2.1 La science au Portugal

Aussi bien que la France le Portugal nous intéresse au plus haut point pour ce qui est de son évolution scientifique et de son état en terminologie scientifique. Ainsi, du fait d’un manque de modernisation de la recherche et d’un développement scientifique soutenu, la communauté scientifique portugaise est forcée, à l’heure actuelle, de se procurer les financements publics communautaires pour pouvoir intégrer pleinement l’espace scientifique européen ainsi que la communauté scientifique internationale. Cela étant, ces moyens financiers se dirigent vers des actions de création d’infrastructures et de ressources humaines. Le Portugal souffrait d’une certaine inertie notamment vis-à-vis du financement des projets et du recrutement de scientifiques par les institutions.

Il existe, cependant, un net développement des entreprises. Mais l’isolement social de la Science est encore trop évident. Y-a-t-il des échos de la présence de la recherche dans les entreprises portugaises ? Nous avons pu trouver quelques informations concluantes qui font état de quelques initiatives universitaires.

Le cas Portugal se présente, d’ailleurs, comme un paradoxe. Ce fut un pays de découvertes et de navigateurs mais sans susciter l’intérêt pour de nouveaux savoirs. La Science des découvertes fut vitaliste et empirique. C’était un savoir réglé par l’idéal de vérité objective et soumis à l’application immédiate. Mariano Gago (1991 : 19) désigna cela comme étant une tradition retouchée, c’est-à-dire, une adaptation créative et pratique pour répondre à des besoins de simplification, de rigueur et de rapidité : “ As novidades técnico-científicas do astrolábio náutico e da cartografia náutico-geográfica com escala das latitudes representam uma adaptação criativa do astrolábio plano e da carta portulano”.

En effet, pour l’histoire de la Science au Portugal, les Découvertes ne constituèrent pas une rupture épistémologique mais tout simplement une préservation opérationnelle et utile de la tradition. Celle-ci se centrait sur l’expérience immédiate du monde et donc de l’observation à l’œil nu. Certes, la critique scientifique était présente mais elle servait à l’élucidation, confrontation et renforcement du paradigme. Ce programme n’a pas contribué à la modification du cadre conceptuel. D’ailleurs, ce retard fut d’autant plus préjudiciable que la Science commençait à préconiser plus que l’observation, une réelle expérimentation 62 .

Quand nous faisons référence à la tradition nous la situons au niveau des apports théoriques et pratiques de la physique aristotélicienne, de l’astronomie 63 ptoloméique, de la médecine galénique 64 ainsi que d’une pharmacopée dioscoridéenne 65 , de l’histoire naturelle d’Aristote et de Pline, et finalement d’une anthropologie classique mêlée du christianisme de Saint Augustin et de Saint Thomas d’Aquin.

Si on se réfère progrès scientifique du Portugal au XIXes, on remarque que les programmes de recherche concernaient les questions agraires et médicales. Néanmoins, à la fin du siècle, le pays vivait des turbulences politiques depuis l’indépendance du Brésil et la révolution industrielle se faisait attendre. La Science n’était pas une des préoccupations majeures ce qui ne faisait qu’insister sur l’idée d’un pays en retard ; situation que selon le groupe littéraire du Cénacle était causée essentiellement par les Découvertes et l’Inquisition qui avaient plongé le Portugal dans une apathie du progrès et de la connaissance 66 .

