De ces quelques préliminaires, il est déjà possible de tirer un enseignement important : le discours informel du chercheur fait partie du processus de communication scientifique. Et nous pouvons désormais aussi conclure que celui-ci, intégré à une communauté scientifique, possède trois compétences.
Tout d’abord, la compétence discursive, à caractère interdiscursif, lui permet de produire des énoncés (du discours) dans une formation discursive déterminée.
Ensuite, la compétence pragmatique, composée d’un système de règles, lui permet d’interpréter des énoncés dans divers contextes.
Enfin, la compétence communicative 263 qui est le fruit de l’expérience acquise dans des situations communicatives nouvelles.
En termes de discours, le langage a pour rôle de fabriquer des énoncés, représentatifs de la valeur du domaine et explicites du discours scientifique 264 . Tukia (1983) remarque que dans le discours scientifique parce qu’il est considéré comme un discours vrai, son contenu, ses références, ses auteurs font partie intégrante de l’univers de la science et de la sorte acceptés par la communauté scientifique.
Le discours est en fait le résultat d’opérations de cognition et d’opérations de langage, il est acte, action et usage. Il est un formidable moyen de production et de renouvellement des connaissances. Il nourrit le progrès scientifique par la présence dans chaque domaine des terminologies en réseaux 265 , par des formations discursives, bref, tout ce que l’écrit en tant qu’énonciation peut ériger.
Aussi faut-il tenir compte que le chercheur, en qualité d’énonciateur 266 spécialisé, s’appuie, d’abord et tout naturellement, sur une terminologie à caractère général. Elle constitue ce qu’on a l’habitude d’appeler les mots-étiquettes 267 qui sont censés permettre une plus grande précision du domaine.
Mais le discours scientifique ne se réduit pas à un ensemble de termes, il fonctionne intégralement comme la langue, dans un cadre sémantico-syntaxique et pragmatique spécifique 268 . De plus, il est défini par son champ d’application 269 . Dans les chapitres précédents nous l’avons d’ailleurs constaté. Le chercheur structure son discours à l’aide de différents niveaux : descriptif, méthodologique, épistémologique et de performance.
Le langage scientifique est un langage de détermination parce que, théoriquement, il préconise que les mots sont des références d’objets et de concepts et non point des signes :
‘Le nom scientifique doit faire référence à quelque chose, il ne sert à rien de parler de sa signification car elle n’intervient nulle part : il y a le nom, la chose ou le concept qu’il désigne et rien d’autre. (ARSAC, 1993 : 151)’Selon Arsac, les “mots sont comme des noms propres distinguant un objet ou un concept au milieu de tous les autres”(1993 : 145). Il faut convenir que dans beaucoup de domaines cela est évident et nous pourrons citer à titre d’exemple la terminologie chimique 270 ou celle de la pollution 271 . On pourrait, aussi, penser que les termes (ensemble dénomination/concept) sont indépendants des signes et suffiraient à tout dire sur un domaine donné. La réalité est toute autre.
Si on sait d’avance que la langue naturelle est constituée d’un double niveau (de détermination et d’ambiguïté), le langage scientifique n’échappe pas à cet état de fait 272 . Quoiqu’on dise, pour la seule raison que la société est de plus en plus une société de communication où le contrôle des limites de l’information et de la diffusion a du mal à se faire, le langage scientifique, réglé et réglémenté, ne peut plus échapper, malgré lui, à l’expérience des interprétations et des symbolismes langagiers.
Les concepts sont créés, on leur donne des dénominations nouvelles ou par emprunt ; puis ils se lient à d’autres concepts par des relations qui leur permettent de fonctionner en discours, intégrés dans des énoncés qui, à leur tour, entrent dans des réseaux qui évoluent et se transforment. C’est là que le langage joue son rôle opératoire et devient propriété commune d’un groupe.
Le langage scientifique se compose, en somme, d’un discours de la découverte et de la recherche, et d’un discours de la démonstration et de l’argumentation 273 .
En prenant comme exemple l’aphorisme de Wittgenstein “la signification d’un mot est son utilisation” on peut considérer les trois dimensions du langage : la syntaxique, la sémantique et la pragmatique. Le fonctionnement du langage scientifique s’y soumet. Il entre dans un processus de communication à plusieures étapes. Il est dépendant du fonctionnement de la communauté scientifique laquelle obéit à des réglementations terminologiques et éditologiques rigoureuses.
