5.1.2 Sur les modèles de textes spécialisés

Chaque texte s’intègre dans une réalité linguistico-pragmatique, sociolinguistique (en diachronie ou en synchronie) et culturel.

À la question Comment déterminer la spécialisation d’un texte ? Teresa Cabré (1988 : 122) donne quelques éléments de réponse. Dans le sens large du terme, un texte est spécialisé quand il s’éloigne des caractéristiques générales par les éléments suivants :

L’auteur précise que le texte dit spécialisé, en application d’un ou de plusieurs de ces critères, a besoin de règles linguistiques particulières par rapport à celles de la communication générale. Un texte spécialisé est une structure cognitive très forte où la spécialité est véhiculée non seulement par des aspects linguistiques (lexique, morphologie, sémantique et syntaxe, dont la phraséologie) mais également par des aspects non linguistiques (domaine de l’iconique, du schématique, du symbolique, etc).

Dans cette optique, une analyse terminologique doit cerner le mieux possible l’ensemble du système de communication spécialisée du domaine en étude. Ce qui revient à dire qu’ un texte vulgarisateur peut être aussi important qu’ un texte hautement spécialisé.

On a pu constater que les caractéristiques spécifiques du domaine en étude imposaient le traitement d’un éventail de textes très large, dans la mesure où chaque niveau de langage spécialisé présenté contribue à la description d’un domaine actuel qui ressort d’un nouveau paradigme scientifique. L’étude de la Pollution commence par un choix de textes élargi aux différents niveaux de son échelle communicative. Rien que par rapport à la transmission d’une terminologie dépendante de différents registres de la langue spécialisée 355 , ce choix méthodologique s’averait nécessaire car

‘Les différentes “couches de noms” se superposent, coexistent et continuent d’être utilisés par les spécialistes : en fonction du contexte énonciatif (écrit ésotérique, conférence de presse, cours magistral...), et donc de la situation de communication, le scripteur emploiera de préférence : le nom trivial (hormone de synthèse, produit artificiel, substance active), le nom fonctionnel (DES), la dénomination systématique (diéthylstilbénédiol), voire même une appellation commerciale (produit pharmacéutique ne contenant que du DES : le distilbène.(JACOBI, 1984 : 47)’

En tenant compte de tous ses éléments, et en considérant toute l’importance des utilisateurs au sein d’un système de communaication spécialisée, on peut relever quelques modèles canoniques de textes qui témoignent des différents degrés de spécialisation, de la terminologie utilisée, des structures syntaxico-sémantiques, des caractéristiques pragmatiques. En tout état de cause, et selon Beacco, ce sont “les normes d’interaction discursive qui ont des effets “sur la matérialité des textes” (1992 : 25).

Si on se tient aux différentes étapes du circuit de la communication spécialisée, en considérant que le texte spécialisé est un maillon dans le plurisystème graphique et qu’il est le produit premier d’emboîtements reformulatoires 356 , divers modèles peuvent être dénombrés.

Ainsi, en amont du circuit de communication spécialisée, on trouve des textes du genre : notes de laboratoire 357 , exposés, synthèses scientifiques, rapports scientifiques et techniques. On est en présence ici de textes hautement référentiels, caractérisés par une grande densité terminologique. Ils s’adressent à la communication entre pairs, normalement du même domaine ou du même secteur d’expérience.

Après cet première étape, les travaux achevés, seront mis à la disposition d’abord d’un public qui progressivement passera des spécialistes du même domaine aux spécialistes des domaines différents, ensuite à un public en formation (contribuant ainsi à la dissémination des disciplines), et finalement au grand public.

On est en présence, par ordre décroissant de spécialisation : d’articles créatifs 358 , de thèses, de revues spécialisées, de manuels, de livres de vulgarisation (pour l’affirmation disciplinaire, l’enseignement et l’économie), de documents officiels et gouvernementaux (souvent normatifs ou juridiques), de documents de dépôts de brevets, d’études, de programmes, allant jusqu’à un foisonnement de productions éditoriales telles que les bulletins, les lettres, les guides, les programmes technologiques, les catalogues, les brochures et les dépliants techniques ou à visée sociale (formation du citoyen ou plutôt de l’écocitoyen 359 ), etc. Tous ces textes sont utiles à la recherche, à la société et à la terminologie.

En résumé, dans le circuit de communication spécialisée, on doit prendre en compte un système de textes très complet et formalisé : en partant du haut de l’échelle de la communication spécialisée, des textes de type littérature grise, des textes issus de publications spécialisées, des ouvrages plus généralistes et, finalement, tout type de littérature relevant du politique, du juridique, du social et de l’économique.

Chaque matrice de textes est déterminée également par des spécificités propres à la langue véhiculée. Ces spécificités sont bien évidemment, au risque de nous répéter, terminologiques et rhétoriques, et déterminés par des éléments argumentatifs, phraséologiques et sémantico-syntaxiques caractéristiques.

Le pays qui détient une place prépondérante dans un secteur donné va tout naturellement, influencer, à des degrés divers, les discours de ce secteur, au rythme même du développement de sa machine de production et de transmission de connaissances. Ces discours constituent ce qu’on appelle des discours premiers. Ces discours sont, ensuite, empruntés par d’autres langues pour répondre à leurs propres besoins de quête de développement ou d’affirmation scientifique. Dans ce sens, ces discours “empruntés” subissent des adaptations qui sont nécessaires à l’adéquation de la nouvelle culture scientifique d’accueil.

Cette réalité est la conséquence directe de l’idée de “village global” qui semble s’imposer comme un fait inévitable à la construction d’une certaine pensée unique 360 . On préconise un processus de globalisation dont l’attribut majeur serait la neutralité. On disposerait donc d’un langage spécialisé global (mondial, planétaire) et neutre. Il est sûr, néanmoins, qu’on a des “manières de voir” de plus en plus mondiales mais attachées à des “manières de dire” de plus en plus locales.

L’idéal serait donc que les “spécialités” suivent un processus de scripturation dans chaque langue nationale, dans des contextes spécifiques, mais répondant à des besoins scientifiques, économiques et linguistiques tournés vers une mondialisation respectueuse des différences.

Notes
355.

Promoteurs de la paraphrase, entre autres.

356.

Pétroff (1984) définit la reformulation comme un acte du discours spécialisé qui reprend une information et l’adapte à une situation nouvelle où à différents destinataires. On peut reformuler une dénomination, une information historique, voire des textes entiers.

357.

De très difficile accès au terminologue car il s’agit souvent d’un début de recherche ou des travaux en cours.

358.

Ces écrits créatifs, en d’autres termes, des articles scientifiques, sont soumis à certaines fonctions prépondérantes. Ce sont les fonctions sociale, de diffusion et de promotion de connaissances spécialisées.

359.

Cf.J. Rosnay

360.

N’allons pas plus loin ! Regardons l’importance accordée aux NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) comme partenaire fondamental de l’évolution des sciences.