Quant au XXe siècle, avec l’avènement de la République et par la suite, l’Estado Novo, les recherches vétérinaires et biologiques maritimes viennent accroître des nouveaux programmes scientifiques 67 . Pour ce qui est, par exemple, de la Chimie, malgré l’importance que lui conféra la réforme du ministre Marquis de Pombal, elle se développa peu. La première revue ne surgit qu’au début du siècle ainsi que la fondation de la Société Portugaise de Chimie. Les secteurs de la recherche, à proprement parlé, concernaient la chimie physique, mais surtout la thermodynamique, la spectroscopie, la photochimie, la chimie théorique et la cinétique. Mais la chimie organique et la chimie inorganique étaient presque inexistantes, se limitant à quelques recherches en Biochimie et en Biotechnologies qui lui accordaient un certain statut. Le retard en chimie organique freina le développement de l’industrie chimique. La Physique, à son tour, devint paradoxalement une section de la société portugaise de Chimie 68 . Le Portugal put, en quelque sorte, être à la page des recherches en Physique et Chimie, mais il ne joua pas un rôle novateur 69 . Néanmoins, les tentatives de développer les savoirs se produisent. Ainsi, les Sciences Humaines et Sociales telles que la Sociologie, l’Anthropologie et la Psychologie Sociale, malgré les pressions du régime salazariste, firent leur apparition, vers les années soixante.

Malgré la constance d’un enseignement scientifique universitaire, la recherche y fut longtemps très insuffisante. En effet, en 1929 la Junta de Educação Nacional fut créée pour établir, améliorer et financer les institutions de recherche et de vulgarisation de la Science. En 1952, elle devient autonome et fut renommée Instituto de Alta Cultura. Après la Révolution des Oeillets, l’Instituto se transforme en Instituto Nacional de Investigação Científica (INIC) 70 , comprenant à l’heure actuelle plus d’une centaine de centres de recherches. Avec ces moyens, la recherche se produit désormais en interface des associations avec les Universités 71 . Une grande majorité des chercheurs y travaillent et elles sont devenues le moyen le plus sûr de faire entrer les innovations scientifiques et de développer la recherche dans les nouveaux domaines du savoir. De même, en 1988, fut créée, à l’initiative de l’INIC, le Centre de Recherche Scientifique Interdisciplinaire avec l’aide des fonds européens et de la Banque Mondiale. Le Portugal essaye vraiment de se mettre au diapason européen 72 .

Avant 1977, la politique scientifique portugaise était presque inexistante. Cependant, les besoins spécifiques de la Physique et de la Chimie à des buts industriels peuvent lui accorder un début prometteur. Néanmoins, aujourd’hui, la réelle nécessité de l’interdisciplinarité et de la multidisciplinarité se voient par exemple au niveau d’Institutions telles que l’Instituto de Ciências Biomédicas Abel Salazar qui compte dans son personnel savant, des médecins mais aussi des biologues, des mathématiciens et des ingénieurs. Le nouvel esprit scientifique commence donc à être appliqué, notamment, dans le domaine de l’Écologie où la coordination au niveau institutionnel et au niveau universitaire devient très concrète. Ainsi nous retrouvons de la recherche et de l’enseignement scientifique dans maintes institutions telles que l’Université d’Évora 73 , l’Instituto Superior Técnico de Lisboa 74 , la Faculté des Sciences et Technologie de Lisboa 75 , dans les Centres de Recherches , dans les Universités de Aveiro et Coimbra 76 .

Le Portugal est sans doute dans la dynamique actuelle, certes avec un certain temps de retard, ce qui entraîne des problèmes à résoudre au niveau, notamment, des terminologies et de la terminodidactique. Pour mieux rendre visible le contexte décrit, il est intéressant de remarquer qu’au moment du discours inaugural du Colloque Science comme Culture, (1992 : 9) l’ancien Président de la République Mário Soares avait mis l’accent sur la volonté politique de valoriser le rôle de la recherche scientifique au profit du développement du Portugal

‘A ideia de realizar este Colóquio surgiu da vontade política de contribuir para a criação no nosso país, de uma consciência cada vez mais profunda, exigente e rigorosa do valor insubstituível da Ciência, no tempo presente, e do seu papel fundamental para a criação de uma nova mentalidade, imprescindível no lançamento de uma acção coerente e determinada, em favor do desenvolvimento de Portugal ’

Effectivement, les raisons de cette volonté sont intimement liées aux besoins d’une intégration pleine dans la communauté européenne, ainsi qu’à la ferme volonté de jouer un rôle important dans la mondialisation et dans la nouvelle approche de la connaissance.

