4.2 Communication et Terminologie

Pour l’École de Palo Alto, il n’est pas possible de ne pas communiquer. La communication est une systémique qui implique des échanges et des interactions de systèmes (humains, sociaux, etc.). La communication spécialisée étant bien évidemment un système propre qui résulte de l’application des terminologies des domaines

‘(...) la terminología, que representa el coneixement, ha de servir bàsicament per transmettre’l, a través de la comunicació directa dels especialistes entre si o a través dels mediadors communicatius. En la comunicació directa, és evident que els especialistes usen necessáriament formes expressives variades en els seus missatges, per tal com coneixen implícitament els diferents registres del lenguatge. En la comunicació indirecta a través dels mediadors, és lògic que aquests intentin imitar el discurs natural del especialistes e, doncs, “adequar” l’expressió denominativa a cada circumstància discursiva. Amb aquesta adequació, una mateixa idea pot ser expressada de maneres diferents, emprant diversos recursos segons les circumstàncies. (CABRÉ, 1999 : 44)’

Alain Rey (1979) rejoint cette idée en affirmant que l’objet de la Terminologie réside en différents discours spécialisés régis par des règles strictes et qui, par là même, rendent possible la création d’autres discours seconds, dérivés des premiers.

Il apparaît que dans le cadre de la communication générale, la communication spécialisée présente des caractéristiques particulières : elle est impliquée dans le processus d’interaction communicative, dans la thématique traitée, dans les relations entre interlocuteurs (espace et temps) ; d’où découlent des spécificités relatives à la terminologie et aux types de textes produits.

La question qui se pose est alors Qu’est-ce que communiquer en langage spécialisé ?

C’est d’abord transmettre les résultats d’une recherche, ensuite les enseigner et en informer le public. En d’autres termes, il s’agit de construire des lieux de débats et de promouvoir les transferts d’information.

Nous pourrons, à nouveau, rappeler les registres de communication qui ont trait à cette distinction : la communication informelle, la communication institutionnelle et la communication publique 322 . Les deux derniers types de communication sont, pour le moment, les plus analysés dans les travaux à but terminologique et terminographique, ce qui ne semble pas fausser les données de l’analyse terminologique. Au contraire, et selon l’avis de Moirand

‘(...) toutes les études entreprises ces dernières années par des linguistes, sur les discours scientifiques, ont-elle confirmé, chacune à sa manière (Jacobi, Mortureux par exemple), ce que les travaux de sociologues de la connaissance remettent actuellement en cause, “l’opposition classique entre science et vulgarisation, entre logique de découverte et logique d’exposition, pour lui substituer un continuum : toute “découverte” exige d’être “reconnue”, c’est-à-dire, communiquée. Or communiquer veut dire que l’on mette en scène une “représentation” de soi et de ses travaux et que l’on tienne compte pour cela, jusque dans les désignations spécifiques au domaine (les paradigmes désignatifs qu’étudient Mortureux 1985 et Jacobi 1990), des “représentations” que l’on a des destinataires du texte. Ces représentations sont des connaissances ou les hypothèses sur leurs compétences, lorqu’il s’agit de faire (re)connaître ses travaux, ce sont aussi des hypothèses sur les positions qu’ils occupent et les pouvoirs qu’on leur prête sur le marché de la communication scientifique. (MOIRAND, 1990 : 59) ’

La communication scientifique se présente comme une sorte d’enchaînement d’activités de production, d’utilisation et de diffusion d’information, dont le but avéré est de rendre chaque système scientifique performant. La communication est comme une scène où la science en action et la science déjà faite ont les rôles titres.

L’information est de ce fait au centre de la diffusion de la connaissance scientifique. Nous avons compris que l’information peut également être d’ordre informelle, technologique, institutionnelle et publique. Cette diversité pose des problèmes d’analyse terminologique surtout en ce qui concerne les types de démarche terminologique à entreprendre dans chaque secteur d’activité. S’il y a lieu de favoriser le contexte où se développe la recherche, un effort équivalent doit faciliter une diffusion terminologique efficace.

