7.2.2.1 L’avènement du terme écologie

Jusque là les scientifiques usant de termes propres à leurs disciplines faisait de l’écologie sans le savoir. Qui porta le terme sur les fonds baptismaux?

C’est Ernest Haeckel en 1866, qui créa la terme par analogie avec économie (oikos). Le terme était profondément lié à l’ensemble des connaissances appartenant à l’économie de la nature. Déjà à l’époque les idées et courants qui concernaient l’écologie se divisaient en multiples branches et celles-ci en multiples études. Haeckel 506 a voulu mettre de l’ordre en le définissant pour la première fois en 1866 : “Par oekologie, nous entendons la totalité de la science des relations de l’organisme avec l’environnement, comprenant, au sens large, toutes les conditions d’existence”.

Il le définit une deuxième fois, en 1868 en y introduisant l’idée de Économie de la Nature de Linné

L’oecologie ou distribution géographique des organismes (...) science de l’ensemble des rapports des organismes avec le monde extérieur ambiant, avec les conditions organiques et anorganiques de l’existence ; ce qu’on a appelé l’économie de la nature, les mutuelles relations de tous les organismes vivant en un seul et même lieu, leur adaptation au milieu qui les environne, leur transformation par la lutte pour vivre(...)’

Et en 1874 il propose une nouvelle définition d’écologie

‘L’ensemble des relations si variées des animaux et des plantes, de leurs rapports avec le monde extérieur, tout ce qui concerne l’oecologie des organismes, par exemple, les faits si intéressants du parasitisme, de la vie en famille, des soins de la couvée et du socialisme, etc., tout cela ne saurait s’expliquer simplement et naturellement que par la théorie de l’adaptation et de l’hérédité.’

Finalement, en 1879, il y associe les idées de Darwin

‘Par oecologie, on entend le corps du savoir concernant l’économie de la nature - l’étude de toutes les relations de l’animal à son environnement inorganique et organique ; ceci inclut, avant tout, les relations amicales ou hostiles avec ceux des animaux et des plantes avec lesquels il entre directement ou indirectement en contact - en un mot l’oecologie est l’étude de ces interrelations complexes auxquelles Darwin se réfère par l’expression de conditions de la lutte pour l’existence 507 .’

C’est au Congrès International de Botanique de 1893 que le terme acquit son orthographe définitive : ecology (écologie, ecologia). Ayant reçu “l’imprimatur” et le bon pour diffusion, le terme s’exposait, ipso facto, à d’importantes reformulations conceptuelles 508 . Il devint un “supergénérique” à partir duquel se sont déployés de nouveaux champs d’exploration investis par les écologues qui se distinguent des écologistes ou des environnementalistes.

Simultanément, la biologie creusait ses sillons sans souci lisible d’horizon ou de vision d’ensemble. Ce qui justifie peut-être l’essor de l’Écologie et son autonomie progressive par rapport à la Biologie, bien qu’institutionnellement on la considère encore comme une branche de ce domaine.

On retiendra surtout qu’à la fin du siècle, l’Écologie avait acquis droit de cité dans la littérature comme l’attestent les titres : Plant ecology, Animal Ecology, etc.

Après les végétaux et les animaux, l’Homme se retrouva naturellement au centre de l’étude. Il s’agit de l’Homme en tant qu’agent écologique. La science écologique s’attribuait une fonction sociétale, celle du témoin actif. En effet, en plus de toutes les avancées en biogéographie, ce siècle vécut des événements forts. Au niveau scientifique, cela s’est traduit par une véritable structuration de l’écologie, par l’affirmation de la biologie, par les progrès en physiologie et en analyse chimique avec des applications et des résultats en agrochimie, par les applications de la thermodynamique au vivant. Au niveau social, prenait forme une conscience écologique, conséquence des effets nuisibles des activités anthropiques.

Cela allait entraîner, de surcroît, et parallèllement, l’avènement des sciences de l’environnement (pollution, impacts, protection de la nature, notamment) et de l’écologisme.

Dans la deuxième moitié de ce siècle, une grande profusion d’écrits circulait, moyens de diffusion d’une grande multitude de termes, assortis hélas de beaucoup d’insécurité terminologique, reflet peut-être d’une faiblesse conceptuelle. Si beaucoup de ces termes tombèrent en désuétude, ils étaient, cependant, les indicateurs d’une pensée scientifique qui prenait vigueur.

Notes
506.

Il semblerait que déjà en 1863 le terme avait été utilisé. Ce terme était en compétition avec le terme mésologie (la théorie des milieux, créé par Louis A. Bertillon et repertorié dans le dictionnaire de médecine de Littré en 1865). Grand néologue, Haeckel aimait créer des termes. Par exemple, la chorologie servait pour désigner l’étude de la distribution géographique des espèces.

507.

Les définitions supra indiquées sont citées par Pascal Acot (cf. Bibliographie). Il est intéressant de préciser que, par exemple, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, ornithologue au Muséum National d’Histoire Naturelle, avait proposé, sept ans auparavant, le terme éthologie qui se rapprochait de celui d’écologie par la référence au comportement animal. Plus tard, Saint-Georges Miwart (1880) proposa le terme hexicology (hexicologie, étude des conditions de vie)pour désigner le même concept d’écologie. Ces termes sont restés dans l’histoire de l’écologie comme deux curiosités terminologiques.

508.

Ce sont d’ailleurs les naturalistes anglo-saxons de la fin du siècle les seuls à l’utiliser. L’écologie était alors une partie de la biogéographie qui étudiait les relations des plantes avec leur milieu. Côté français, le terme plus en vogue continuait à être le traditionnel géographie des plantes.