CHAPITRE IV- LA COMMUNICATION SPÉCIALISÉE

On ne peut aborder la problématique de la communication spécialisée - stricto sensu - sans accorder une attention toute particulière à l’univers discursif des langages spécialisés. De cet examen préalable dépend, en effet, la mise en évidence du rôle-clef des éléments information, communication, ainsi que du système matriciel de textes spécialisés, aussi bien comme support de la théorisation terminologique que comme aide à la validation de la pertinence des applications.

Nous avions longuement étudié l’importance de la Science abordée comme un ensemble de discours, marqués par une histoire et par des paradigmes. Ces discours représentent des manières spécifiques de décrire, d’interpréter et de questionner sur des aspects de la réalité jugés opportuns. Nous avions également fait une part importante au courant éditologique qui, par ses apports, peut enrichir des langues malmenées au niveau scientifique donc terminologique. Ces langues, telle la langue portugaise, peuvent ainsi bénéficier d’un vaste programme de communication spécialisée. C’est dans cette mesure que l’éditologie peut favoriser également le versant glottopolitique. En associant l’Éditologie à la Terminologie, le terme ne cessera pas d’avoir le rôle essentiel dans la vie du discours scientifique. Cette confirmation peut être observée non seulement dans un contexte sémiotique mais aussi éditologique.

La terminologie, ensemble des termes d’un domaine, est partie intégrante d’un langage qui grandit dans un discours multiple, aux multiples reformulations et (re)connaissances. Ce serait à la Terminologie d’élargir l’objet de ses études. Il ne s’agit plus seulement d’une étude systématique des notions et des dénominations d’un domaine spécialisé mais il s’agit d’aller au-delà, et d’admettre l’existence de véritables réseaux terminologiques 307 fonctionnant dans un milieu socio-discursif mouvant.

Dans une telle perspective, l’étude du fonctionnement des discours dans les différentes situations communicatives exige beaucoup plus qu’une simple analyse de type lexicale.

Nous avons pu également constater qu’à elles seules, les propositions de classement des discours spécialisés et, particulièrement, du discours scientifique révèlent les enjeux sous-jacents que comportent ces discours. Pour ce qui est du discours scientifique nous pouvons considérer qu’il s’agit autant d’enjeux de type scientifique que pédagogique. De plus, le discours scientifique ne se limite pas à confirmer et à justifier des connaissances il en suggère de nouvelles.

Ces typologies se placent non seulement dans la perspective terminologique traditionnelle, surtout pour ce qui est de la distinction entre les discours spécialisés et les autres discours, mais également dans la perspective éditologique. Il faut souligner l’importance de délimiter des types de textes pour dégager les éléments de leur fonctionnement ainsi que leurs effets interactifs. C’est par et dans ce monde discursif à paramètres spéciaux que la Science manifeste son pouvoir dans toutes ses dimensions : un pouvoir dans la science, un pouvoir de la science, un pouvoir avec la science. Ces trois dimensions sont en réalité celles qui peuvent générer une théorie terminologique complète aux dimensions cognitive, de représentation et de communication. Si l’ISO traite des questions de normalisation des notions et des termes en fonctionnement dans les langages spécialisés, l’évolution vers une analyse discursive et textuelle semble déjà dégager quelques tendances vers l’harmonisation dans tous les secteurs de l’univers terminologique.

Une terminologie n’existe pas en dehors des langages spécialisés et elle répond à des finalités d’information et de communication.

Il est certain que les discours spécialisés tirent leur diversité et leur variabilité de la conviction forte qui les habitent et de la rigueur de leur construction. Beaucoup d’auteurs ont essayé de dénombrer plus ou moins exhaustivement les facteurs et les fonctions constitutives de leur processus de communication. D’aucuns distinguent trois fonctions, d’autres un nombre illimité. Bühler, par exemple, lui reconnaissait la triple fonction de représentation, d’appel et d’expression. Cependant, on peut conclure, de manière consensuelle, que les fonctions cognitive 308 , d’expression et de communication justifient son caractère communicationnel spécial (au niveaux sémantique, terminologique et formel) 309 , ainsi que sa distanciation vis-à-vis la communication générale. C’est de l’évolution même de la Science et de notre société “post-industrielle” que surgit l’idée d’une triple dimension, cognitive, linguistique et sociale de la Terminologie.

Pour des raisons géographiques mais également sociales, culturelles et fonctionnelles, chaque univers de discours spécialisé est soumis à la variation. Le langage des discours spécialisés (comme la langue elle-même dont il est issu) est soumis à des variations provoquées par les facteurs espace-géographique (variation topolectale) 310 , temps (variation chronolectale), stratification sociale et socioprofessionnelle (variations sociolectale et technolectale) et liés à des fonctions (variations horizontale et verticale). Ce sont ces dernières qui révèlent le mieux la délimitation et la distinction des domaines, fondées sur des thématiques, qui rendent compte, également, des niveaux de la spécialité et des types de discours, pris en fonction des destinataires de la communication.

Le discours scientifique, marqué dès l’origine par le contexte de communication (situation et condition), se voit en outre assujetti aux différents pouvoirs. Il intègre, dès sa diffusion, le monde de l’ Action. Au départ discours de la découverte, de la recherche du savoir, individuel, narratif, il atteint bientôt le stade de la manifestation, du faire-savoir social, à travers toute une hiérarchie de modalités complexes de forces de persuasion (pouvoir-faire-savoir, pouvoir-savoir-faire, pouvoir-faire-devoir, pouvoir-faire-vouloir). Il relève certes de la Théorie Générale de la Terminologie mais également, dans une perspective nouvelle et nécessaire, de la Théorie Communicative de la Terminologie 311 . Le discours scientifique est l’élément clé de la transmission de terminologies utiles à la communication spécialisée, directe et indirecte.

Le discours scientifique est ainsi construit à partir de savoirs instrumentaux, ayant pour base un ensemble de stratégies qui vont de l’énoncé jusqu’à l’accomplissement des tâches d’information et de communication. Mais informer de quoi et communiquer à qui ?

Tout ceci peut en effet mener à refuser le réductionnisme et l’uniformisation adoptée par une certaine Terminologie en faveur de la diversité et de la variation des discours spécialisés. Ainsi, un vaste programme communicatif, ouvert vers l’extérieur, rendra possible l’analyse du parcours des unités de connaissance qui sont en amont des unités terminologiques, pour devenir en aval, des unités de communication.

Notes
307.

Dans le sens de réseaux logiques, ontologiques, sémantico-syntaxiques, qui font référence à une réalité spécialisée.

308.

Qui se manifeste dès le moment où l’on veut procéder à des classements.

309.

Structure et caractéristiques du texte, spécificités des unités terminologiques, caractéristiques formelles du discours.

310.

Il s’agit en effet de deux grands types de variations : la variation diachronique et la variation synchronique. Cette dernière peut être encore diviser en : variétés diatopiques, diastratiques (très peu usitée en langage spécialisée) et diaphasique (de la communication pour les pairs à la communication grand public).

311.

Très liée à la théorie de la Communication. À noter les apports de la théorie systémique et constructiviste. Il est à signaler les théories concernant les S.I.C. de l’école de Palo Alto. On est en présence de concepts concernant l’émergence, la logique de l’action, les systèmes de régles et procédures pour la construction de la compréhension et de l’interprétation du monde ; en fait, il s’agit d’un ensemble de constructions sémiotiques de mondes spécifiques.