5.1.1 Quelques approches

C.Kerbrat-Orecchioni (1997 : 607), dans son article La sémantique de l’Encyclopædia Universalis, remarque qu’on ne communique que par les textes. Nous voici en présence du nouvel apport épistémologique nécessaire au travail terminologique.

Le texte devient l’objet d’étude de la linguistique moderne. Il est, de surcroît, l’unité de fonctionnement d’un système terminologique car les connaissances deviennent, par l’intermédiaire des textes, des forces matérielles. Les connaissances transmises sont articulées textuellement.

Mais le texte, son rôle et sa place relative, sont au centre du débat. Arrêtons-nous, tout d’abord, aux positions de la terminologie classique. Que visent, à cet égard, les théoriciens de la terminologie classique ?

E. Wüster focalise son attention sur le Terme avec le souci de “désambiguïser” la communication spécialisée. En revanche, Lotte considère que le terme n’acquiert une valeur définitive propre qu’une fois intégré dans un contexte, au sein d’un discours. L’idée de l’importance du texte est dèjà en germe.

Les travaux des sociolinguistes français rejoignent cette perspective dans la mesure où un intérêt tout particulier est donné aux discours, en tant que reflet des pratiques et des formations discursives des groupes sociaux (et socioprofessionnels).

La perpective terminologique canadienne, beaucoup plus large et moins réductrice que l’école de Vienne, renforce l’importance de l’étude des termes mais donne toute sa place au texte spécialisé comme élément essentiel de l’analyse terminologique.

Pour Rondeau, par exemple, les facteurs textuel et lexical sont ceux qui parviennent le mieux à décrire les textes spécialisés. Il leur rattache l’ensemble des éléments pragmatiques qui complètent la caractérisation des spécificités de ces textes.

Ainsi, c’est la thématique qui fait le départ entre les textes spécialisés et les autres. Elle permet d’établir, dans une première phase d’analyse, les différentes disciplines conditionnées par la forme, la structure et le style des textes ; elle permet ensuite des approches de type contrastif et de type méthodologique.

Le thème permet de distinguer un domaine d’expérience par rapport à un autre. Et selon les différents secteurs ou degrés de variation d’un même domaine, on peut dégager divers types d’approches descriptives.

Les textes spécialisés sont aussi identifiables au plan lexical. Leur spécificité découle de la terminologie utilisée qui, en fonction des thématiques, peut être plus ou moins opaque et peut révéler plusieurs dégrés de variation, selon les finalités communicationnelles.

Le plan pragmatique concerne le degré de compréhension interlinguistique entre les différents interlocuteurs d’une même langue ou de langues différentes. En fait, ces textes utilisent des ressources terminologiques et syntaxico-textuelles particulières, parfaitement adaptables à la diversité des situations de communication et à la singularité des compétences.

En considérant ces questions, T. Cabré décrit les aspects essentiels qui font que les textes spécialisés ont une place de plus en plus importante dans les travaux terminologiques

‘els textos propis de la comunicació especialitzada, científico-tècnica o professional, es caracteritzen per cinc aspectes rellevants :’ ‘ .per la seva semàntica global : són textos essencialment referencials que defugen altres funcions que alterin la seva referencialitat ;’ ‘ .per les seves caractéristiques formals generals : presenten un grau de restrictivitat estructural molt alt per tal com són limitats quant als propòsits funcionals ;’ ‘ .per la rellevància del lèxic com a nus d’explicitació dels continguts especialitzats ;’ ‘ .per l’especificitat del seu léxic, ja sigui perquè pugui resultar opac per al no especialista, ja sigui per la precisió o diferència del seu significat en relació amb la mateixa unitat formal usada en el discurs no especialitzat ;’ ‘ .en algunes temàtiques, perquè es fa ús d’unitats de sistemes alternatius integrats al text que solen parafrasejar les unitats léxiques própies del tema (CABRÉ, 1999 : 159)’

Les textes spécialisés sont donc déterminés par une sémantique globale qui les identifie comme étant des textes hautement référentiels 348 . Il faut citer à cet égard : les spécificités formelles qui leur confèrent divers degrés de restrictions structurelles ; les caractéristiques spécifiques des terminologies utilisées ; les thématiques souvent actualisées à travers des systèmes alternatifs intégrés (reformulations, paraphrases, citations, modèles de traits linguistiques, etc). Bref, les textes spécialisés ont recours à des procédés de type matriciel.

