7.2.2 Des études de la flore et de la faune dans le processus terminogénique de l’écologie

Mais l’histoire de l’écologie au XIXes est l’histoire des grandes avancées théorico-pratiques et d’une grande créativité terminologique, indice d’un processus d’enrichissement et de stabilisation conceptuelle.

Les interconnections entre géographie / géologie / botanique / zoologie s’intensifièrent vers la fin du siècle. Elles produisirent de nouvelles observations concluantes qui contribuèrent, de la sorte, à l’affirmation non seulement de l’écologie végétale mais également de l’écologie toute entière. En effet, c’est parce que l’écologie végétale se distinguait déjà des recherches traditionnelles que l’avènement de l’écologie animale, de l’autoécologie, de la synécologie, de l’écologie des écosystèmes, put se réaliser à la faveur de la mise en place de l’architecture de la connaissance écologique.

Mais revenons à notre chronologie thématique. Aux côtés des naturalistes, des botanistes, des géologues, on retrouvait alors les géographes qui contribuaient, eux aussi, à l’élaboration de la topographie de l’écologie par des études concernant la flore et la faune. Il s’agissait d’analyses de données statistiques sur la distribution des espèces dans le monde, dans un but classificatoire : élaboration d’un système de classification sur la distribution et la répartition géographique des espèces végétales. En outre, il est intéressant de signaler que, parallèllement à ces études, il existait une école de géographie physiognomique (aujourd’hui géographie écologique) qui n’utilisait pas le concept de distribution mais celui de formes de végétation et de facteurs déterminants.

La géographie ne se limitait donc plus à trouver les différentes espèces de plantes de la Terre, elle voulait surtout définir les différentes catégories et découvrir les lois auxquelles elles obéissaient, par exemple : classer les plantes par leurs formes d’adaptation, par leur caractère associatif, par l’importance du facteur climat dans la distribution.

Mais revenons à quelques noms qui ont laissé des concepts/termes fondateurs des études en écologie végétale, par la suite biogéographiques. Ces avancées trouvent les réponses dans l’application d’abord de principes dits “statiques” et dans des principes dits “dynamiques”, qui se complètaient bien.

À la fin du siècle, les géographes continuaient à appliquer l’héritage laissé par A. von Humboldt qui concernait la répartition géographique des espèces végétales, énonciateurs du nouveau concept d’association végétale. En d’autres termes, il s’agissait de l’étude de la répartition des végétaux selon l’altitude, les zones géographiques et les facteurs physiques par des relations de mesure.

Avec la phytogéographie (ou phytosociologie) de nouvelles réponses furent trouvées. En effet, les Candolle 490 ont beaucoup contribué au développement des études sur, notamment, la répartition géographique des végétations. Cette discipline appartenait à cette vision holistique dont nous avons parlé. Enfin, les principes qui la régissaient étaient les suivants : des liens intrinsèques unissent les communautés des plantes d’un biotope déterminé ; les plantes sont des êtres sociables, groupées en associations 491 . La phytogéographie posa vraiment des questions très pertinentes 492 .

August Grisebach dénomme formation végétale (ou formation phytogéographique) les groupements physionomiques constitués sur la base des associations des formes de croissance, c’est-à-dire, toute communauté identique de plantes poussant à altitudes égales, donc dans des climats comparables, comme par exemple la forêt ou la végétation de plaine. Ainsi apparaît l’idée que les formations végétales sont des conséquences directes de conditions climatiques. Il a été, au même titre que A. von Humboldt, l’initiateur de la tradition floristique et de la tradition physionomique des groupements de plantes. Avec ces nouvelles découvertes de nouveaux problèmes terminologiques se sont posés au niveau, notamment, de la nomenclature. J. F. Shouw proposa donc une nomenclature pour les associations végétales dominantes en ajoutant à la racine du nom de genre le suffixe -etum (exemple : association où le chêne est dominant, serait nommée Quercetum, etc).