En résumé, la communication scientifique fait partie du vaste programme de communication spécialisée 323 . Elle désigne trois grands ensembles d’activités.

La première activité concerne la recherche où les chercheurs échangent en amont des informations et des connaissances, dans un but de confrontation dans le cadre d’expertise, de vérification et de valorisation par le débat.

L’activité qui concerne la mise en forme des travaux, l’utilisation de systèmes d’information primaires et secondaires 324 en vue de la diffusion par la publication, constitue le deuxième ensemble. C’est au sein de ce système que nous verrons apparaître les sciences “les plus communicantes”.

Le troisième ensemble est constitué par l’ activité de débat qui concerne les enjeux scientifiques et sociaux très puissants, tels que le pouvoir et l’autorité.

La logique d’investigation et la logique d’exposition (Cf. Mortureux) sont de ce fait interactives, car le système de communication spécialisée est essentiel au fonctionnement interne des différents secteurs d’activité. Il intègre leurs propres enjeux sociaux et culturels. La communication scientifique puisque elle obéit, à l’évidence, à une double logique d’investigation et d’exposition, doit, pour exister, faire l’objet de publications. Ce sont ces publications 325 qui donnent une existence officielle aux domaines et à leurs chercheurs.

F. Gaudin (1993 : 155) avait remarqué, assez pertinemment, que la communication spécialisée est “une circulation textuelle intense et multiforme”. Nous retrouvons cette idée dans la perspective termino-édito 326 . Rappelons à ce propos, le contexte de cette méthode terminologique. Bénichoux, au moment où il parle d’éditologie, proposait un ensemble de conseils pour normaliser, par exemple, la rédaction d’ articles scientifiques. En cela il implique une formalisation quasi institutionnelle qui, en “régime autoritaire”, peut conduire au pire, en nuisant à l’innovation et à la circulation des nouvelles idées.

En revanche, Baudet donnait du terme éditologie un sens plus proche, en définitive, des idées qui suivent les fondements discursifs de la communication scientifique :

‘La science est évidemment un ensemble de textes, mais un ensemble de textes mis à la disposition de la communauté scientifique, c’est-à-dire, “édités”. La science n’est pas une abstraction, c’est un ensemble de bibliothèques, parfaitement concrètes et que l’on peut visiter.(Baudet, 1991 : 84)’

C’est en effet cette mise à disposition des divers publics qui nous pousse à considérer, à nouveau, les relations de la Science avec les formes institutionnelles du pouvoir.

Il suffira d’énumérer quelques cas. La communication scientifique, au XVIIes, encore tergiversante, se faisait exclusivement dans les Académies. L’Université ne jouait pas encore ce rôle. Mais déjà des voix 327 s’élevaient, faisant remarquer le besoin de publier la science, afin de rendre possible, à une plus grande échelle, les échanges entre scientifiques. Ceci favorisait l’émergence d’un public souvent passionné par la Science et qui ce faisant, n’aurait aucune peine à imposer son autorité.

Aujourd’hui, il faut ajouter les intérêts commerciaux ou institutionnels qui se présentent, qui sont devenus autant de moyens de diffusion et de régulation de la communication spécialisée.

Sans oublier, “last but not least”, le développement phénoménal de la vulgarisation à travers le journalisme et les médias en général.

La reconnaissance d’un secteur scientifique est désormais dépendant de la machine éditoriale. Les sciences qui communiquent le plus sont en vérité celles qui ont plus de tradition et dont le poids institutionnel est plus fort. Nous faisons notamment référence à la Physique ou plus récemment aux secteurs innovants de la Biologie. On pourrait même penser que c’est parce qu’elles communiquent le plus qu’elles évoluent également plus rapidement. La discussion, la critique raisonnée, les reformulations, les recadrements théoriques, méthodologiques et terminologiques se font avec et par la communication, qui est bien souvent de nature expositionnelle. La comunication contribue, en somme, au fonctionnement et à la construction des représentations du langage spécialisé, dans le sens de la production de connaissances nouvelles, et de leur diffusion.

