CHAPITRE I - LA TERMINOLOGIE - CONTRIBUTIONS POUR UN ÉTAT DES LIEUX.

Les extraits présentés au début de cette partie introduisent des questions que pose la Terminologie comme discipline des sciences du langage et comme pratique sociale, professionnelle, culturelle et institutionnelle.

À l’entrée du troisième millénaire, l’Homme doit faire face à la fois à l’universalité de la communication et, paradoxalement en apparence, à la spécialisation accrue des connaissances.

La langue 2 , et toutes les formes de connaissance, sont le reflet de cette effervescence planétaire qui se définit par un développement ultrasonique des moyens de communication, par une révolution structurale à tous les niveaux de la société mondiale et, précisons-le également, par une action globalisante, planifiée, concernant les diverses sciences et disciplines appliquées assorties de leurs langues de communication. Et vraiment

‘Si tout donne à penser que la big science de demain s’exprimera internationalement au minimum dans quatre ou cinq langues, est-il vraiment hors de portée des francophones de rejoindre ce club, avec d’ailleurs, les hispanophones, les lusophones et un jour les arabophones qui, par leur poids démographique et le nombre d’États concernés, peuvent nourrir la même ambition ? (Cassen, 1990 : 207)’

En effet, mondialisation, globalisation et “popularisation” du savoir sont des phénomènes incontournables depuis la fin du XXe siècle.

La science évolue, sans doute, à pas de géants. La traditionnelle séparation entre science et technique s’efface pour laisser la place à un néo-terminisme assez éloquent : la Technologie, une dénomination pour l’alliance entre la science et la technique, la théorie et la pratique, dorénavant indissociables. La recherche et la technologie s’internationalisent, exigeant des efforts de communication efficaces et précis. Nous vivons, en effet, une écologie du savoir où tout est imbriqué et en rapport inter et multidisciplinaire.

La science s’enrichit sans cesse de faits nouveaux, matérialisés en nouveaux concepts, mis en langue et diffusés dans la communauté scientifique mais aussi en direction de publics divers. De plus en plus souvent, conséquence du développement scientifique, elle s’éparpille dans une multitude de termes dénommant des objets dont le découpage différent recouvre les mêmes ensembles de faits. Et cela va de soi! Elle semble confuse et incertaine, et les manques terminologiques apparaissent.

N’est-il pas vrai que le plus grand souci des savants est de posséder des terminologies bien cohérentes et conformes aux réseaux conceptuels qu’elles représentent ? C’est pourquoi l’avènement de la Terminologie, science des termes, est devenu indispensable au devenir des sciences dans le monde actuel. Elle existait d’abord comme une pratique car l’homme a toujours eu besoin, en conceptualisant le réel, de nommer les objets perçus ; et peu à peu elle a acquis le statut de discipline théorique. Nous le montrerons tout au long de ce travail. Nous verrons à quel point l’analyse d’un domaine du savoir est tributaire de la Terminologie et de ses méthodes.

D’aucuns suggèrent que c’est à la Terminologie qu’il appartient peut-être d’empêcher la “babelisation” du monde car elle place la science technologique au centre du problème des langues, en tant que visions du monde et discours sur le monde. La Terminologie est, par conséquent, dans tous ses aspects, au service de la société, voire des nations. Elle est à la fois un moyen au service de la politique linguistique des États et d’institutions diverses, un support de développement économique et technologique, un outil-clef pour l’accroissement des connaissances, et enfin un savoir et un savoir-faire simultanément tributaires et autonomes.

On peut dire avec certitude que la Terminologie est l’exemple d’un champ de connaissances moderne : interdisciplinaire, multidisciplinaire et transdisciplinaire. La Terminologie consiste globalement à étudier les réseaux conceptuels des discours spécialisés et de leur structuration en champs terminologiques. Ceux-ci sont composés de séries de termes, en vue de contribuer à améliorer leur fonctionnement en situation de communication, à des fins spécifiques. Il s’agit, en premier lieu de répondre à des besoins de conceptualisation et de dénomination. Les terminologies doivent être cohérentes pour permettre aux sujets du discours d’accomplir les processus de communication 3 dans les conditions souhaitables d’efficacité discursive. C’est pourquoi la Terminologie est à la disposition non seulement des spécialistes, toujours soucieux de terminologies fiables, mais aussi de toutes sortes d’utilisateurs. Les besoins terminologiques répondent, stricto sensu, à des attentes sociales.

