7.3.1 Quelques données sur l’écologie planétaire

Désormais il est généralement admis que l’écologie, héritière du concept d’économie de la nature, constitue une économie de l’environnement 548 . Mais le terme recouvre, également, une autre réalité : l’écologie en étant la matrice des disciplines de l’environnement, joue le rôle de veille écologique planétaire. Le parcours du phénomène écologique décrit plus haut 549 , conduit à l’élaboration du concept d’écosystème, qui s’est imposé comme modèle universel de la connaissance humaine 550 . Nous observons qu’il s’agit d’un modèle ouvert appelé à devenir une unité écologique encore plus large, une sorte de “mégaécosystème” ou “mégagéosystème”, permettant des analyses plus amples.

Le moment est venu pour l’Écologie d’affirmer haut et fort ses visées englobantes, notamment en direction de l’Économie contrainte à une mutation épistémologique radicale dont dépendrait la survie de la société moderne. L’écologie interpelle l’Homme, créateur des évolutions de la nature et le somme de concevoir désormais une politique universelle de développement durable 551 .

Parallèlement aux changements de mentalité, l’Écologie proprement scientifique continue son évolution, secondée par des moyens informatiques sans cesse accrus, elle déploie dans d’autres champs de connaissance, en particulier la structuration des peuplements et des communautés (biocénose) les ressources conceptuelles de la niche écologique 552 . C’est l’émergence de l’écologie théorique et l’annonce de l’écologie numérique, favorisées par des méthodes utilisant les données quantitatives et les modèles mathématiques. La contribution des mathématiques se révèle décisive, notamment, pour la détermination de l’équilibre ou du chaos (effet papillon) et pour les travaux d’application en écologie chimique. Toutes ces études convergent vers un approfondissement scientifique des recherches en Altéralogie.

La décennie 1960, révolutionnaire à bien d’autres égards, l’est aussi dans le domaine de l’Écologie : pour la première fois les pouvoirs publics font appel à elle pour expliquer les causes des catastrophes naturelles, et en prévenir les menaces. C’est à cette époque, que voit le jour un parti politique “les verts”, totalement fondé sur l’Écologie. Débats télévisés, thèmes de campagnes électorales, actions politiques ciblées, familiarisent le grand public avec la notion d’environnement au sens le plus vaste. Par une sorte de mouvement naturel, la polémique surgit et le débat favorise l’apparition de termes nouveaux tels que : écologisme 553 , écologiste. Ils désignent les partisans d’une action que d’aucuns qualifient d’idéologique et totalitaire 554 alors que d’autres y voient le fondement d’un nouveau “contrat social”. Déjà, les chercheurs français avaient amorcé la polémique en adoptant le terme d’écologue pour désigner l’énonciateur du discours scientifique alors que le terme écologiste, était abandonné aux orateurs politiques.

Les polémiques occupent les esprits, masquant des problèmes bien réels. Force est de constater que la France 555 , et plus encore le Portugal et le Brésil, ont pris un retard préjudiciable en termes de recherche par rapport aux pays anglophones et, singulièrement, à l’Amérique.

C’est l’époque de la création des laboratoires d’écologie en France, de la fondation de la Société d’Écologie (1969) et du Bulletin d’Écologie (1970) 556 . La Francé adhère, avec retard en 1983, à la Société Internationale d’Écologie, en activité depuis 1967. Beaucoup de revues spécialisées paraissent. Quant au CNRS, il participe activement à ce mouvement en créant sa propre section d’Écologie.

Le terme Écologie vulgarisé, voire banalisé, depuis les années 1970, provoque toutes sortes d’interprétations. Pour les uns, elle continue à être un moyen scientifique remarquable. Pour d’autres, elle s’oppose au progrès technologique en prônant une sorte de retour à la Nature.

Ces années-là sont donc contestataires et idéalistes. La pensée écologique s’affirme, nourrie par la conviction ferme que la planète est en danger. La peur a envahi tous les secteurs de la société. On commence à penser aux “remèdes”, à la protection et à la “gestion de l’environnement”. Il est significatif que le monde économique, lui-même, se réfère à une éthique de l’environnement, dont les trois principes d’intervention sont la prévention, la gestion et le contrôle.

