CHAPITRE II - LA SCIENCE : APPROCHES, PROBLÉMATIQUES ET ENJEUX

Dans la Préface du Dictionnaire de Termes Normalisés des Sciences et Techniques 52 , s’annonce la nouvelle triade épistémologique Science, Technique et Technologie:

‘Vous avez dit : “...des sciences et techniques”, mais la technologie, où est-elle?’

Ouvrons un dictionnaire de langue générale afin de comparer les définitions correspondantes : pour science, “ensemble de connaissances, d’études d’une valeur universelle, caractérisées par un objet et une méthode déterminés, et fondés sur des relations objectives vérifiables” ; pour technique, “ensemble des procédés ordonnés scientifiquement mis au point, qui sont employés à l’investigation et à la transformation de la nature” ; pour technologie, définition dérivée de son étymologie,”étude des techniques, des outils, des matériaux, des systèmes...” (on parle ainsi de la technologie des hyperfréquences d’un institut universitaire de technologie où des enseignements couvrant les génies des systèmes et le génie des procédés .

L’une des particularités principales des vocabulaires techniques est d’associer deux types de vocabulaires, l’un à caractère savant, l’autre de nature analytique. Un des fondateurs de l’école polytechnique, Gaspard Monge, père de la géométrie descriptive, voulait expressément que les sciences les plus abstraites développent des techniques. Quel est, en effet, la science qui ne s’appuie pas sur des techniques dont la mise au point est d’ailleurs scientifique ? Même les mathématiques y viennent. 53

À partir de ces définitions tirées du Robert, les auteurs se limitent à constater la difficulté d’interpréter les rapports entre science, technique et technologie. La fusion entre la Science et la Technique est néanmoins implicite 54 . Il en est de même en ce qui concerne la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Moins apparent est l’éclaircissement du mot technologie 55 qui, en vérité, n’est pas simplement un substitut du terme technique mais beaucoup plus que cela car il représente toute une révolution scientifique.

Aujourd’hui les sciences sont intimement liées aux activités industrielles 56 . À ce titre, elles relèvent du pouvoir politique et socio-économique, qui est le donneur d’ordre dans les choix des priorités scientifiques. C’est le cas, notamment de la Pollution (cf. II et III parties). Industrialisation et technologisation de la Science impliquent aussi une stratification 57 croissante de la communauté scientifique et donc plus de problèmes terminologiques à résoudre. En effet, la technologie et la Culture, désormais indissociables 58 , seront les éléments essentiels d’un seul et unique projet dont le rôle joué par la Terminologie s’avère déjà essentiel. Les enjeux ne sont donc plus du seul ressort de la philosophie ou d’une pédagogie de la connaissance. Ils sont bien présents et très concrets car

‘(...) depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, un cycle dynamique s’est constitué où la science, la technique, l’industrie et l’armement sont tout à tour fins et moyens sur l’horizon d’une cause planétaire à la puissance. La recherche est de plus en plus programmée par des instances économiques, militaires et administratives à qui le paradigme du calcul fournit d’utiles critères de décision. (STENGERS, 1987 : 117)’

Ainsi, la technologie nucléaire brésilienne a connu trois phases successives. Tout d’abord, dans l’immédiat après-guerre son développement fut marqué par une politique nationaliste ; la deuxième phase dans les années soixante, fut dominée par des préoccupations diplomatiques ; quant à la troisième à la fin des années soixante dix, elle s’inscrit nettement dans un projet de type mondialiste.

Le Brésil n’est pas un cas isolé, il s’intègre dans une réalité planétaire. Les différents états, tout au moins ceux qui ont les moyens et une tradition scientifique forte, accordent une grande importance aux activités de recherche car leur rayonnement planétaire en dépend. Tandis que pendant presque un demi-siècle la bataille pour la conquête de l’espace fut menée entre les U.S.A et l’ex U.R.S.S, l’Allemagne et le Japon s’imposent différemment en soumettant leur politique scientifique aux impératifs du développement économique.

La France, à son tour, a parcouru le XXes en s’inspirant du modèle américain. Sa politique scientifique fut surtout orientée vers les recherches spatiale 59 , nucléaire 60 , électronique et informatique, sans oublier la recherche médicale et biologique. C’est à elle que l’on doit une nouvelle conception de la science qui, en tant que partie prenante du politique et de l’économie, est façonnée par les rapports qui lient les hommes, les machines et la nature.

Dans notre société, les sciences sont un modèle de prestige. Elles acquièrent un statut régulateur et normatif du devenir de notre civilisation : « La science est revêtue d’un double prestige, parce qu’elle représente la connaissance et que nous sommes réputés chercher la vérité et non la gloire, les honneurs, le pouvoir ou l’argent (ARSAC,1993 :171) ». Il est certain que sans l’apport de l’activité scientifique l’Homme ne pourrait pas survivre. En tant que système de représentation et en tant que réalité culturelle et sociale, la Science se hausse au rang supérieur des savoirs et progresse par la combinatoire de trois éléments essentiels : le théorique, le sociologique et le pratique. La Science doit travailler avec des certitudes, elle se veut l’opposé des croyances. Ce sera cette sainte famille qui répondra tout aussi bien du progrès de la connaissance que du progrès social. De plus, sans connaissance il n’y a pas de société 61 . Bacon n’ affirmait-il pas que l’accumulation du savoir permettait la naissance de la méthode créatrice du progrès de la connaissance ?