Les technologies ainsi que leurs métalangages constituent effectivement l’un des plus grands débats planétaires ; débats qui ont comme but l’internationalisation du savoir et de la société par la mise en route de vastes programmes de communication et la création des moyens nécessaires à la production orientée vers la qualité et la diffusion des connaissances. Cela n’est possible qu’à travers une langue vivante et productive. N’oublions pas que la langue, processus social, culturel et historique, est un véritable outil de communication, permettant la construction et la reconstruction de la vision du monde !

En effet, la langue, en tant que système, fonctionne et évolue pour répondre aux besoins de la société. Elle change malgré la présence constante des règles qu’on pose pour essayer de freiner son processus historique. En qualité de théorie des termes la Terminologie est liée aux questions de système et de métalangage et dans ce processus ses fonctions sont effectivement d’une part cognitives et linguistiques, et d’autre part historiques, sociales et technologiques.

Nous n’oublions pas d’envisager quelques considérations sur la Terminologie dont les aspects socio-économiques, politiques et institutionnels sont marquants. Elles nous aideront à comprendre son caractère bidimensionnel. Dans un premier temps nous porterons notre attention sur la Terminologie qui s’intéresse à la reconnaissance politique, culturelle, scientifique et linguistique des pays et de surcroît, à la valorisation des langages spécialisés nationaux comme moyens privilégiés de communication. C’est dans cette mesure qu’il est important de réfléchir à la problématique de la planification linguistique. Il s’agit des aspects qui ont trait, d’un côté, à la valorisation de la formation en Terminologie et au rôle des professionnels, et de l’autre, à l’idée sous-jacente d’une langue bien faite, dirigée par les critères de qualité, d’unification terminologique et de productivité orientée.

La Terminologie est aujourd’hui une question récurrente au sein des études linguistiques mais elle demeure également un outil précieux au service des plans d’aménagement linguistique des États. Cependant, beaucoup d’avancées concernant la Terminologie ont été réalisées, prenant le contre pied de ce que Loïc Depecker (1990 : 1), lors du Colloque sur la Terminologie Scientifique et Technique de Lisbonne, affirmait 

‘pas de politique linguistique sans loi linguistique. Pas de loi linguistique sans institution linguistique. Pas d’institution linguistique sans aménagement linguistique, aménagement linguistique pouvant être entendu comme l’ensemble des mesures qui permettent à une langue d’évoluer harmonieusement.’

L’étude des terminologies des langages spécialisés n’est pas simplement aujourd’hui une question de politique aménagiste. Elle a parcouru un long chemin évolutif.

Nous sommes donc amenés à conclure que la Terminologie est, de prime abord, le fruit précieux d’une révolution des mentalités et une conséquence de la place importante occupée par l’acquisition de connaissances spécifiques dans notre société post-industrielle. Mais ce qui nous importe, en tant que linguistes, est de la situer au sein de la problématique des enjeux politico-institutionnels et de mettre ainsi en évidence son rôle à la fois pratique et disciplinaire.

Notes
2.

Il nous semble intéressante la définition que A. Houaiss donne de langue : “ língua que, por sua tradição escrita, é capaz de lidar com qualquer temas de qualquer tempo e lugares, temas humanos ou divinos, científicos ou poéticos, particularistas ou universalistas, o que parece dar-lhe o direito a aspirar ao estatuto de língua de cultura de ponta” (HOUAISS, 1983 : 7). Il est en effet le cas de la langue dont nous parlerons tout au long de notre travail. Ainsi, on souligne également la définition de Quemada (1978 : 1152) : “Les langues de spécialités restent caractérisées par le fait qu’elles s’attachent à désigner des réalités et des notions non pratiquées dans l’usage général et dont le particularisme s’accuse avec la division du travail et l’hyperspécialisation de la connaissance”. Voir également les définitions, notamment, de ISO, de Boutin-Quesnel, de Kocourek, Lerat, Sager, Cabré.

3.

Nous entendons bien par là toutes les composantes nécessaires à la communication : la production , la diffusion et la représentation.