TROISIÈME PARTIE - LE TRAVAIL TERMINOLOGIQUE : Contributions pour l’élaboration d’un dictionnaire terminologique de la pollution - français/portugais

"Les modes de production et la circulation des savoirs et des biens sont tels aujourd’hui qu’il est quasiment impossible de circonscrire de manière catégorique un “domaine” de connaissance, de fabrication : la compétition internationale, l’informatisation, le rôle social et le fonctionnement des médias sont parmi les facteurs qui poussent à l’intégration de tous les domaines. Toutefois, ces interférences entre des champs naguère séparés n’excluent pas la spécialisation. Les flux d’échange s’accélèrent en partie aussi à cause de la division du travail. Ce paradoxe est l’une des bases de notre économie ; il est également une des bases de développement de la recherche : celle-ci est de plus en plus pointue dans certains cas tout en appelant à l’interdisciplinaritéet elle devient vite l’objet de discours publics confrontée à d’autres secteurs, à des besoins d’application. C’est le cas, par exemple en biologie (découvertes génétiques et problèmes de la reproduction). C’est la cas des précipitations acides (dites encore dépôts ou pluies acides). Quelles conclusions doit-on tirer pour la terminologie ? Dans la propagation des savoirs et des savoir-faire, que devient la terminologie ?"

Yves Gambier

" Desde o início que os deuses nos não revelam a natureza das coisas ; mas no curso do tempo, através da pesquisa, podemos aprender e melhor conhecer as coisas..."
Xénophane, VI a-c

“Il paroît (...) que du temps et des circonstances favorables sont les deux principaux moyens que la nature emploie pour donner l’existence à toutes ses Productions.(...). Les principales naissent de l’influence des climats, des variations de température de l’atmosphère et de tous les milieux environnants, de la diversité des lieux, de celle des habitudes, des mouvements, des actions, enfin de celle des moyens de vivre, de se conserver, se défendre, se multiplier, etc., etc.”
Lamarck

“l’écologie d’aujourd’hui ne renferme pas qu’une seule mais de nombreuses conceptions de la nature”
Donald Worster

“Se placer dans une perspectice écologique implique d’adopter une vision globale, d’essayer de comprendre comment ces différentes composantes interagissent les unes avec les autres selon des modalités qui tendent à l’équilibre et perdurent à travers les années. Mais cette perspective ne peut envisager la planète comme un objet séparé de la civilisation humaine : nous appartenons, nous aussi, à l’ensemble. L’observer, c’est aussi nous observer nous-mêmes. Et si nous ne voyons pas que la part d’humain qu’il y a dans la nature exerce une influence de plus en plus puissante sur elle, que nous constituons, bel et bien, une force naturelle, au même titre que les vents ou les marées, alors nous serons incapables de voir à quel point nous menaçons de pousser la planète au déséquilibre.”
Al Gore

“Au XXes., on assiste à un énorme développement du corpus de connaissance scientifique. Ainsi, le domaine des applications possibles de la science aux activités du quotidien s’est considérablement élargi, de même que se sont renforcées des bases scientifiques des processus de développement technologique.

Cet effet s’est doublé d’un très riche processus de création de nouvelles disciplines et de nouveaux langages. La spécialisation est donc le résultat de ce chemin évolutif. Pour mieux connaître, il faut définir de nouvelles significations et des langages plus précis, dont les contenus cognitifs sont de plus en plus spécifiques, spécialisés. Il s’agit là sans doute d’une tendance déterminante dans l’évolution de la science."
João Caraça

“Qui dit homme, dit langage et qui dit langage, dit société”
Lévi-Strauss

"Alors le vieux mythe biblique que se retourne, la confusion des langues n’est plus une punition, le sujet accède à la jouissance par la cohabitation des langues qui travaillent côte à côte : le texte de plaisir, c’est Babel heureuse.”
Roland Barthes

“Tant qu’il y aura des langues, elles continueront à échanger leurs mots sans craindre de perdre leur âme, car une langue qui vit est une langue qui donne et qui reçoit.”
Henriette Walter

