4.1 Du discours, de la rhétorique et de la communication

Toutes les sources s’accordent à reconnaître 312 une place prépondérante aux éléments émetteur (énonciateur, locuteur) et récepteur (coénonciateur, destinataire) du discours scientifique.

Que la Science soit tributaire d’un programme rhétorique 313 c’est également une idée qui prend place

‘A natureza retórica do discurso científico é definida pelo tipo de argumentos considerados válidos e mais válidos no seio do auditório relevante desse discurso. A identificação e a sistematização desses argumentos é o objectivo da retórica. (SANTOS, 1989 : 111)’

Étant donné que le discours scientifique est rhétorique par nature, la Rhétorique, dans sa réalité actuelle 314 , est essentielle à une réflexion sur les textes. En ces termes, la Rhétorique donne du discours scientifique un portrait pratique, où la communauté scientifique et la formation discursive à laquelle elle appartient, sont reconnues comme les composantes d’un programme à double volet : de recherche, d’abord, et de sa validation ensuite. Un domaine spécialisé peut de cette façon être défini comme un système textuel, soumis à une rhétorique spécifique.

La Rhétorique ainsi conçue, devient le dépositaire d’un ensemble de règles stratégiques et d’une méthode, ou plutôt d’un modèle de présentation discursive. Le langage y est utilisé comme une sorte de boîte à outils 315 , dont on apprend à se servir. Ils sont indéniablement nécessaires non seulement au programme de construction du discours scientifique mais également à son programme communicationnel.

Le discours scientifique qui est descriptif, explicatif, prescriptif, narratif, est donc, finalement, argumentatif, ouvert à la critique et à la créativité par la reformulation. En effet, ceci implique que la Rhétorique moderne soit une pragmatique dont le but premier est de persuader et convaincre 316 . Mais de quelle façon ? C’est là qu’interviennent les outils cités plus haut, logiques, linguistiques, voire stylistiques, modelés par son métalangage. Ceci permet une propédeutique des différents niveaux de l’écrit, scientifique et technologique et impose différents modèles rhétoriques.

La Science se compose, en effet, d’un langage de description qui est sensé décrire le réel et qui est producteur d’informations. Ces informations sont organisées, diffusées et échangées par l’intermédiaire du discours spécialisé. Celui-ci est non seulement un support de l’information mais en plus une forme de cohésion communicative et socioculturelle. C’est pourquoi le discours spécialisé ne peut être mieux décrit que par ces formules argumentatives, découlant à la fois de sa structure lexicale, et de ses combinatoires sémantico-syntaxiques. Si un discours crée des liens internes de type analogique, de coordination ou d’argumentativité, il en résulte dans tous les cas, au niveau externe, des liens tels qu’ inférences ou paraphrases. Ce sont ces dernières qui rendent possibles les rapports des énoncés entre eux, qu’ils appartiennent au même discours ou à un discours différent. Dans une étude sur le rôle de la paraphrase en discours, par exemple, C. Fuchs 317 avance l’idée que la rhétorique analyse la production des discours en situation.

Dans ce sens, des discours comme celui de l’Écologie ou de la Pollution, sont des structures à la fois descriptives et constructives. Ils s’identifient à partir de thèmes organisés de façon cohérente, permanente et rigoureuse, par la conjonction d’une structuration spécifique de concepts et objets, et d’un certain type d’énonciation.

Le langage de l’Écologie (incluant le corpus terminologique) est un système obtenu, dans cette perspective, par abstraction à partir d’actes (de discours) dirigés par des actions pragmatiques liées à la rationalité et aux finalités. Plus que le thème en soi, c’est son traitement qui devient important en diversifiant le débat scientifique, le développement historique du domaine et la réalisation du circuit de communication spécialisée.

Cette analyse concerne de très près la perspective socioterminologique (cf. thèse de F. Gaudin) et rejoint l’opinion de T. Cabré (1999 : 155-156) au sujet, notamment, des variétés stylistiques du discours spécialisé. Celles-ci sont conditionnées par les caractéristiques des situations de communication comme la thématique, les destinataires, les situations et les finalités communicatives. Ce sont ces caractéristiques qui déterminent le degré d’abstraction au cours de la présentation d’une thématique, qui déterminent aussi les structures syntaxiques et textuelles des productions discursives, ainsi que le style du discours et les moyens d’organisation du texte, bref, les éléments qui structurent finalement le discours scientifique.

La Rhétorique demeure le modèle suprême de la présentation d’une thèse et, par conséquent, elle s’attribue le rôle principal dans le programme du discours spécialisé. Se confond-elle avec lui ?

Pour toute argumentation il faut une stratégie et pour chaque discours spécialisé il convient de distinguer les secteurs argumentatifs appartenant à différentes communautés du savoir. N’oublions pas que si la Raison dirige la pensée scientifique, sa mise en discours fait désormais appel à d’autres éléments, considérés comme essentiels dans le corpus argumentatif, tels que l’émotion ou la passion intellectuelle. On rejoint par là la pensée aristotélicienne tout autant que celle d’A. Damasio.

Pour mieux comprendre l’importance acquise par cette nouvelle rhétorique, il nous suffira de procéder à un bref aperçu de son histoire.