Anton Kerner von Marilaün contribua également à l’avènement de la phytosociologie qui s’efforçait par des observations directes (même subjectives) sur le terrain, de mettre en évidence les adaptations à des facteurs environnementaux.

Deux courants ont également contribué au développement de l’écologie végétale : l’école de Uppsala et l’école de Zurich-Montpellier. Pour la première, le nom de Georg du Rietz est souvent la référence car il affine la méthode de Marilaün en proposant celle des “aires minima”, méthode qui par échantillonage, délimite des aires, plus petites que les groupements, au-delà desquelles les nouvelles espèces se développent très lentement, en démontrant ainsi les discontinuités objectives de la végétation.

Quant à l’école d’écologie végétale 493 de Zürich-Montpellier, elle s’est illustrée au début du siècle en définissant les espèces dominantes et les espèces spécifiques au sein d’une association végétale. En effet, ce sont Josias Braun-Blanquet et E. Ferrer qui ont appliqué la méthode des aires minima 494 . Ces études sur les végétaux ont grandement aidé les efforts de recherche en agronomie, déjà au XIXes, en ce qui concerne, notamment, la lutte biologique, c’est-à-dire, l’utilisation d’organismes pour réduire les ennemis des plantes 495 .

Le botaniste français Gaston Bonnier, se consacre également à la détermination et à la description des végétaux français, aux changements de leur forme sous l’influence du milieu 496 . Il a mené également des travaux très intéressants sur les lichens (qui aujourd’hui sont souvent utilisés comme indicateurs de pollution).

Aux États-Unis des études célèbres sur la biogéographie ont été entreprises. C. Hart Merriam développa une théorie liant les questions biogéographiques, distinction des différents habitats suivie de l’identification des associations par zones climatiques.

Grâce aux concepts de succession et de climax, l’écologie commençait à acquérir une certaine autonomie disciplinaire. C’est à Eugenius Warming que l’on doit ces concepts qui sont devenus des références fondamentales en écologie végétale ainsi que des nouveaux modèles pour décrire l’économie de la nature. Warming mit également en évidence d’autres concepts comme l’harmonie, l’adaptation, l’autorégulation, l’interdépendance, le commensalisme, la symbiose. Son ouvrage l’Écologie des plantes est une introduction à l’étude des communautés végétales où sont mises en valeur les idées de l’ajustement des plantes à l’habitat 497 . Pour classer les communautés végétales Warming se basait sur la quantité de l’eau contenue dans le sol 498 , paramètre qu’il jugeait plus important que celui de température.

Le botaniste Andreas Schimper effectua, lui aussi, des travaux en écologie végétale, sur la sécheresse des sols. Ce qui fait dire à P. Acot (1994 :49) “Avec Warming, qui dépasse la géobotanique du XIXe siècle en jetant les bases de l’écologie végétale, et Schimper qui en approfondi les approches, l’écologie est née”.

La biogéographie 499 surgit ainsi autour de 1900 dotée d’une terminologie botanique confirmée : association végétal, communauté, succession, et climax. Ce dernier concept s’avèra fondamental pour la suite des études écologiques. Quelle révolution conceptuelle énonçait-il ? Tout simplement que chaque communauté progresse vers un équilibre stable et que son développement se fait par étapes successives vers des états d’équilibre climaciques.

Cette notion fut approfondie par Frederic Clements qui orienta ses recherches sur les phénomènes de succession de la végétation, démontrant que les communautés végétales sont des organismes (thèse organiciste). Ces modèles ont été conçus dans le contexte précis de la conquête des prairies de l’ouest américain. Cette conception menait tout droit à la notion de structure et d’autonomie des systèmes écologiques. Dans cette perspective, une autre découverte importante attribuait aux plantes la fonction d’indicateurs de la valeur des facteurs de l’environnement et des processus anthropiques.

Nous venons de voir que l’écologie végétale était duale : une doctrine statique et une doctrine dynamique, fruit des expériences américaines.

