3) Le «  socialisme démocratique  » : un socialisme individualiste

Dans l’entrée « Socialisme » du Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande, le socialisme d’Etat est distingué du socialisme associationniste ; le premier compte pour réaliser la transformation de l’organisation économique ‘« sur l’action des pouvoirs publics et notamment de l’Etat »’, alors que le second, contre tout interventionnisme public, ‘« croit que la question sociale’ ‘ peut être résolue par la formation d’associations libres, où les contractants entrent et d’où ils sortent à leur gré »’ 1816 . Aussi, E. Halévy marque-t-il sa préférence pour le socialisme d’Etat mais sous sa forme démocratique 1817 . Ainsi, bien que reposant sur l’intervention de l’Etat, il suppose l’action concertée de groupements volontaires de producteurs au sein desquels est débattu le partage des richesses produites. Il ne croit pas en l’efficacité ni du coopératisme, comme nous le notions précédemment, ni dans la coopération de production 1818 . Le socialisme démocratique recherche donc l’émancipation individuelle à l’aide de moyens collectifs, en l’occurrence par l’action combinée de l’Etat et des intérêts individuels, mais sous la condition que cette gestion concertée publique et privée relève de l’initiative individuelle et non de la contrainte 1819 . Peut-on cependant réellement espérer l’émergence prochaine d’un socialisme démocratique ? Certains faits suffisamment significatifs conduisent E. Halévy à répondre par l’affirmative (3.1). Se dessine alors une économie associative relevant à la fois du socialisme et de l’individualisme (3.2).

Notes
1816.

Socialisme associationniste qu’il faut bien ici différencier du socialisme associationniste défini par C. Gide et C. Rist puisqu’il inclut le mutuellisme proudhonien, le collectivisme, le socialisme coopératif ou coopératisme contemporain et le communisme anarchiste, A. Lalande [1992 (1926), pp. 998-1001].

1817.

Il distingue en effet d’une part, le socialisme démocratique, comprenant le Chartisme, le socialisme de Louis Blanc, « le marxisme d’aujourd’hui » ; « il poursuit une fin politique : la démocratisation intégrale de l’Etat , afin que l’Etat, devenu l’émanation directe de la volonté populaire, soit en même temps, par une sorte de nécessité inhérente à son essence, le serviteur des intérêts populaires » ; et d’autre part, le socialisme aristocratique, incluant notamment F. Hegel, T. Carlyle, J. K. Rodbertus, A. Wagner ; ce socialisme n’est pas individualiste comme le précédent dans la mesure où « l’individu n’existe que pour la réalisation de fins idéales et impersonnelles, art, science, religion, dont l’Etat est l’incarnation […]. Ce « socialisme d’Etat » constitue une sorte de paternalisme bureaucratique où l’individu, dans l’aliénation de son libre arbitre, trouve la garantie de son bonheur matériel et moral », E. Halévy [1992 (1926), p. 1000]. Pour A. Schatz, le « socialisme d’Etat » correspond à l’« étatisme » et non au socialisme (voir 2nde partie, chap. 8).

1818.

La gestion de la production par des associations coopératives ouvrières lui semble risquée car il faut que « l’égoïsme même des ouvriers, groupés en corporations séparées, ne donnât pas naissance à des nouveaux vices d’organisation sociale , très analogues à ceux que l’on critique dans le régime actuel [capitaliste] », E. Halévy [1906, p. 576].

1819.

Rappelons que le socialisme suppose « qu’il est possible de remplacer la libre initiative des individus par l’action concertée de la collectivité dans la production et la répartition des richesses », E. Halévy [1974 (1948), p. 22].