7.3.3 La Pollution : domaine d’expérience de l’altéralogie

Depuis quand l’humanité est-elle confrontée aux pollutions ? Depuis l’époque protohistorique et dès que l’Homme s’est sédentarisé sont apparues des pollutions très localisées 588 . Bien plus tard, l’urbanisation favorisa “le tout à la rivière” et l’entassement dans les rues des ordures ménagères.

L’Antiquité a ignoré les questions de pollution car les citadins et les villageois se contentaient d’un confort plus que médiocre et peu générateur de déchets. C’est à partir du Moyen Âge classique (XIIes) que la poussée démographique en Europe, entraînant la multiplication des villes-cités, revèle la face sombre de l’urbanisation anarchique : l’étroitesse des rues, les déchets dans les voies publiques, l’absence de systèmes d’égouts, le manque d’hygiène corporelle, la prolifération des pestes, etc. Il faudra attendre la seconde moitié du XIXes, pour que les édiles s’avisent de la nécessité des grands chantiers d’assainissement non sans arrière pensée politique policière (le préfet Haussman et les grands boulevards).

Mais dès cette époque on prend conscience des dégâts causés par les pollutions 589 . Par exemple, les scientifiques attiraient l’attention sur l’utilisation irréflèchie de l’eau, des sols ou des ressources forestières.

Simultanément, la pollution industrielle prend le relais de la pollution domestique : remplacement du charbon du bois de chauffage par les combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole) et mise en oeuvre de l’énergie atomique. Mais c’est à la pollution atmosphérique 590 que revient la palme des nuisances dans les grandes villes industrielles.

Le XXes diffuse une idée plus forte, celle de pillage de la nature par l’homme 591 , la pollution étant liée, en toutes circonstances, dans l’esprit des gens, aux notions de dégradation 592 , de catastrophe, et, de nos jours, de crise globale de l’environnement.

Quant aux scientifiques, ils sont de plus en plus nombreux à accorder à la pollution une place de choix dans leurs observations. Ainsi, à propos de la pollution par le plomb 593 , C. Patterson faisant des recherches en géologie, sur l’âge de la terre, remarqua que le plomb excédait le taux normal dans tous les échantillons observés. Il arriva, finalement à la conclusion que la cause était le plomb tétraéthyle utilisé comme antidétonant 594 (dans l’essence). Ces analyses ont servi de modèles pour d’autres qui ont considérablement fait évoluer les connaissances sur les processus de pollution 595 .

D’autres types d’événements ont contribué, également à l’approfondissement des connaissances en pollution. Il s’agissait des accidents dont peu à peu les scientifiques et les États retiraient des enseignements. On pense par exemple, à l’accident de Minamata : la contamination 596 des poissons par le mercure (sous forme de composés d’hydrocarbures rejetés par l’usine), transmise aux hommes chez lesquels la concentration de mercure provoqua une maladie nerveuse considérée comme léthale. Ou alors, l’accident dans l’usine de Bophal, la fuite de l’isocyanate de méthyle, à cause de négligence et de question de sécurité, responsable de milliers de morts, etc 597 .

Ainsi, on peut dire que la dernière moitié du XXe siècle est celle de la pollution planétaire et de la dégradation constante de l’environnement, avec des conséquences sur les écosystèmes. Des questions de civilisation et de devenir des êtres vivants sont à nouveau au centre de la pensée philosophique, l’écologie se teinte des couleurs des doctrines humanistes.

Pour une étude de la Pollution on peut considérer, pour des questions de structuration conceptuelle, que l’écologie travaille avec deux types de disciplines, les disciplines monographiques (physique, chimie, etc.) et les disciplines sociologiques (climatologie, météorologie, etc).

Pour comprendre la pollution, il faut une fois de plus se tenir aux principes de l’écologie systémique. Cela veut dire qu’il faut tenir compte de la nature et de la fonction des écosystèmes, des caractéristiques spécifiques de la biosphère et de ses rapports avec l’hydrosphère, la lithosphère, la pédosphère et l’atmosphère.