Au terme de cette analyse, nous pouvons conclure que peu à peu l’idée d’interconnection entre facteurs abiotiques et facteurs biotiques était née en constituant, de surcroît, le maillon fondamental des recherches futures en écologie et en environnement.

Par ailleurs, si les avancées en écologie végétale sont lisibles, dans d’autres domaines les idées écologiques fourmillent et des théories surgissent. Ainsi en est-il de la zoologie. Le zoologue Mobiüs créa le terme biocénose 500 , concept/terme qui eut longtemps du mal à se faire accepter par la communauté scientifique. Möbius expliqua que le terme désigne une communauté de vie dans laquelle la somme des espèces et des individus, qui était limitée et sélectionnée par les conditions extérieures moyennes, par voie de reproduction, a continué à occuper un territoire donné. La recherche écologique ne se limitait plus simplement aux faits mais également aux processus. Cette découverte contribua au développement de la bioécologie incluant la dynamique des populations, à partir des années 1910.

L’étude du monde végétal ayant été capitale pour l’essor de l’écologie, elle ne serait pas complète si nous ne décrivions pas quelques liens unissant une chimie en plein développement, l’écologie végétale, et qui plus est, la pédologie. En partant du constat que la chimie est une science descriptive qui étudie, en général, la matière, en recherchant son origine et ses modes de formation, l’étude d’échantillons naturels, comme les débris de végétaux, ou bien artificiels (élaborés par synthèse) purent s’avérer un immense champ de recherche et d’applications diverses. Les travaux de E. Chevreul (fidèle opposant aux divisions entre science fondamentale et science appliquée) sur la saponification et l’analyse des corps gras furent essentiels pour l’essor de la biochimie et de la chimie organique.

Dans le même champ de recherche, J. Ebelmen s’intéressa aux questions de “recyclage”. Ce qui nous intéresse dans cette analyse est de comprendre les implications avec l’agrochimie, génie agricole auquel l’étude de la Pollution s’intéressera surtout à partir du XIXes. Comme nous l’avons fait pour d’autres domaines, et pour des besoins d’analyse terminologique, nous avons retenu quelques acteurs de l’évolution des relations conceptuelles entre la chimie et l’écologie. C’est J. Priestley qui en étudiant les propriétés de l’oxygène, découvrit la respiration des végétaux. Lavoisier entreprit des études sur le cycle de la matière. Boussingault apporta beaucoup à l’agrochimie, notamment, par les études sur la richesse des engrais en azote et en phosphates et élabora le concept physico-chimique de facteur limitant 501 . Von Liebig annonce la naissance de la chimie agricole par des recherches sur la nutrition animale et végétale, et sur l’épuisement des sols. S. Winogradski entama des recherches sur les nitrobacters et, poursuivit, notamment, des études sur la microbiologie des sols et les fermentations bactériennes (comme Pasteur), sur la chimiosynthèse et la nitrification.

Les rapports entre les expériences chimiques et les analyses pédologiques furent naturellement plus nombreuses. La pédologie 502 se structura autour des liens entre climat et micro-organismes du sol.

En conclusion, les travaux en chimie organique, et notamment ceux de Lavoisier, de Pasteur, ou plus tard de Vernadsky dans le cadre des échanges chimiques entre le sol, la plante et l’atmosphère, furent essentiels pour la détermination des cycles biogéochimiques 503 sans lesquels les études sur les impacts des pollutions sur l’environnement n’auraient pas avancé.

Dans un autre type de formation discursive, le géologue Suess, auteur de la première géologie générale du globe (La face de la Terre) créa le terme biosphère (espace des êtres vivants et de leurs interactions, en 1875), enrichissant le concept crée par Lamarck et approfondi par Vernadsky 504 (zone occupée par la vie), par les apports biogéochimiques. ainsi s’ouvraient les grands espaces de l’écologie globale 505 .

Notes
490.

