Les saint-simoniens reprennent aux économistes classiques la distinction entre production et répartition des richesses. Il s’agit pour eux en effet d’étudier les relations qu’établissent, et du point de vue de la production, les producteurs, et du point de vue de la répartition, les producteurs et les consommateurs 1800 . Ils conservent donc une définition de l’économie politique très proche des auteurs classiques, mais ils s’en démarquent explicitement par leurs méthodes historique et sociale ; les principes de la production et de la répartition répondent à la fois de déterminants sociaux et historiques. Si E. Halévy suit d’emblée cet axe méthodologique initié par les saint-simoniens, il s’oppose à l’explication déterministe qu’ils proposent de l’évolution sociale. Leurs buts étaient non seulement de définir une nouvelle économie politique mais aussi de la rattacher à une philosophie de l’histoire, à une « nouvelle métaphysique » 1801 . Pour E. Halévy, les producteurs disposent d’une liberté complète quant au choix des institutions sociales qu’ils entendent développer. En somme, les règles de l’organisation économique contraignent leurs actions individuelles en même temps qu’elles en sont le produit.
Dans cette perspective, l’économie politique se définit comme la « science ayant pour objet la connaissance des phénomènes, et (si la nature de ces phénomènes le comporte, ce qui est discuté) la détermination des lois qui concernent la distribution des richesses, ainsi que leur production et leur consommation, en tant que ces phénomènes sont liés à celui de la distribution des richesses » 1802 . Cette définition comprend à la fois une réfutation des présupposés de l’orthodoxie économique et un nouveau programme économique. Il n’existe pas, d’une part, de « lois » de la production indépendantes de la répartition des richesses sur lesquelles les producteurs n’auraient aucun pouvoir et seraient contraints d’en suivre le mode d’organisation. En second lieu, la production, étant subordonnée à la répartition, dépend à la fois de facteurs économiques et non économiques. La tâche de l’économiste, d’autre part, consiste dès lors à étudier les différents modes de distribution des richesses, de la conception de la justice sociale qu’ils sous-tendent, et d’en exposer ensuite les conséquences au niveau de la production et de la consommation. E. Halévy va ainsi confronter au principe de l’échange économique le principe de l’« association des producteurs ».
E. Halévy [1938 (1908b), p. 73] et voir aussi 1ère partie, chap.1, § 2.2.
E. Halévy [Ibid., p. 73]. L’économie politique, souligne P. Enfantin, « puise tous ses éléments dans l’étude des faits généraux du passé : c’est la philosophie de l’histoire, ou mieux encore l’histoire philosophique de l’espèce humaine », P. Enfantin [1826i, p. 383].
La richesse comprend « tout ce qui est susceptible d’utilisation », E. Halévy [1992 (1926), pp. 261-264]. Cette définition qu’E. Halévy propose dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande fait suite à une première définition critiquée à la fois par Adolphe Landry et par François Simiand. E. Halévy caractérisait alors l’économie politique comme la « connaissance des phénomènes concernant la distribution des richesses » ; la détermination sociale de l’économie en est encore plus explicite, voir L. Frobert [Op. cit., pp. 179-180].