Quel virage ! De quand date-t-il ? À n’en pas douter, de l’année 1975 qui voit le quadruplement du prix du pétrole menacer les sociétés occidentales dans ce qu’elles ont de plus cher : un mode de vie gaspilleur d’énergie. C’est alors que le Club de Rome publie un rapport appelé à un immense et éphémère succès : Halte à la croissance ainsi que Stratégies pour demain.

Les Ministères de l’Environnement 557 voient le jour dans la plupart des pays développés et avec eux, les premières règlementations sur la protection de l’environnement. La Conférence de Stockholm a lieu en 1972, un moment fort, qui donne naissance au programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). La première préocupation des états participants est, bien évidemment, la pollution (principe du pollueur-payeur). En 1973, un premier plan d’action pour l’environnement est ainsi lancé par la Communauté Européenne au moment même où les premières entreprises lancent des politiques industrielles tenant compte de l’environnement 558 .

Il s’agit du principe d’ingérence écologique 559 qui se traduit par l’élaboration de plans d’action visant la “réparation” et la prévention de la dégradation de l’environnement

‘Au fur et à mesure que, lors de ces prochaines décennies, s’aggravera la détérioration de l’écosystème mondial, l’environnement deviendra un enjeu prioritaire de la politique internationale. Les institutions, les entreprises, les nations les plus puissantes accapareront de plus en plus le débat, les activités et les fonds consacrés à la protection de l’environnement.”(PUCKETT, 1995 :75)’

En ce début de siècle, on peut dire que l’Écologie de la gestion des ressources naturelles mobilise des acteurs venus de la plupart des disciplines scientifiques. On est donc en droit d’attendre de cette phalange de chercheurs, motivés et encouragés par la synergie des pratiques interdisciplinaires, qu’ils donnent aux sciences de la Terre un élan décisif en matière d’écologie, d’environnement et de pollution (altéralogie)

Le futur paraît s’orienter vers le rassemblement des disciplines et l’on voit, entre autres, les physiciens, les géochimistes, les écologues biologistes, les ingénieurs, mobilisés sur les questions de l’environnement. Par exemple, différentes disciplines 560 se partagent la tâche de mieux comprendre la circulation des océans, leurs caractéristiques chimiques et biologiques. La synergie de ces recherches laisse prévoir la mise en place des processus de conceptualisation et de productions terminologiques communes.

Les recherches en écologie, environnement et pollution (Altéralogie) feront du XXIes, le siècle des sciences de la Terre, transdisciplinaires, ouvertes au partage et à la diffusion de la connaissance. C’est la conséquence de la prise de conscience de trois impératifs : la connaissance, le dévelopemment et la survie 561 .

Le domaine de la présente étude s’inscrit précisément dans le cadre de ces “enjeux prioritaires” qui sont le motif central de tout programme de R&D. Aujourd’hui, on sait qu’il est impossible de comprendre sans agir 562 . Pour ces enjeux on doit prendre en compte les liens étroits entre Sciences de la Terre et Sciences de l’Homme. Ils sont l’objet de l’attention vigilante du grand public et ont acquis une audience politique internationale. On peut citer, entre autres : la mise en évidence de l’effet de serre 563 , du “trou” dans la couche d’ozone 564 , du cycle de l’eau, du cycle du carbone, les notions de catastrophes naturelles et de catastrophes technologiques 565 , l’attention portée aux nouvelles espèces, à l’énergie et aux matières premières, à la toxicologie de l’environnement, aux pollutions, aux pluies acides 566 , à la contamination 567 , etc.

Si les mécanismes qui déterminent les différentes pollutions ont pu être décelés grâce aux principes de l’écologie scientifique, adoptés par l’altéralogie, l’accélération des recherches et les applications en dépollution est due, en grande partie, à l’interaction des connaissances sur la pollution avec des domaines qui possédaient les réponses adaptées. Par exemple, les connaissances qu’on a aujourd’hui sur la pollution des eaux souterraines ont été acquises grâce, notamment, aux acquis de l’hydrogéologie, de l’hydrogéochimie, de l’hydrobiologie. Quant à l’’altéralogie, elle sert de base aux recherches sur la Pollution, domaine d’expérience qui présente des spécificités conceptuelles propres, au sein des différents secteurs d’expérience incluant la dépollution 568 . Cette partie, jusque là immergée, de l’iceberg écologique, apparaît au grand jour grâce à la nouvelle approche des sciences de l’environnement.