Pyramus de Candolle révisa la flore françaiseà la demande de Lamarck, publia également la Théorie élémentaire de la botanique (1813) et le Système Naturel des végétaux (1817) et fonda à Genève le jardin botanique. Son fils Alphonse publia l’Origine des plantes cultivées (1883).

491.

L’association végétale était le concept de base de cette discipline.

492.

Exemple : Pourquoi dans tel environnement physique existe une forêt et non un marais?...

493.

Il s’agit, de fait, de la phytosociologie.

494.

C’est le travail réalisé au sein de la SIGMA (Station internationale de géobotanique méditerranéenne et alpine de Montpellier). La sociologie des plantes bénéficia, également, des travaux de scientifiques allemands, scandinaves et anglo-saxons.

495.

Travaux de Charles Riley, Leland Ossian Howard et du biochimiste Paul Müller. Charles Riley préconisait l’utilisation de vivants contre des vivants, sachant que malheureusement à l’époque certains ennemis des ravageurs pouvaient encore être plus nuisibles. L.O. Howard fut le successeur de Riley et il a introduit l’entomologie agricole (l’idée que les équilibres naturels sont dus à l’action des parasites). Paul Müller décrouvit (1938) le pouvoir insecticide du DDT (insecticide chloré) qui avait été synthétisé en 1874 par O. Zeidler. Ces succès ont également contribué à approfondir d’autres recherches comme les maladies parasitaires (peste, etc.). De fait, il fut employé pendant la guerre pour éviter le typhus et la malaria. Il fut interdit suite à la dénonciation da sa nuisace envers l’environnement faite par R. Carson.

496.

Son ouvrage Flore complète illustrée de France (1886-1934).

497.

Le concept d’épharmose. Il articulait, de la sorte, la biogéographie et l’écologie en distinguant ce qui était floristique d’écologique.

498.

Il y a, par exemple, les hygrophytes, les xérophytes, les mésophytes, etc.

499.

C’est le terme pour désigner la géographie des plantes ou la géographie botanique. Celle-ci était pour Candolle, par exemple, une branche de la science des végétaux et de la géographie physique.

500.

Entre 1869 et 1877 lors des recherches sur l’épuisement de la culture des huîtres. Cette dénomination, comme tant d’autres qui se suivront, se liait d’abord au paramètre locus mais déjà dans la perspective de déterminer des ensembles interspécifiques.

501.

Une espèce a tendance à disparaître quand il y a une carence (insuffisance ou excès) de facteur de milieu. C’est un terme qui annonçait également déjà les interrelations de l’écologie végétale et de l’écologie animale.

502.

Terme créé par E. Fallou en 1862.

503.

Les principaux cycles biogéochimiques importants en écologie sont : le cycle du carbone, de l’azote, du phosphore, de l’eau, du fer, du soufre. Chaque cycle est construit par le passage alternatif des éléments entre milieu organique et matière vivante. Il y a au moins deux phases dans un cycle biogéochimique : la phase paracycle (continentale) de la circulation de l’élément dans les écosystèmes terrestres et des eaux continentales et la phase océanique. On sait que le cycle de carbone perturbé provoque de la pollution atmosphérique ; pour l’azote, de la pollution des sols et des eaux ; pour le phosphore, de l’eutrophisation de l’eau, etc.

504.

Vernadsky est l’introducteur de la biogéochimie, l’ensemble théorique qui déclencha les principes d’écologie globale.

505.

Le quatrième niveau d’organisation de l’écologie est donc mis en place. Les quatre niveaux sont : l’organisme (ou l’individu pris dans son unité), la population (ensemble d’individus de la même espèce groupés dans un milieu), la communauté (devenue biocénose, ensemble des espèces vivant dans le même milieu), et la biosphère (ensemble total des milieux occupés par les êtres vivants). Et aujourd’hui on propose un cinquième niveau : l’écosphère. Celui-ci représente le plus grand écosystème (la planète). Entre l’écosystème et l’écosphère on cite également le géosystème.