"En effet, tous ceux qui ont travaillé en deux langues se sont rendus compte que les mots ne correspondent pas toujours exactement d’une langue à l’autre, même si leurs définitions concordent, car la réalité qui les entoure, les contextes dans lesquels on les trouve ne sont pas découpés de la même façon."
Marcel Paré

"Pour être “scientifique”, toute analyse doit être objective, descriptive et mesurée ; pour être universelle, elle doit nécessairement entrer dans la logique du raisonnement inductif. Or, il est bien entendu qu’il ne peut y avoir de scientifique et d’universel qui ne soit ni objectif, ni descriptif, ni inductif."
André Camlong

"Les langues de spécialités restent caractérisées par le fait qu’elles s’atachent à désigner des réalités et des notions non pratiquées dans l’usage général et dont le particularisme s’accuse avec la division du travail et l’hyperspécialisation de la connaissance."
Bernard Quemada

"Les perspectives de la terminologie, de la terminographie et de la terminotique semblent, aujourd’hui infinies. Elles reposent essentiellement, dans un climat général qui voit se confirmer une naissance ou un renforcement de ce que l’on peut appeler une conscience terminologique, sur quatre facteurs qui sont, sans tentative de classement, l’accélération des transferts (techniques, économiques, commerciaux, technologiques et industriels), la poussée corrélative de la demande de “services linguistiques”, la définition et la mise en oeuvre de politiques linguistiques cohérentes au niveau des organismes des entreprises, des groupes ou des pays et, enfin, l’effet terminotique-automatique."
Daniel Gouadec

"Le mot dictionnaire, n’a pas un contenu sémantique tel qu’il puisse admettre la polysémie, l’interprétation et le débat philosophique ou philologique. Il appartient à l’ordre technique et sa définition est simple. Les dictionnaires peuvent répondre à des besoins diversifiés et varier à l’infini leur présentation et leur contenu."
Etienne Brunet

"Polyglotte ou aphasique, tel est le choix qui attend la science."
Jean-Marc Lévy-Leblond

Rappelons brièvement la matière des deux premières parties, dans lesquelles nous avons développé les grandes lignes de nos orientations théoriques et méthodologiques. Nous avons aussi, dans une perspective interdisciplinaire, décrit quelques aspects terminologiquement importants concernant la Science (ou la connaissance) et les questions que la Terminologie théorique et pratique se pose et pour lesquelles des solutions méthodologiques sont proposées. Le dessein plus spécifique de la deuxième partie a consisté en une contribution théorico-méthodologique de préparation du travail de recherche terminologique sur le domaine qui nous intéresse.

Dans la troisième partie de ce travail de recherche terminologique, nous allons décrire les étapes du travail terminologique effectué.

Nous commencerons par aborder la problématique du champ d’étude en cernant les aspects cognitifs du domaine. Cette étude sera relative à l’histoire et structure du domaine, à l’interdisciplinarité et aux aspects linguistiques qui caractérisent la terminologie sélectionnée.

Après avoir abordé le traitement des questions relatives aux classifications, en tant que moyens préstructurateurs des domaines, nous serons en mesure de définir et de délimiter, dans le cadre du travail choisi et sans nous éloigner de la pratique préconisée par les manuels de terminologie, le domaine de l’étude. Cela est le résultat des questions que nous avons largement développées sur l’énonciation (énonciateur), les destinataires et différents contextes et situations de communication ainsi que les objectifs et enjeux du traitement terminologique de langages spécialisés (évidemment pour des choix concernant la dimension du/des produits qu’on envisagera de présenter).

C’est également en référence au domaine que nous avons souligné brièvement l’importance de la documentation et du corpus (début de tout organisation d’un “domaine”).

En prenant en compte la fonction d’ “arpentage” du champ opératoire, nous soumettons à cette exigence les spécificités de la pollution, en procédant à une analyse rigoureuse et pondérée (cf. les corpus en annexe)

Enfin, nous mettrons en lumière, dans la perspective terminologique, la nécessité de structurer les connaissances linguistiques et extra-linguistiques d’un domaine.

Notre expérience terminologique au sein du groupe de travail concerné par les recherches sur l’écologie, a mis en évidence la liaison pollution et “problèmes écologiques” 433 . Nous savions également qu’il existait déjà beaucoup de techniques pour mesurer certains types de pollution (domaine d’expérience très pointu en France), certains moyens naturels signalés par l’écologie pouvant jouer un rôle d’indicateurs 434 de pollution, etc.

