2.2 L’histoire des cadres conceptuels et l’interdisciplinarité : éléments pour la compréhension du modèle de la Pollution

L’Homme a la capacité innée de penser de manière réflexive. Cette capacité est étroitement liée à la mémoire et au langage, ce qui lui permet de passer au-delà du monde sensible par le biais de la conceptualisation, qui exprime le désir de l’homme de comprendre, d’expliquer et de connaître. Ce sont les concepts qui rendent possible la représentation de la nature. Il y a deux sortes de connaissance : la connaissance empirique et la connaissance scientifique. La première précède la seconde qui est une construction intellectuelle et qui se met en place pour concilier les rapports nécessaires du monde réel avec la pensée afin d’exprimer une « vérité » 77 . Mais pour conduire ses raisonnements à la recherche de « vérités » l’Homme a besoin d’une méthode. Pour qu’il ait une recherche dans la perspective d’une connaissance il faut un problème, à partir de là pour que la connaissance scientifique soit une logique de découverte il faut tenir compte d’un certain nombre de présupposés qui dirigent l’esprit scientifique 78 , la méthode et l’expérience 79 .

Dans la perspective terminologique, l’intérêt porté aux questions de la définition de la science et de la méthodologie scientifique est fondamentale pour comprendre la construction du discours spécialisé ainsi que les instruments sémantico - pragmatico terminologiques du domaine de la pollution. Ainsi, la Science peut être interprétée non seulement comme un ensemble de terminologies organisées par des classements logiques 80 et un discours en permanente évolution mais également comme un ensemble de textes édités qui à son tour forme un ensemble de termes (cf. Baudet, 1991 : 84). De la sorte, la perspective pragmatique de la Science, de la communication scientifique et de son métalangage sont ainsi privilégiés. Par la mise en discours des sciences, l’Homme se construit sa propre image du monde 81 . C’est pourquoi, non plus la Science, mais les sciences sont appelées à produire des concepts, à former des paradigmes, des systèmes d’objets basés sur des principes d’objectivité, de rationalité, de vérisimilitude et plus récemment, à devenir une pratique sociale à part entière 82 . C’est dans cette perspective qu’elles échappent aux cloisonnements par les classements, et ceci malgré les diverses et séculaires tentatives. Dans les pages qui suivent on abordera les questions qui ont trait à la “vision internaliste” et à la “vision externaliste”  de la science. Pour cela on considérera les apports importants de Kuhn, Popper, Feyerabend et surtout Lakatos. En outre, nous considérerons la question des concepts en situation d’interdisciplinarité et de dynamique du savoir afin de mettre en évidence la logique de la découverte des programmes de recherche de l’écologie et de la pollution.

Notes
77.

Il peut avoir également démarcation de la science par des jeux d’opposition. Elle s’opposait, par exemple, à l’opinion. Pour Aristote, l’opinion appartenait au domaine de l’instable, elle était même un obstacle au progrès normal de la Science. La Science est ainsi conçue comme autonome, permettant la recherche de la vérité par la pratique scientifique.La science aristotélicienne était une ontologie qui s’appuyait sur l’éternel en pensant pouvoir atteindre la réalité. Tandis que celle-ci était séparée de la production et dissociait activité scientifique et activité calculatrice ; la science moderne est vue comme une construction humaine qui s’applique au changement dans le but de reconstruire une réalité. Elle devient la base de la production, fabrique des réalités par la fusion entre science et calcul. L’opinion touche l’immédiat, la Science touche l’universalité et se construit contre le sens commun (cf. Bachelard).

78.

La notion d’esprit scientifique prit tout au long du Moyen Âge une grande importance, en préparant, par surcroît, la grande révolution du XVIe et XVIIe siècles. Le Moyen Âge scolastique s’intéressait surtout à la grammaire, à la rhétorique et à la dialectique, en constituant de fait un pas épistémologique essentiel pour la pensée scientifique et terminologique à venir. Ces disciplines se consacraient essentiellement à prouver des vérités par le raisonnement (Saint Augustin préconisait la dialectique comme l’art des arts, la discipline des disciplines, seule capable de rendre la sagesse aux hommes), à construire des raisonnements sur les concepts ou sur ce qu’on appelait communément les idées générales. La notion de réalité était perçue comme fixe, obéissant à un ordre divin. Bachelard(cf. biographie) explique que l’esprit scientifique est l’esprit de la perception réputée exacte à l’abstraction heureusement inspirée par les objections de la raison dans une succession de périodes dont la dernière est celle du nouvel esprit scientifique, d’un modèle capable d’ordonner toutes les possibilités de l’expérience.

79.

En général, la méthode doit comporter quatre phases : l’observation (concordance entre les représentations élaborées et les théories établies), la conceptualisation (construction d’une représentation correcte du réel), organisation logique du modèle (mise en ordre), la vérification de l’hypothèse – les résultats soumis à l’expérience des faits, susciter des débats et conduire à des découvertes (depuis le XVIIIes l’hypothèse doit être exposée à la réfutation, pouvoir être falsifiée) (cf.2.2.2) . On remarque la combinatoire de méthodes proposées par Mill : les méthodes de la concordance, de la différence, des résidus, des concomitances ainsi que globalement le principe de confirmation. Pour lui, en effet, la méthode avait comme support la logique déductive. Celle-ci lui permettait de passer de la découverte à l’hypothèse et de celle-ci à la découverte. La Science devrait être rationnelle et susceptible d’être modéliser mathématiquement.

80.

La science est, sous l’angle de la Logique, un système de concepts clairement organisé. Elle est ainsi conçue comme un ensemble de pratiques, caractérisées par la créativité, l’imagination, la réfutabilité, l’action structurée de collectivités scientifiques. En définitive, la Science, ou plutôt les sciences, sont des ensembles de connaissances organisées, qui ont trait à des faits, à des phénomènes, à des lois, à des théories, sur la nature, la société et l’Homme.

81.

La Science permet l’accumulation du savoir car elle construit la mosaïque capable de dévoiler les mystères de la vie. Nous savons beaucoup plus sur notre planète aujourd’hui que les hommes du temps des Découvertes. Pour les plus sceptiques, nous ne savons pas plus mais, en revanche, nous avons plus de précisions. En effet, la Science représente un produit culturel et social. Elle est un ensemble structuré de concepts, de théories et de pratiques ; un ensemble de discours, produit d’un processus sémiotique ; un savoir transmis au long des temps par des textes ; un vecteur de connaissance par l’information et la communication et, finalement, le fondement premier de la société du troisième millénaire.

82.

Dans une perspective sémiotique, on constate que, dans son parcours évolutif, la Science est une partie intégrante et active du processus de production de culture. La Science n’est autre qu’un savoir dynamique mais ses “vérités” scientifiques relèvent de l’ordre du provisoire ou de l’incomplet.