Nous rejoignons ainsi la question du processus sémiotique de construction du savoir (de la culture). Il s’agit d’un processus qui emboîte les discours comme “les poupées russes” : discours cognitif, discours objectif, discours référentiel. Cela semble correspondre à la production et à la présentation de connaissances par un enchaînement de dispositifs textuels. Les modèles de vie de ces textes servent l’idéal d’intellectualisation ou de rationalisation (cf. Koucourek) communs aux langages spécialisés.

Certains auteurs, en effet, dont J.Adam, considèrent que les textes scientifiques sont en général, narratifs, rhétoriques ou conversationnels. En se basant sur des situations de production/émission ils peuvent également être descriptifs, explicatifs, chroniques et argumentatifs car, en situation de réception, ils sont généralement instructifs (informatifs/formatifs).

On est, par conséquent, en présence de textes très structurés, en adéquation avec d’un côté le thème et le rhème, et de l’autre avec les destinataires. On peut, par exemple, considérer qu’un texte est scientifique dès lors qu’il respecte un certain nombre de règles au niveau terminologique et au niveau éditologique 349 .

On doit donc tenir compte des éléments qui leur accordent un statut spécialisé, voire scientifique : les différentes relations entre système conceptuel et système terminologique, entre discours et destinataires, entre les sources documentaires et le référentiel.

La Pragmatique textuelle définit d’ailleurs le texte comme une sorte de chaîne linguistique écrite (ou parlée) qui forme une unité communicationnelle. Derrière cela, il importe de mesurer toute l’importance de cette nouvelle notion de texte dans l’analyse de la communication spécialisée au sein des études terminologiques 350 .

Les unités de connaissance sont des unités textuelles, fonctionnant en contexte. En effet, Gaudin observe que les textes sont des reconstructions rhétoriques de l’activité scientifique.

Kocourek, cité par J. Rey (1994 : 51) avait déjà constaté, que ce sont les textes qui engendrent des liens entre la spécialité et la linguistique : “c’est principalement sur la base des textes que l’on cherche à saisir le système de ressources de la langue de spécialité”. Les manières de dire représentent les manières de faire (praxéogrammes et scripts cognitifs, comportements sociaux, méthodologies, épistémologies).

À son tour, M. Slodzian, dans la perspective de la Terminologie Textuelle, montre qu’on doit analyser le fonctionnement des unités de discours dans les textes.

Dans la même optique H. Béjoint et Ph. Thoiron (2000 : 14) constatent que “c’est dans les textes rédigés par une communauté scientifique ou technique que se trouvent les connaissances pertinentes d’un domaine, autant ou même plus que chez l’auteur du terme et les définitions qu’il a produites.”

C’est par la confrontation, à l’intérieur du texte, entre le type de communication 351 et les différents contextes que le sens apparaît. Le sens surgit en situation. Les interprétations sont possibles grâce à différents processus de contextualisation. Les textes spécialisés sont des “actes discursifs situationnels” (SPILLNER, 1992 : 42).

Ainsi, on est bien loin de la définition que Koucourek (1982 : 37) donne de texte “suite de phrases liées entre elles par des éléments sémantiques et formels communs. Le rapport entre ces éléments communs s’appelle cohérence”. Cette conception se révélant réductrice, elle ne correspond que partiellement aux besoins de l’analyse terminologique.