Aujourd’hui, la “science ne ressemble plus à cette immense ambition de progrès des hommes qu’elle était au XVIIIe siècle” affirmait Pierre Calame. Mais le fait est qu’elle est intrinsèquement liée au progrès de la civilisation humaine. Différents auteurs attestent aujourd’hui unanimement l’existence d’une nouvelle image de la Science qui ne cesse de bouleverser notre façon de vivre, de penser, d’apprendre et de travailler.

Notes
52.

PAUL (S.) et al.- Dictionnaire de Termes Normalisés des Sciences et Techniques.- Paris : DGLF, 1993, 408 p. Ce dictionnaire fut élaboré par des scientifiques de renommée : Serge Paul (Sciences de la Terre et haut fonctionnaire de Terminologie), Patrick Aimedieu, Jacques Dubar, Eugène Pauli et Claude Videl (Sciences Physiques) ; Maurice Claire, Colette Deschamps et Michel Thireau (Sciences Biologiques). La Direction des Journaux Officiels se chargea des aspects matériels de son édition et la Délégation Générale de la Langue Française apporta son soutien financier, sans oublier le concours “aménagiste” des différentes commissions ministérielles de Terminologie.

53.

De même, ces auteurs trouvent nécessaire non pas un traitement des traditionnelles terminologies scientifiques qui, selon eux, “ne sont plus à faire et n’évoluent que lentement” mais plutôt un traitement urgent des terminologies techniques.

54.

D’ailleurs, selon Guespin (1991 : 72) : La vision qu’on a de la science et de la technique porte, quoi qu’on en ait, la marque de 2.500 ans de logos et de techné. Le logos, c’est à la fois le verbe, qui se fait chair dans la spéculation mystique, mais qui dès avant, dès Platon, désigne les idées, seule réalité dont les objets du monde ne sont que des reflets pâles et déformés, et c’est en même temps la science, toutes les sciences, la techné c’est l’artisanat, quelque chose d’assez proche de la servitude, quelque chose de vulgaire ; au mieux, c’est l’idée alourdie par l’épaisseur de la chair des choses concrètes.

55.

L’avènement du terme technologie, selon ces auteurs, est non seulement dû à l’importance et à la diffusion croissante de la “technologie anglo-américaine”, mais également à la banalisation du terme (qui envahit toute la société planétaire) ainsi qu’à la spécialisation et hiérarchisation de l’activité scientifique.

56.

Il est intéressant de faire, en synthèse, le point historique de la question : les premières rencontres entre les sciences et les techniques se sont produites à l’époque de Copernic ; néanmoins, le développement des techniques fut lent et souvent ralenti par le manque d’un appui théorique conséquent ; des liens forts se sont établis dès la fin du XVIIes en grande partie sous l’impulsion de l’industrie, notamment avec la machine à vapeur ; c’est au XIXes que le vrai mariage entre science et technique se fait car les sciences avaient comme fonction désormais d’améliorer les techniques (cf. notamment Bachelard, la question de la fusion entre science et techniques) ; la science étant elle-même un facteur essentiel de production. Les propos de Granger (1993 : 36) à ce sujet sont d’ailleurs assez pertinents : “ car c’est la science qui, d’abord, exige une réduction de ses objets à des schémas abstraits, théoriquement parfaitement substituables, et par exemple, en chimie, introduit la notion de corps pur. Pour pouvoir appliquer des connaissances établies par la science, les techniques doivent de plus en plus sélectionner leurs matériaux selon des normes strictes, codifier leurs procédures, régler leurs cycles d’exécution. Sans doute, encore, un moteur puissant de cette tendance est-il de nature économique, extrinsèque par conséquent aux considérations soit techniques, soit scientifiques : gagner du temps, produire toujours davantage...”

57.

Non seulement la science moderne est intrinsèquement liée à l’économie et au monde politique, de plus elle est une activité professionnalisée et bureaucratisée.

58.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler que si la connaissance est à la fois un produit culturel, social, économique et politique, elle dépend foncièrement des priorités de chaque époque. C’est pourquoi, la Science tout au long de son parcours évolutif s’est progressivement rapprochée des institutions des États et elle fait partie désormais de leurs programmes politiques. La science est devenue une activité institutionnalisée, soumise aux contraintes et aux intérêts budgétaires des États et à toute une multitude de plans d’aménagement (aménagement technologique, aménagement terminologique…). Quoi qu’il en soit la connaissance est devenue le noyau de la puissance économique et politico-militaire provoquant ainsi l’effacement de la distinction entre savoirs et leurs applications.

59.

La création du Centre National d’Études spatiales en 1961 suivi du lancement du premier satellite artificiel en 1965.

60.

La création du Centre National d’Exploitation des Océans en 1967 suivi en 1968 de l’explosion de la première bombe thermonucléaire.

61.

Au sens d’un ensemble organisé régit pas des normes et des comportements.