Cela fait partie des nouvelles exigences de comportements rigoureux, innovateurs, modernes, ainsi que de la création d’une mentalité scientifique ouverte, tolérante et informée. De surcroît, ceci correspond également à des besoins précis. D’abord le Portugal se doit d’investir profondément et structurellement dans l’éducation, dans la formation et dans la recherche technologique. Finalement, il a besoin d’établir une culture scientifique conséquente. Au même titre que les enjeux qui dirigent le progrès scientifique en France, le Portugal a besoin de mettre en place une réflexion sur la Science, l’Éthique et le Droit, ou le rôle de la Science au service de l’homme. Plus que pour tout autre pays, scientifiquement connu, cela demeure le grand défi du Portugal et le seul moyen d’avoir une voix dans la nouvelle organisation planétaire de la connaissance et de la communication.

Notes
62.

À noter que si la première Académie des Sciences surgit en Angleterre en 1640, en France en 1665, au Portugal elle n’apparut qu’en 1779.

63.

Malheureusement, les écrits de D. João de Castro sur le magnétisme terrestre sont restés manuscrits.

64.

À noter l’œuvre de Garcia de Orta Colóquios dos Simples e Drogas e Coisas Medicinais da Índia, diffusée grâce à sa version en latin. Il y décrivait cinquante sept drogues et plantes médicales ainsi que quelques maladies et ses formes de traitement inconnues en Europe.

65.

Surtout sa logique classificatoire.

66.

À la fin du XIXe siècle, l’Europe demeurait le bastion de la connaissance scientifique. La science britannique dominait le monde. La France de la IIIe République était en convalescence pour cause des défaites militaire. Elle désirait néanmoins la conquête de la science par la raison mais elle manquait de savants de grande envergure. Seuls Poincaré et Jean Perrin s’imposaient au niveau mondial. Du côté germanophone, toute une dynamique scientifique était créée. La Hollande était reconnue par son vivier de physiciens très pointus. Les E.U.A avaient créé leurs premières universités, quelques sept cent ans après l’Europe, mais déjà se manifestait avec force l’émergence des sciences , même si elles n’étaient qu’une imitation de la pensée scientifique européenne.

67.

Le Centre Agronome National (EAN) fut créé en 1936. Celui de la Biologie Maritime (IBM) en 1950. Tout au long de ce siècle, d’autres laboratoires d’État apparurent régulièrement jusqu’à 1974 où ils subirent une profonde réorganisation.

68.

La Société portugaise de Chimie fut fondée en 1911 et la Physique y pénétra en 1915.

69.

On ne peut ne pas citer l’innovation scientifique liée à la neurologie. En effet, Egas Moniz a reçu le Prix Nobel scientifique en 1949 pour ses travaux en neurologie : sa méthode de psychocirurgie (l’angéographie cérébrale et la lobotomie pré-frontale).

70.

L’équivalent du CNRS français.

71.

Au début du siècle le Portugal comptait sur une seule Université : Coimbra. Pendant la première République furent créées les Université de Lisboa et de Porto. En 1973, surgirent les Universités Nouvelles de Minho, Aveiro et Évora. Depuis, la création d’universités, publics ou privées, se fait régulièrement. En revanche, l’enseignement polytechnique ne vit le jour qu’à partir des années quatre vingt.

72.

Fut également créée la Cité des Sciences et Technologies (dans l’esprit de la Villette) comme une façon de tisser des liens entre la recherche et l’industrie.

73.

Écologie humaine.

74.

Ingénierie chimique appliquée.

75.

Ingénierie de la qualité et ingénierie sanitaire.

76.

Recherches en systémique, phytosystématique, phytoécologie, écologie appliquée