Quant à Ch. Muller, il présente le texte comme un ensemble syntagmatique, composé d’unités de discours. Cette définiton, pertinente du point de vue de la linguistique quantitative, révèle une faiblesse devant les exigences de la fonction de communiquer, de transmettre, de promouvoir de nouvelles connaissances. En effet, le texte est ici simplement conçu comme une succession d’énoncés ou de discours d’étendues diverses, provenant d’un même scripteur 352 , ce qui lui donne une certaine unité.

Pottier élargit cette idée en définissant le texte comme un message clos et en le présentant comme une unité intentionnelle de communication. Le parcours d’un texte type c’est au départ une conceptualisation, puis une réalisation, le tout formant un processus orienté vers la compétence pour aboutir par étapes au texte achevé dans un environnement pragmatique déterminé.

Finalement, on constate que pour le terminologue, les textes spécialisés constituent un formidable vivier de données, aptes à transmettre des informations et des connaissances terminologiques conséquentes car les textes sont produits pour des situations de change et d’échanges. Ces données concernent naturellement les contenus /terminologies du secteur en question, mais aussi leur structuration disciplinaire et terminolinguistique 353 .

Il semble d’ailleurs nécessaire d’élargir la question de la compétence textuelle. Il ne s’agit pas simplement d’imposer des règles d’ordonnancement lexical, formatrices de séquences, mais au-delà, atteindre des objectifs de systématicité de formes et de contenus 354 , lesquels obéissent au processus de production de significations en amont et en aval de la communication spécialisée.

Le texte spécialisé d’un domaine d’expérience tel que la Pollution se veut la représentation d’une nouvelle expression de l’esprit, d’une nouvelle conception du monde. Le système matriciel qui le régit veut répondre aux différents besoins de communication que ce domaine et secteur d’expérience implique. Chaque matrice de textes est ainsi adaptée aux fonctions et aux finalités d’un modèle de communication précis : scientifique, technique, professionnel, pédagogique, médiatique, juridico-institutionnel, etc. Le texte spécialisé poursuit des buts socio-fonctionnels

‘Le texte scientifique ou technique n’est donc pas un texte “en-soi”. Il est non seulement inséré dans une action déterminée mais il s’organise différemment en fonction des destinataires. Il n’existe que par rapport à une action et que celle-ci soit d’apporter des connaissances ne change pas cette donnée fondamentale.(PETROFF, 1984 : 56)’

Notes
348.

Pour T. Cabré les finalités de la communication spécialisée, établies sur la base d’un maintien de son caractère référentiel, sont , entre autres : évaluer, décrire, argumenter, ordonner, classer.

349.

Perspectives qui concernent, d’un côté, la description et l’analyse de la situation d’une pensée scientifique en rapport avec le langage spécialisée qu’elle utilise, et, de l’autre, la conception du texte comme un ensembe de termes capables de configurer un domaine (d’expérience) ou une discipline car : “Replacer le terme dans son contexte sémantique mais également éditologique devrait permettre peut-être de mieux expliquer l’origine et le fonctionnement de la pluralité des pratiques langagières” (PIERZO, 1991 : 198)

350.

Il est bon de rappeler que la Sémantique Textuelle se dediait au seul étude de l’analyse du contenu des textes ou simplement de l’analyse textuelle tout court.

351.

Il est à noter les éléments traditionnellement pris comme structurateurs du texte : les topói communs, les topói spécifiques et les topói préférentiels. En d’autres termes , les opinions, les définitions (et ses variantes telles que les équivalences) et les appréciations sont les éléments essentiels d’un texte. Il s’agit d’éléments dirigés par le contexte qui est celui qui dit ce qui est en jeu.

352.

Au sens de locuteur ou d’énonciateur.

353.

C’est dans les textes qu’on peut repérer les termes, les définitions ou les différents contextes, les éléments de “culture scientifique”, les traits linguistiques démontrant des définitions, caractérisations, analyses, équivalences et toutes sortes de reformulations.

354.

Il s’agit des structures standardisées de textes ainsi que des modèles constitutifs répondant à des valeurs telles que la concision, la précision, ou des exigences telles que la lisibilité, la prudence, la neutralité...sans oublier les critères classiques de cohérence et de cohésion.