La Rhétorique fut très importante dans l’Antiquité. Elle recouvrait un ensemble de disciplines vouées à la formation de l’orateur 318 et se pratiquait, notamment, dans les domaines du judiciaire et du politique (questions publiques et épidictiques). Au Moyen Âge, outre son importance pour le discours religieux, elle demeure une didactique orale de la philosophie (tradition scolastique). Avec la Renaissance elle regagne de l’importance et se voue plus profondément aux questions sur l’écrit, en privilégiant, par exemple, la littérature et le discours politique. Aujourd’hui, elle reste un modèle académique (conférences, panégyriques, etc.), judiciaire, politique, parénétique. Si on se tient aux paramètres lieux et situations de communication, la Rhétorique peut être classée en quatre types : rhétorique d’argumentation, de séduction, de confrontation et de pouvoir.

Ce bref aperçu fait ressortir la présence d’une Rhétorique construite autour d’une classification de styles et de modèles de discours ayant trait aux principes de dispositio et d’elocutio. Néanmoins, depuis Descartes, la Rhétorique a tendance à n’être plus qu’accessoire pour la Science. Quelques-unes des raisons qui justifient cet effacement sont dues à l’émergence de nouvelles valeurs, notamment la probabilité.

Cependant, avec l’avènement des techniques liées au marketing et à leur application par les médias, la Rhétorique relève la tête. De nouveau, Aristote 319 est d’actualité. Du coup, l’auditoire scientifique (ou groupe de personnes qu’on veut influencer avec une argumentation logique et structurée) est reprise en compte. L’énonciateur (orateur) 320 doit préalablement tenir compte des particularités de ses interlocuteurs afin de sélectionner les éléments rhétoriques et le plan de présentation 321 susceptibles de capter avec efficacité leur adhésion.

Se questionner sur la présence de la Rhétorique dans tout le processus de recherche dépasserait largement le cadre de notre sujet. Cependant, il est important de préciser que, parce que les pratiques scientifiques sont au centre des études sur la Science, et parce que la Pragmatique est devenue une discipline importante pour les recherches terminologiques, les questions de rhétorique sont à nouveau d’actualité. C’est popurquoi la Rhétorique est prise dans notre exposé comme un élément important et essentiel pour la présentation publique des résultats scientifiques et des connaissances qui en découlent.

Le domaine caractéristique d’un certain discours spécialisé est soumis à une triple contrainte : préserver sa liberté, se faire reconnaître et être diffusé à grande échelle.Aussi s’établit-il dans un monde qui oscille entre les conventions, les normalisations, les besoins de cohérence, de consensus et de flexibilité.

Si l’on considère que les questions épistémologiques se situent au niveau paradigmatique, les questions de rhétorique concernent plutôt le niveau syntagmatique, celui qui s’intéresse à la production, à la structuration et à l’évolution de tout discours. Mais il ne faut pas associer la rhétorique à une certaine idée d’opacité. Cette question va bien au-delà des raisonnements profanes, elle interroge toute une histoire sur le culte de l’abstraction française et du spéculatif (l’illusion de scientificité).

Puisque la Science communiquée est un “savoir argumentatif”, elle s’intègre dans un dispositif de médiation qui assure donc son existence, sa valorisation et rend possible son “expansion”. Elle est de la sorte sûre de pouvoir assurer les moyens de sa reconnaissance et l’affirmation de son paradigme.

Notes
312.

La Théorie de l’Information et de la Communication, la Sociologie de la Connaissance et la Linguistique, la Sémiotique ou bien la Pragmatique, dont la théorie de l’argumentation. En effet, dans la perspective pragmatique il est à signaler la théorie de l’argumentation de Perelman, la théorie de l’énonciation de Ducrot, la théorie du jeu de Quine (avec la mise en valeur du rôle joué par le contexte).

313.

Il existe même l’idée que la rhétorique de la Science est sa scientificité.

314.

Cf. Perelman (Ch), opus cit. À signaler également l’ouvrage de E. Eggs La Grammaire du discours argumentatif qui intègre dans l’argumentation les plans de la syntaxe et du texte. Cinq plans structurés autour du type d’activité (décrire, raconter, prescrire, expliquer, argumenter), du type de texte (rapport, dictionnaire, loi, manuel, articles...) et des éléments linguistiques y sont préconisés.

315.

Par exemple, les règles de reécriture qui concernent, notamment, les différentes manières de produire des définitions, sont utilisées, en effet, pour aider à la construction et à l’affirmation du sens.

316.

Cf. la Rhétorique d’argumentation.

317.

FUCHS (C.).- “La paraphrase entre la langue et le discours” in Langue Française, n°53, 1982, p 22-33. L’auteur défend également que la paraphrase est une activité de reformulation qui aide à la restitution du sens d’un discours produit.

318.

Les techniques d’enseignement se composaient, entre autres éléments importants, de l’inventio, du dispositio (le texte dont le modèle classique est composé de quatre parties : l’exorde, la narration, la confirmation - exposition des faits et argumentation- et l’épilogue), et l’ elocutio.

319.

Et notamment les principes argumentatifs très importantes de topoï généraux (appliqués au savoir en général) et les topoï spécifiques (appliqués à chaque domaine). Les faits, les vérités et les présomptions sont des notions attachées aux tópoi généraux et sont considérés comme les éléments reconnus par un auditoire universel. Les valeurs et les tópoi spécifiques sont les éléments que l’on reconnaît dans des auditoires spécifiques.

320.

On ne fera pas ici la distinction entre Oratoire (liée à la pratique) et Rhétorique (ensemble de principes théoriques de l’éloquence).

321.

Ce sont des éléments constitués par différents types d’arguments. Il y a, par exemple, les arguments d’inclusion partie-tout, de comparaison, d’analogie, pragmatiques, d’autorité, du degré, de l’ordre, de l’exemple, etc., qui visent, en fait, une présentation logique de la structure et des rapports des diverses réalités. Ainsi, chaque ensemble textuel (discours) est défini par le même type de règles.