b – Le désintéressement au fondement de l’« esprit socialiste »

Le socialisme ne relève pas d’une organisation économique définie mais d’une croyance individuelle procédant d’une recherche « rationnelle d’un idéal » dont la nature repose essentiellement sur des valeurs désintéressées. Il s’oppose d’emblée aux fins individualistes en ce qu’il vise à transformer la propriété individuelle en propriété collective, et de fait à créer pour tous « une part plus fixe, plus grande, et plus belle de la vie sociale, esthétique et intellectuelle, morale et matérielle » 1739 . Il n’est en rien utopique en ce que d’une part, il résulte d’une démarche subjective rationnelle mettant à jour l’injustice sociale et l’inefficacité économique de l’économie capitaliste, et, permettant d’envisager les institutions sociales d’une perspective différente 1740  ; et d’autre part, il donne lieu à des réalisations pratiques entrant dans le domaine du ‘« possible, [de] l’immédiat, des choses qui peuvent entrer dans la loi »’ 1741 . La société anglaise représente à ce titre un modèle de socialisme pratique par son refus des théories idéalistes et non expérimentées, et, par son progressisme social 1742 . Le socialisme se fonde donc sur une croyance et une attitude critiques à l’égard de l’organisation économique capitaliste. Il rejette certaines des formes de la propriété, mais maintient la propriété individuelle qui reste ainsi commune autant au capitalisme qu’au socialisme. Il existe bien une opposition de fond entre ces deux principes d’organisation de l’économie, mais ils ne s’excluent pas dans la pratique même si dans la société contemporaine, constate M. Mauss, on tend ‘« vers une socialisation toujours plus grande d’un nombre toujours plus grand d’objets »’, car le droit de propriété aujourd’hui dominant, ‘« ayant été et étant encore normal, à toute chance de subsister tant que les hommes y croiront, même après que les régimes économiques qui le supposent auront cessé d’être les seuls »’ 1743 . Reposant sur une subordination volontaire de l’intérêt individuel à l’intérêt général, l’« esprit socialiste » ne se réduit pas non plus à un désintéressement pur.

Notes
1739.

M. Mauss [Ibid., p. 80].

1740.

L’« esprit socialiste », déclare M. Mauss, « est une disposition pour ainsi dire moléculaire de l’esprit qui fait qu’il voit sous certains angles les phénomènes sociaux », M. Mauss [Ibid., p. 80].

1741.

M. Mauss [1997 (1920i), p. 344].

1742.

« Sans idée préconçue, sans besoins de théorie, même avec une peur instinctive de toute théorie, le Britannique va pas à pas, coup après coup, sans arrêt. Mais le sens du social est chez lui également instinctif », M. Mauss [1997 (1920a), p. 255].

1743.

M. Mauss [Ibid., pp. 264-266].