Les questions concernant l’Écologie, nous les connaissions, certes, déjà, mais dès que nous pensions Environnement, Pollution et Contamination le flou terminologique s’installait et nous ne pouvions pas avoir une image nette et précise du domaine que nous avions choisi.

C’est donc armées de patience, que nous avons tenté de définir plus précisement les contraintes du domaine de la Pollution. Il s’agit aussi d’une exigence forte alors que la communauté scientifique ne semble pas montrer une préoccupation épistémologique majeure, comme en témoignent les propos de J.-P. Changeux, un des plus éminents scientifiques français, qui présente la tendance au sectarisme scientifique comme une affaire d’ hégémonies politico-institutionnelles, une sorte de jeux de pouvoir, voire même des problématiques terminologiques plutôt que des raisons fondamentalement scientifiques de découpage des savoirs

‘La tendance à l’isolement disciplinaire est déjà très forte, en particulier dans notre pays où les physiciens parlent un langage qui n’est compréhensible que des physiciens, les physiologistes forgeant des concepts qu’ils n’utilisent qu’entre eux, les sociologues, autre exemple, faisant de même. La liste serait longue ! La tendance au cloisonnement disciplinaire accable nos institutions de recherche, alors que chacun sait l’apport considérable des méthodes physiques pour l’imagerie cérébrale, de la chimie pour le traitement symptomatique des troubles mentaux de la recherche archéologique et historique pour les “commencements “des grandes religions et la rédaction de leurs textes fondateurs, etc. (...) L’expérience a prouvé que c’est souvent aux frontières entre disciplines que les grandes découvertes ont lieu. Pourquoi évacuer a priori la recherche de “connaissances réflexives” qui créeront peut-être des liens de continuité entre le discours du “corps-objet” et du “corps propre”, entre le discours éthique et le discours normatif ? Je pense, au contraire, qu’une telle démarche est fertile, à condition que l’on soit simplement attentif au sens des mots et à l’usage des concepts. (CHANGEUX et RICOEUR, 1998 : 35)’

Nous le savons bien, en dépit de son respect scrupuleux des principes d’ordre et de règle les plus profonds, la Science n’échappe pas à sa part d’arbitraire et d’instabilité conceptuelle; elle n’est pas découpée naturellement en disciplines rigides, en compartiments clos (cf. II Partie). L’organisation des savoirs est dépendante des modèles et des contextes socio-culturels et historiques sur lesquels elle s’appuie.

Nous savons à quel point, aujourd’hui, la Science est transdisciplinaire et interdisciplinaire bien que les modèles d’enseignement /apprentissage scientifique ne se fassent que dans un cadre disciplinaire. Pour apprendre la Science, l’enseignement académique a recours aux disciplines, ensemble de connaissances structurées autour de langages spécialisés qui vivent au gré des sociétés, des cultures et de l’histoire.

Par ailleurs, et en partant du principe que l’activité terminologique intéresse d’abord l’apprenti d’une discipline en situation unilingue ou multilingue, l’enseignement de disciplines scientifiques, le traducteur spécialisé, le terminographe et le terminoticien, il est naturel que tout ce qui concerne la connaissance disciplinaire intéresse la recherche terminologique (plus spécifiquement la terminologie thématique).

On sait combien les tentatives de s’affranchir des frontières de domaines est une constante chez les scientifiques et chez les terminologues. On a pleine conscience que “figer” la connaissance dans des compartiments est peu conforme à la nature complexe et diversifiée du monde qui nous entoure, cependant, l’homme quand il structure et communique sa perception du réel, est dans l’obligation de nommer 435 , puis de classer pour comprendre et réorganiser sans cesse son champ d’expérience.

Notes
433.

Sans oublier la part naturelle d’intuition et la contribution des médias écologistes.

434.

Par exemple, beaucoup d emicro-organismes sont des indicateurs de pollution : les mousses (pollution radioactive) le phytoplancton, etc.

435.

Dans le processus de conceptualisation.