et ne viser aucune action politique 1680 . Elle relève simplement d’une forme particulière de l’action économique répondant à des objectifs économiques, politiques et moraux (1.1). Mais si M. Mauss a pu croire dans ses premiers écrits à l’émergence d’une organisation économique régie par le seul principe coopératif, il abandonne cette idée à la fois pour des raisons théoriques et pratiques (1.2). Il s’ensuit que l’organisation socialiste n’implique non pas la suppression des relations marchandes et de la monnaie mais leur mutuelle coexistence avec le principe coopératif (1.3).

Notes
1679.

Ainsi, M. Mauss ne croit pas le désintéressement des producteurs suffisamment élevé pour sacrifier leurs intérêts individuels, et « leurs intérêts de propriétaires en particulier », M. Mauss [1997 (1936), p. 758].

1680.

La transformation des propriétés individuelles en propriété collective reste un but politique mais atteint par l’action économique de la coopération. L’association coopérative socialiste se différencie ainsi des « coopératives rouges » adhérant à un parti politique, et des « coopératives jaunes » qui maintiennent une dépendance étroite entre patronat et ouvriers (M. Mauss [1997 (1904), pp. 142-145]). M. Mauss trouve d’ailleurs dans la coopération russe une preuve patente du nécessaire apolitisme du mouvement coopératif. Celle-ci connaît en effet dès les années 1890-1900, donc bien avant la révolution russe de 1917, une croissance importante provoquée par l’effondrement de l’organisation privée de la production et de la consommation. L’économie capitaliste en déclin et l’Etat faiblement développé, la coopération fut alors « le seul organe de vie, d’échange , de crédit, d’affaires » ; il resta « un mouvement économique à but social , à forme démocratique, isolé, à part », M. Mauss [1997 (1920b), pp. 289-290 ; p. 291]