2.1) L’éducation socialiste par la coopération

L’organisation économique socialiste ne peut, selon M. Mauss, s’établir que si elle recueille une approbation volontaire et générale à laquelle le développement coopératif doit idéalement conduire 1726 . A ce titre, les associations coopératives n’apportent pas simplement une aide économique au développement du socialisme mais aussi un appui moral, à la fois comme modèle d’organisation économique en démontrant sa supériorité productive sur les organisations capitalistes aujourd’hui dominantes, et, comme lieu d’apprentissage des devoirs sociaux nécessitant la subordination de l’intérêt individuel à l’intérêt collectif.

Il faut en premier lieu que les non-coopérateurs soient convaincus des avantages économiques apportés par les associations coopératives. Or, pour M. Mauss, l’efficacité productive coopérative reste conditionnée à une gestion rationnelle de ses activités internes ; la mise en place d’un service statistique regroupant l’ensemble des données des différentes coopératives apparaît sur ce point primordial pour une politique financière adaptée aux objectifs du socialisme 1727 . Mais le développement coopératif dépend avant tout de l’éducation propre des associés. M. Mauss distingue deux cas possibles. Dans les grandes coopératives d’abord où la fidélité des membres fait souvent défaut ; il suffit en effet que les prix du commerce baissent pour que diminuent les ventes des coopératives. Ce manque d’éducation empêche leur développement et les condamne à jouer une fonction supplétive transitoire à l’organisation commerciale ; c’est pourquoi, il faut apprendre aux coopérateurs « l’esprit coopératif », c’est-à-dire ‘« les convaincre que l’affaire est la leur, et son intérêt le leur »’. Dans les petites coopératives ensuite où d’une part, les gérants et les employés font souvent preuve de faibles compétences professionnelles, et d’autre part, les associés privilégient leurs intérêts particuliers sur l’intérêt collectif en ne reversant qu’une part infime de leurs bénéfices au fonds social de l’organisation et exigeant des prix de vente des produits trop bas. ‘« L’esprit de discipline et le respect des compétences » ’doivent ainsi être favorisés 1728 . A cette fin, M. Mauss propose de généraliser la pratique initiée par les Equitables Pionniers de Rochdale consistant à prélever une cotisation régulière sur les bénéfices afin de former un budget réservé à la politique éducative.

Une double conséquence découle des points précédents. La réalisation d’une pédagogie coopérative repose essentiellement sur les sacrifices auxquels voudront bien se soumettre les coopérateurs 1729 . Enfin, la transformation de l’organisation économique sera nécessairement progressive proportionnée pour partie aux résultats obtenus par la politique éducative. L’action coopérative vise en effet à opérer un changement des représentations individuelles aujourd’hui prévalentes, de façon à ce que « la démocratie sociale et industrielle » s’établisse par une‘ « action, claire, consciente des citoyens »’ 1730 . L’acquisition de la solidarité requise induit de fait la subordination de l’intérêt individuel à l’intérêt collectif ; celle-ci ne peut-être que graduelle, demandant un intervalle de temps minimal afin que chaque associé apprenne à se défaire de la « morale contractuelle » à laquelle reste attachée l’organisation économique contemporaine 1731 .

Notes
1726.

« Le socialisme ne triomphera que lorsqu’il sera le droit et aura la force matérielle et morale de la société avec lui. Il est essentiellement la doctrine des majorités agissantes », M. Mauss [Ibid., p. 528].

1727.

En vue d’une croissance prochaine de la coopération, il faut, souligne M. Mauss, « que nous renforcions nos méthodes, notre personnel, notre corps d’administrateurs ; que nous ayons en vue que nos procédés comptables, administratifs, sont bien faibles actuellement », M. Mauss [1997 (1920g), p. 331].

1728.

M. Mauss [1997 (1920h), pp. 332-333].

1729.

« C’est un principe important que de reconnaître que c’est le mouvement qui doit faire l’éducation de ses futurs dirigeants et doit faire pour cela les sacrifices nécessaires qu’il ne faut pas demander à ceux-ci ». Ainsi, le problème de l’éducation coopérative « ne peut être résolu que par un effort considérable d’éducation, fait par des militants qui soient à la fois des coopérateurs et des éducateurs », M. Mauss [1997 (1920c), p. 306 ; 1997 (1920f), p. 325].

1730.

M. Mauss [1997 (1924a), p. 561].

1731.

M. Mauss [1997 (1923-24), p. 148].