À l’heure actuelle, la communication spécialisée, et en particulier, la communication scientifique, prend plus d’ampleur grâce, notamment, aux apports de la théorie de l’Information et de la Communication. Comme nous l’avons vu, ils permettent une circulation plus rapide des idées et des connaissances, et de surcroît, contribuent à ce que l’on pourrait désigner comme l’effet boule de neige : un progrès scientifique plus rapide et général. Le secteur d’étude de la Pollution, et surtout la zone concernant la Protection de l’Environnement en sont les exemples les plus frappants.

Ceci nous amène à considérer le dernier maillon du circuit scientifique : la vulgarisation 328 , qui joue, d’abord, un rôle de démocratisation du savoir, dans un monde qui exige une large communication spécialisée interdisciplinaire et transversale. Le propos de Gaudin (1993 : 133) nous semble ainsi pertinent : “Discuté, le terme recouvre tout ce qui concerne la mise à disposition d’un savoir qui soit en contact avec la recherche et qui ne relève pas de l’enseignement stricto sensu”.

La vulgarisation diffuse un ensemble de savoirs dans deux buts précis : informer et éduquer. Dans le contexte historique actuel, elle est le moyen de diffusion de la mémoire culturelle de la Science. L’auteur défend que la culture scientifique, ou technologique, sans mémoire culturelle, a du mal à exister (cf 1993 : 137). En fait, la Science existe, se développe et se diversifie au sein de milieux linguistiques et culturels divers.

D’un point de vue terminologique, la vulgarisation permet la circulation plus rapide des terminologies et, de surcroît, les mouvements de sens, contribuant à l’approfondissement des connaissances.

Notes
322.

La première est le maillon de la chaîne qui se produit au moment du travail de découverte. La deuxième concerne la première diffusion du savoir autour des axes de débat et de validation des résultats. C’est souvent celle-ci qui pose problème. Rappelons à ce propos l’existence des normes éthiques, structurelles et formelles pour la publication d’articles scientifiques de l’American Chemical Society, ou alors la profusion et la diversité des normes concernant la forme et le contenu d’écrits créatifs des divers secteurs de la connaissance. Cette forme d’institutionnalisation de la connaissance et, donc, de sa communication, poursuit au départ un but régulateur ; cependant ce système joue, parfois, un rôle de censeur et peut nuire au développement même de la connaissance scientifique. Rappelons-nous du cas de J.J. Waterson et son article sur la théorie moléculaire des gaz qui a été refusé par la revue Royal Society Journal. Joule et Maxwell purent de ce pas être reconnus comme des pionniers. La communication publique concerne la diffusion du savoir dans une finalité de reconnaissance sociale et institutionnelle.

323.

En réalité, la Terminologie compte pour beaucoup dans le processus de la communication spécialisée.

324.

Le chercheur est continuellement à l’affût d’information. Il se sert donc de différents systèmes d’information pour connaître les recherches en cours et pour diffuser sa propre recherche. L’information primaire concerne l’édition scientifique, l’information secondaire constitue le système qui traite de la collecte, du traitement et de la diffusion des outils de l’information primaire. C’est ici que le travail terminologique se fait entendre.

325.

Les publications servent à diffuser des résultats de recherche et servent à nourrir un système ouvert de connaissances dans la mesure où celles-ci peuvent être utilisées comme de nouvelles données de recherche.

326.

Pour ses auteurs, l’édition et la documentation sont les questions qui touchent de plus près le travail scientifique.

327.

Ce fut le cas, notamment, de Robert Boyle, physicien et chimiste irlandais (1627-1691).

328.

Très suggestives aussi les dénominations en anglais et en portugais : popularizing science et divulgar a ciência.