En s’appuyant sur le modèle de communication de Yakobson, T. Cabré relève l’importance du texte (discours, message) comme le sixième élèment de ce processus de communication. Celui-ci a pour fonction de fédérer les cinq éléments/fonctions 274 nécessaires à toute acte de communication, dans le but précis que le couple émetteur-récepteur soient en phase 275 . L’auteur souligne les particularités des échanges entre les interlocuteurs spécialisés
‘En la comunicación especializada, (...) se dan una serie de restricciones que limitan de entrada el alcance de cada uno de los elementos que intervienen en el acto comunicativo. En primer lugar, los interlocutores son especialistas, en mayor o menor grado, de una materia, y se comunican sabiendo que comparten en principio un determinado grado de información sobre el área de conocimiento en cuestión. En segundo lugar, el mundo de referencia de su comunicación se limita al campo propio de la especialidad, conceptualizado más formalmente que el mundo expresado por el lenguaje general. El sistema de comunicación que utilizan incluye el lenguaje general, del que extrae la sintaxis, la morfología y una parte del léxico, y el subcódigo propio de la especialidad, que incluye la terminología específica de esta área. Finalmente, el tipo de texto producido en la comunicación científico-técnica es fundamentalmente de tipo informativo y descriptivo, y la función predominante es la referencial de Yakobson.(1993 : 105)’Mais tout ce questionnement concerne les phases de production et de réception du discours spécialisé le plus règlé et conventionné. Le fait est, que d’autres variantes de ce même discours se mettent en place, lors de sa dissémination effective.
Quel est alors le bon procès ? En vérité, le chercheur “met au propre” ses notes en tenant compte de la terminologie et des formations discursives de son domaine. Plus tard ce discours remanié, reformulé et reécrit sera enfin soumis à l’évaluation des pairs 276 . Une fois le travail publié, une nouvelle étape de validation est effectuée par la communauté scientifique, dernière étape conditionnant l’insertion du document au sein du savoir reconnu. Il est, à ce moment-là, prêt à être diffusé par les moyens éditologiques mis à la disposition de la Science. Il appartient désormais au domaine public qui, lui aussi, le soumet à un nouvel processus de validation. Cette fois-ci il sera diffusé, enseigné et appliqué, et digne alors d’affirmer le paradigme et de le proposer à la critique. Nous sommes donc en présence des étapes d’un circuit de diffusion et de propagation du savoir scientifique à caractère centrifuge.
En conclusion, le discours spécialisé naît d’un noyau central vers des interfaces, à travers une suite de strates qui le mènent progressivement à la dissémination vers sa propre spécialité initiale, vers d’autres disciplines, vers des applications technologiques, vers la vulgarisation, voire même la banalisation 277 .
La compétence de communication est un concept développé, notamment, par Gumperz, Goffman et Hymes dans le domaine de l’ethnographie de la communication. Elle se focalise sur les fonctions du langage et elle intègre la compétence linguistique de Chomsky.
Ceci nous conduit tout droit à une définition de discours en tant qu’un ensemble d’énoncés faisant partie d’un champ discursif ou d’une même formation discursive, pouvant appartenir à une catégorie définie, déterminant du comportement et des objectifs d’une certaine catégorie d’énonciateurs/coénonciateurs. Le discours est, en fait, un lieu de représentations cognitives, comportementales et sociales.
Pour U. Eco il est une sorte de dictionnaire, les informaticiens le nomme réseau sémantique.
Pour Charaudeau, le sujet énonciateur est un actant de l’énonciation. Celle-ci est conçue comme un “acte de langage”, résultat d’une mise en scène dépendant d’un contrat de parole déterminé. Ce contrat repose sur l’appareil énonciatif, l’appareil argumentatif, narratif et rhétorique.
Qui sont attachés aux concepts, mettant ainsi l’accent sur la référence.
Au contraire, la thèse nominaliste préconisait l’élimination de la sémantique et de la syntaxe des termes théoriques.
Et là on peut le soupçonner d’intentionnalité.
Il suffit effectivement de quelques exemples, à savoir : dioxyde de carbone et monoxyde de carbone. Ils sont le produit d’une convention conceptuelle. Chacun de ces composés est répéré par ces termes en se distinguant par leurs propriétés.
Cf. Troisième Partie.
Les discours spécialisés sont contraints par l’ambiguïté, dont la polysémie, l’homonymie et la synonymie, car ils sont foncièrement dépendants de la fonctionnalité de la langue. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’ils mettent en scène des procédures d’élimination des marques de subjectivité.
Dans La Nouvelle Rhétorique. Traité de l’argumentation, C. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca attribuent des objets communs à tous les discours qui sont autant d’éléments essentiels à l’argumentation : les faits, les vérités, les présomptions, les valeurs, les hiérarchies et les lieux. Deux principes fondamentaux sont attribués au discours scientifique: le principe de technicité (importance de la conscience collective) et le principe de la corrigibilité (permettant aux faits d’intégrer des nouvelles perspectives). Ainsi le discours spécialisé, doit accomplir des objectifs d’objectivité, de logique, de neutralité, de socialisation (dans le sens de lieu public), nécessaires à sa reconnaissance universelle.
Émetteur, récepteur, référence, canal et code.
Nous n’oublierons pas que dans tout acte de communication, l’émetteur et le récepteur partent d’un ensemble de connaissances préalables à l’acte communicatif.
Il s’agit, d’abord, d’un processus d’auto-évaluation suivi par une évaluation des comités de lecture de, par exemple, une revue.
Cf. GALISSON (R.).- Recherches de lexicologie descriptive : la banalisation lexicale.- Paris : Nathan, 1978