Ainsi, le contrôle de la pollution qui est d’abord un concept stable (ensemble d’actions visant à diminuer et à prévenir la pollution) se manifeste aujourd’hui dans des activités de recherche (et ensembles terminologiques) aujourd’hui mis en oeuvre, à savoir : le monitoring, les systèmes de traitement d’effluents, le recyclage, les technologies propres, la fiscalité, la prévention, la récupération, la décontamination, etc.

L’Âge écologique, intégrant toute une problématique conceptuelle autour de l’environnement, coincide avec l’éclatement de la première bombe 569 à fission nucléaire, en 1945 dans le désert du nouveau Mexique. Un profond traumatisme écologique s’est installé alors, en provoquant des peurs chroniques sur une menace d’extinction de la vie, ce qui a conduit certains états à financer des recherches en écologie. En vérité, la liste des menaces contre l’équilibre écologique n’a cessé depuis de s’allonger 570 .

Notes
548.

D’aucuns la considère même la science base de l’environnement.

549.

L’étude de la nature, d’abord qui était utile et à sa place, ensuite classer en tableaux uniques et finalement comme structure de communautés et d’écosystèmes.

550.

Jean-Paul Deléage (1993) présente l’écologie scientifique comme une des matrices de la pensée écologique moderne.

551.

Où la théorie économique qui tient compte de la préservation des ressources en intégrant le coût de l’environnement dans l’économie (rapports éthique et développement). Lié au biocentrisme (principe directeur en éthique de l’environnement) ; concept créé en 1973 par A. Naes, du courant Deep Ecology qui préconise une remise en question du paradigme économique actuel et prône la révolution de tout le système économique, politique et social.

552.

Les catégories sont l’habitat, le régime alimentaire et les habitudes propre à une espèce déterminée.

553.

On le trouve dans le Larousse, définit comme étant la défense du milieu naturel et la protection de l’environnement. Il s’agit, d’une part, des mouvements de défense de la Nature, d’autre part il s’est constituée en une idéologie qui lutte pour une société respectueuse de l’équilibre écologique. Au niveau scientifique, il est question d’écologie humaine ; et, en tant qu’idéologie, de l’écologie politique.

554.

En 1963 un ministère Poujade déchaînera les passions.

555.

Deléage affirme (1993) que la tradition qui dirige l’enseignement supérieur et l’e système scientifique, encore très attachés, par exemple, aux théories phytosociologiques, aux idées positivistes avec l’éclatement d’écoles et de disciplines, est la responsable de ce manque d’intérêt ou de méconnaissance sur les recherches faites ailleurs sur ce domaine de connaissances et d’expérience.

556.

Depuis les années 1960, le contexte scientifique institutionnel était favorable à l’introduction des questions sur l’écologie/environnement en France. Déjà en 1964, le Centre interdisciplinaire de socio-écologie fut créé ; en 1965 J. Dorst plublia La nature dénaturéeet La force du vivant (qui fait l’apologie de la civilisation écologique); en 1966 J. Ternisien adressa un Rapport au Ministère de la recherche sur les problèmes d’environnement, notamment la pollution par le soufre et les hydrocarbures ; la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) fut créée ; en 1969 le gouvernement lança les cent mesures pour l’environnement.

557.

En France, en 1971 (R. Poujade, ministre délégué auprès du premier ministre, chargé de la protection de la nature et de l’environnement). Entre 1974 et 1977, les questions sur l’environnement firent partie des responsabilités du Ministère de la Culture ; en 1976 du Ministère de la Qualité de Vie, en 1978 du Ministère du cadre de Vie, en 1981 de celui du Tourisme et, en 1983, B. Lalonde occupa les fonctions de Poujade. En 1991 réapparaît un véritable Ministère de l’environnement avec une certaine autonomie.

558.

Comme par exemple, IBM ou Philips.

