CHAPITRE V - À PROPOS DES MOYENS DE LA COMMUNICATION SPÉCIALISÉE

Nous venons de mettre en évidence que les discours spécialisés fonctionnent dans des univers discursifs éclectiques 340 . Cette diversité semble propre à la nature même de la communication spécialisée.

Il en découle que c’est l’ensemble des moyens utilisés par la communication spécialisée qui doit requérir toute notre attention. De quoi est constitué cet ensemble ?

Il possède manifestement deux supports : l’oral et l’ écrit. Mais il est évident qu’ils sont en interaction permanente dans le système de communication spécialisée, l’écrit, devenant le moyen privilégié de la transmission de connaissances.

Celui-ci est à la fois de nature matérielle, scientifique et linguistique, et a pour but de rendre concrète la circulation de l’information et de la connaissance. Il englobe tous des textes édités, systèmes d’unités communicationnelles, qui sont autant de discours.

Quant à l’oral, son rayonnement doit beaucoup à l’essor des conférences et des colloques depuis le XIXes. Dans ces “lieux” de la communication spécialisée, l’activité scientifique a été valorisée et validée, jouant ainsi un rôle prépondérant dans l’affirmation scientifique et institutionnelle des disciplines émergentes. Dotée désormais de ce caractère institutionnel, la communication scientifique contribua à la diffusion de certaines théories, de certaines pratiques et de leur reconnaissance sociale.

S’agissant du système écrit (plus ancien mais aussi plus réglementé et plus rigide) il faut observer que les écrits créatifs, collectés dans les Actes, Annales et Revues Spécialisées, sont les produits des exposés oraux. La littérature, dite grise 341 , ouvre donc la voie à la diversification et à la structuration de connaissances, et, de la sorte, à la circulation performante de l’information.

Pour illustrer ce processus “d’irrigation” à travers le réseau de communication spécialisée, nous faisons référence ici aux revues spécialisées 342 et à leurs articles scientifiques, aux mémoires, thèses, rapports, livres 343 . Si le développement des fonctions communicatives prend source dans la littérature grise, il se structure peu à peu en fonction des lieux, des thèmes et des cibles visées, pour cheminer de proche en proche du cognitif à l’informatif et au formatif. Ce qui revient à dire que sa destination est alors scientifique, spécialisée et généraliste.

Il en est ainsi de la revue scientifique. Elle révèle, en publiant des travaux, par le biais de textes, qu’elle poursuit bien des finalités à la fois cognitives, informatives et formatives. Une seule revue nous met en présence d’une matrice de textes particuliers : des articles de recherche, des articles de synthèse, des chroniques, des compte-rendus de recherches, des notes de lecture, etc. Les revues scientifiques étant faites par et pour les chercheurs, sont au coeur du débat scientifique aujourd’hui. Chaque discipline possède son type de revue qui doit répondre aux exigences scientifiques du secteur décrit. Mais depuis quand ce type de support tient-il un rôle si important ?

Très brièvement, on peut dire que la revue scientifique avait pris tout au long du XVIIIes, la place auparavant occupée par les récits de voyages 344 et la correspondance entre scientifiques. On peut considérer que l’augmentation du nombre de savants et l’ouverture mondiale y ont beaucoup contribué. Le succès de la revue scientifique tient donc au fait qu’elle est devenue un lieu de rencontre et de contrôle d’une Science collective, transformée et en permanente effervescence.

Si le XVIIIes compta en tout et pour tout une centaine de revues, au XXes ce nombre fut élevé à la puissance dix.

En nous penchant sur la typologie des discours, nous remarquons que les différents textes sont soumis à des règles spécifiques de Terminologie et d’ Éditologie parce que

‘Les critères qui servent à évaluer les textes spécialisés ne sont pas les mêmes que pour les textes généraux. Dans ceux-ci, l’expressivité, la variété et l’originalité sont plus importantes que d’autres caractéristiques. En revanche, les textes spécialisés sont caractérisés par la concision, la précision et l’adéquation.(CABRÉ, 1998 : 92). ’

Notons que, l’auteur, à propos du texte spécialisé, précise qu’il

‘doit être concis, dans la mesure où la concision réduit la possibilité que du bruit se produise dans l’information. Il doit aussi être précis, car le contexte technico-scientifique l’impose ainsi que les relations entre spécialistes. Le texte technique doit être enfin approprié et adéquat à la situation de comunication dans laquelle il est produit, de telle sorte que, selon les circonstances de chaque situation, il s’adapte aux caractéristiques des interlocuteurs et à leur niveau de connaissance du domaine, adaptant le degré de redondance selon le cas.(ibid : 92) ’

En fin de compte, avec le développement exponentiel des disciplines scientifiques, la communication spécialisée se perfectionne et se développe autant dans sa transmission orale 345 qu’écrite.

La communication spécialisée est surtout véhiculée par les moyens scripturaux 346 , locomotives de son existence. Il s’agit de toute évidence de l’ordre scriptural (Cf. Jacobi, 1984) concrétisé par une littérature spécialisée qui est restreinte et publique, informative et formative, constituante et non constituante. C’est par les différents types de textes que la Science peut dire, en quelque sorte, la même chose de manières différentes. Ainsi, la scripturation 347 permet au terminologue de connaître les schémas argumentatifs, et par là même les mouvements conceptuels et terminologiques d’un domaine. Il peut également mieux cerner, dans un état précis de son évolution, la structure conceptuelle et terminologique du domaine traité.

Nous emprunterons la conclusion de ce paragraphe à D. Jacobi qui qualifie d’essentielle la dimension scriptovisuelle de l’écrit scientifique en mettant en avant l’importance de la documentation pour tout travail terminologique

‘L’une des régularités les plus manifestes de la langue scientifique est la prédominance de l’ordre scriptural. C’est un lieu commun que de s’étonner (ou de s’inquiéter) de la croissance exponentielle des écrits à caractère scientifique et technique publiés dans le monde. La science s’inscrit pleinement dans ce qu’on peut considérer comme une civilisation du graphique, c’est-à-dire d’un savoir, de connaissances qui sont, dès leur naissance, marqués et influencés par l’écriture (JACOBI, 1984 : 41)’
Notes
340.

Ces derniers temps, plusieurs études sont consacrées à l’analyse comparative du Vocabulaire générale et du Vocabulaire Scientifique, et notamment aux questions du flou de leur distinction.

341.

Du “genre” notes de travail, rapports, thèses, etc. Elle constitue, en général, l’information nouvelle à l’état brute.

342.

Selon AFNOR, la revue scientifique est une publication en série, dotée d’un titre unique, dont les livraisons, généralement composées de plusieurs articles répertoriés dans un sommaire, se succèdent chronologiquement, à intervalles plus ou moins réguliers. Elle doit transmettre, en principe, des connaissances nouvelles.

343.

Qui servent à l’enseignement (manuels, traités, mementos, etc), à la vulgarisation et à l’argumentation par l’essaysme.

344.

Voyages très profitables, notamment, pour le classement géographique des plantes et l’avènement de disciplines comme la Sociologie des plantes.

345.

Plutôt des textes écrits pour être dits.

346.

Il s’agit des réalisations graphématiques du texte spécialisé en opposition aux réalisations phonématiques. Cf. les questions de l’omniprésence des reformulations, de l’altération (états d’équivalence) et d’altérité (états de différences). Cf. Langue Française, n° 64, 1984

347.

Processus de mise à l’écrit par les reformulations permettant la transmission, diffusion et dissémination des savoirs.