2.3) Individualisme et socialisme

En fait, l’opposition entre capitalisme et socialisme présuppose l’antinomie de l’intérêt individuel et du désintéressement. La coopération socialiste vise en effet la substitution des mobiles d’action individualistes, intéressés, par la solidarité et le sacrifice 1744 . L’action coopérative se définit d’abord comme une action « dirigée dans l’intérêt de la collectivité » 1745 . Néanmoins, elle ne rejette pas complètement l’intérêt individuel comme le laisse supposer son acceptation de la propriété individuelle 1746 . Mais comment caractériser finalement à la fois l’échange économique qu’implique la coopération socialiste et le système moral qu’elle sous-tend ? La conclusion de l’« Essai sur le don » nous apporte sur ces deux questions des informations précieuses 1747 . Elle permet de montrer que si la « morale contractuelle » et l’intérêt individuel dans l’échange économique prévalent dans la société contemporaine, une morale plus ancienne fondée sur une « économie de l’échange-don » a précédé celle-ci et tend aujourd’hui à resurgir au travers des pratiques sociales (a) 1748 . Aussi, cette critique de l’individualisme de l’économie capitaliste ne conduit pas M. Mauss à opter pour le parti inverse, du désintéressement pur, mais pour une solution de compromis entremêlant intérêt individuel et désintéressement (b).

Notes
1744.

Réagissant à une intervention sur la définition du socialisme de M. A. Aftalion, M. Mauss demande : «  croyez-vous [de l’épargne et de la capitalisation] qu’à ces motifs d’autres motifs ne peuvent pas se substituer ? Et n’admettez-vous pas que la substitution de ces motifs soit précisément la raison d’être elle-même du socialisme ? », Bulletin de la Société française de Philosophie [1924, p. 10.] (repris dans M. Mauss [1969 (1924b)]).

1745.

Ou encore une nouvelle façon « de sentir la collectivité », M. Mauss [1997 (1899), p. 80 ; p. 78].

1746.

Voir M. Mauss [1997 (1920a), pp. 261-265 ; 1997 (1924a), pp. 541-544].

1747.

Les faits recueillis concernant l’étude sur le don, note M. Mauss, « n’éclairent pas seulement notre morale et n’aident pas seulement à diriger notre idéal ; de leur point de vue, on peut mieux analyser les faits économiques les plus généraux, et même cette analyse aide à entrevoir de meilleurs procédés de gestion applicables à nos sociétés », M. Mauss [1997 (1923-24), p. 265]. Sur l’« Essai sur le don », voir C. Levi-Strauss [1947], M. Salhins [1976 (1972)], J. Derrida [1991], M. Godelier [1996], B. Karsenti [1997], A. Caillé [1998].

1748.

M. Mauss [Ibid., p. 266].