559.

C’est la perspective de l’écologie profonde. Lors du sommet de Rio, Michel Rocard lança cette idée de “devoir d’ingérence écologique”. Les acteurs de cette ingérence peuvent être de deux ordres : publics, les États ou l’ONU, et privés, les ONG et les individus.

560.

Comme, par exemple, l’océanographie, la géochimie et la biologie.

561.

Cf. également l’Appel d’Heidelberg aux chefs d’État et de gouvernement.

562.

Penser globalemen, agir localement (René Dubos), pensée appliquée à l’enseignement scientifique. Lindeman, E. et H. Odum sont leur défenseurs, préconisant une étroite fusion de la théorie et de la pratique. V. aussi Nous n’avons qu’une terre de R. Dubos et B. Ward..

563.

Le terme fut utilisé pour la première fois par l’ingénieur G. Callender en 1938 pour désigner le rapport entre l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et le rechauffement de la terre.

564.

La théorie de la régulation thermique intéressait les scientifiques depuis le XVIIes. Exemple : H.B. de Saussure, Joseph Fourier (Mémoire sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires, en 1824) ; Svante Arrhénius également en 1896. En 1956, G. Plass considérait que le CO2 contrôle le climat de la Terre, donc, trop de CO2 augmente sa concentration provoquant l’effet de serre. Ce sont les américains Molina et Rowlaud qui suggèrent (1974) que les CFC peuvent s’attaquer à l’ozone stratosphérique. Ces produits sont aujourd’hui interdits.

565.

Une catastrophe est un événement aux conséquences désastreuses, résultat de causes naturelles ou anthropiques. La catastrophe écologique est un événement désastreux d’origine naturelle et/ou anthropique qui exerce des effets sur des grandes surfaces et pendant longtems. Elle se divise en catastrophes naturelles comme les séismes ; et en catastrophes technologiques comme l’accident de Tchernobyl, la pollution radioactive, les explosions dans les installations industrielles (type Seveso), accidents d’ouvrages de génie civil, etc.

566.

C’est l’acidification de l’atmosphère dû à l’action de l’Homme, résultat de l’augmentation des émissions d’oxyde de soufre (SO2) et d’oxydes d’azote NOx (NO et NO2). Cette acidification charge l’eau de pluie en acide sulfurique H2SO4 ou acide nitrique HNO3, qui à son tour se dépose sur le sol, donc sur les végétations (la mort des forêts). Ce terme surgit en 1872 avec le chimiste R.A. Smith.Ce phénomène commença à être pris au sérieux vers 1940 en Suède.

567.

Souvent confondu avec le concept de pollution, ce terme désigne le “Transfert et propagation d’un polluant physique, chimique ou biologique”(NF X 30-001). La contamination peut être le résultat d’une pollution, le terme indique le processus par lequel une communauté (par exemple, les êtres vivants) s’est exposée à certains types de polluants ayant comme conséquence soit une contamination interne soit une contamination externe. La contamination est strictement liée à la problématique des chaînes trophiques.

568.

On peut citer des concepts (processus et techniques) comme monitoring des polluants, monitoring chimique, monitoring biologique, etc.

569.

Le projet Manhattan (1942).

570.

En 1958 fut créé le Comité d’information nucléaire. Des scientifiques américains s’inquiétaient des retombées atomiques. C’est également l’année géophysique internationale (la problématique des cycles biogéochimiques et la constatation de la perturbation du cycle du carbone par l’action anthropogénique). Au niveau des publications, le livre de Rachel Carson (1962) fit beaucoup de bruit ainsi que les constats de Paul Erlich en 1968 sur l’explosion démographique (bombe P). Jusqu’aux années 1970, les principales menaces étaient non seulement liées à l’épuisement des ressources naturelles, mais également des accidents qui ont marqué l’opinion publique, les politiques et les scientifiques : la dévastation de l’atoll de Bikini, la contamination de l’atmosphère par le strontium 90, les dommages génétiques, les retombées radioactives, les gaz d’échappement, les déchets, les métaux toxiques, les marées noires, etc. Si à ce moment-là la pollution était encore locale, dix ans après elle devint globale.