2) L’égalité des conditions par l’« association des producteurs »

L’échange économique suppose donc un ensemble d’institutions sociales produits de conventions, explicites ou tacites, établies entre les membres de la société. Les règles de l’organisation économique relèvent par conséquent directement du champ de la répartition des richesses, en d’autres termes des valeurs auxquelles les producteurs décident de souscrire. Une double remise en cause de l’orthodoxie économique sous-tend la démarche d’E. Halévy : d’une part, l’économie n’est pas indépendante du cadre social dans lequel elle s’inscrit ; le choix des règles d’organisation économique reste conditionné aux normes sociales existantes dans une société donnée et dans une période donnée 1798  ; et d’autre part, les principes de distribution de la richesse ne répondent pas de « lois naturelles » mais des volontés individuelles. En fait, c’est la division classique entre production et répartition des richesses qu’E. Halévy bouleverse au travers de cette critique (2.1). Dans cette perspective, les producteurs se donnent les institutions sociales correspondant à leur idéal de la justice sociale ; l’échange économique en constitue une des formes possibles, l’« association des producteurs » une autre. Mais si la première repose sur un principe inégalitaire, du droit du plus fort, la seconde, à l’inverse, recherche à satisfaire le principe d’égalité des besoins (2.2). Il n’en reste pas moins que cette supériorité intrinsèque en termes de justice sociale d’une organisation économique de producteurs-associés sur le fonctionnement marchand de l’économie bute encore sur la « conception aristocratique » que les travailleurs se font de la société (2.3) 1799 .

Notes
1798.

« Nous constatons », souligne E. Halévy, « cependant que les besoins des individus, ressort nécessaire pour mettre en jeu le mécanisme de l’échange , sont variables selon les races, selon les climats, selon les nations, selon les individus. Il y a un certain degré de richesse passé lequel un individu pense qu’il ne vaut plus la peine de travailler, mais qu’il est temps de se retirer, comme on dit, « après fortune faite » : mais le niveau auquel l’individu considère qu’il doit parvenir pour avoir fait fortune n’est pas le même pour un financier français et pour un financier anglais, pour un financier anglais et un financier américain. Il y a un certain degré de pauvreté auquel l’individu refuse de se soumettre, un certain salaire au-dessous duquel un ouvrier refuse de travailler : mais ce niveau n’est pas le même pour un ouvrier chinois de San Francisco, pour un ouvrier juif de l’East-End de Londres, et pour un ouvrier anglo-saxon », E. Halévy [Ibid., p. 588].

1799.

E. Halévy [Ibid., p. 578].