Une analyse systémique suppose, de fait, un bilan du flux d’énergie, un bilan de la matière, de l’espace utilisé, et du budget temps. En somme, il s’agit d’une méthode d’analyse qui considère l’ensemble des éléments en interaction, et en fait un objet d’étude.

Chaque écosystème est soumis aux lois énergétiques du monde physique. Il faut comprendre la circulation, la transformation et l’accumulation de l’énergie et de la matière, dans les éléments vivants. À partir de ce constat, on peut comprendre les effets créés par la dégradation de l’énergie, ainsi que les interférences dans les cycles biogéochimiques qui assurent, à l’échelle de la biosphère, la régénération et le renouvellement des éléments chimiques indispensables à la vie.

Nous avons déjà longuement exposé tous ces principes écologiques. Maintenant, il faut rapprocher les phénomènes dits normaux des dysfonctionnements survenus et mesurer les écarts. C’est là où l‘étude de la pollution devient interdisciplinaire 598 (l’écologie systémique et la chimie, par exemple) et pluridisciplinaire (l’hydrologie, la géographie physique et humaine). Il faut comprendre les mécanismes et les formes par lesquelles les altéragènes circulent dans l’environnement, en générant de la pollution et comment ils se concentrent dans les êtres vivants, en provoquant les contaminations. De quoi a-t-on besoin, finalement, pour analyser la pollution ? On a besoin de comprendre les mécanismes de rupture des cycles biogéochimiques ainsi que les modifications totales du flux d’énergie. Ici, nous avons à faire face à une problématique environnementale d’une grande complexité. De plus, l’étude des pollutions doit tenir compte des valeurs sociales, culturelles, institutionnels et politiques.

En général, la pollution est classée dans la branche de la synécologie, mais à l’heure actuelle, elle dépend plus d’un classement qui la rapproche de l’environnement car on traite ici des impacts des activités de l’Homme sur l’environnement. Il n’empêche que, en tant que concept/terme important au sein de l’écologie des écosystèmes, la pollution peut être analysée sous différents angles : au niveau de l’écosphère 599 , au niveau de la biosphère, des biomes et des écozones.

Quant au concept de dynamique des populations, très important en synécologie, il est surtout précieux dans les études d’’écotoxicologie et de noxologie 600 . L’écologie se présente, de fait comme une vision globale de tous les processus qui composent Gaïa, qui seront finalement interprétés par une démarche de synthèse de connaissances diversifiées.

Prenant appui sur l’idée que la pollution est un processus, on arrive à une question fondamentale. Qui produit de la pollution ? Un ensemble de secteurs économiques dont les plus importants sont l’agriculture, l’industrie, la vie urbaine et les transports. C’est pourquoi certaines disciplines intègrent la Pollution dans le domaine de l’écologie humaine à long terme, concernant l’étude du rôle de l’Homme sur la nature et de la nature sur l’homme 601 .

Il est donc plus facile de procéder à une approche de la pollution qui tienne compte des paramètres simples comme le milieu atteint et les acteurs du processus. Cette approche met en évidence l’importance des concepts et des terminologies de la physique, de la chimie et de la biologie pour la détermination et l’analyse des pollutions.

La Pollution, comme processus et comme résultat de la dégradation de l’environnement, peut être divisée en catégories selon son origine, les agents, les effets, les sources et le milieu récepteur.

Il y a des sources ponctuelles (égouts, industries) et les sources fixes (drainage agricoles, véhicules). Les agents peuvent être naturels ou anthropiques. L’origine concerne les vecteurs comme les effluents, les résidus, le bruit, les radiations. Le milieu récepteur définit les grands types de pollution : de l’air, du sol, de l’eau. Les effets concernent les sous-divisions des pollutions : pollution biologique, pollution radioactive, etc.

La Pollution peut donc être analysée, d’une manière assez complète, à partir des sources (local, paysage), les agents et ses conséquences. On peut de la sorte avoir une approche de la pollution par cycles (le carbone, l’eau, etc.) et par acteurs-milieu (interaction végétaux, animaux, hommes, eau, air et sol). En effet, il faut tenir compte de la circulation des éléments dans les écosystèmes : les cycles (pour l’établissement des équilibres). Il s’agit de comprendre et de résoudre les perturbations : par exemple, trop de polluants, provoque un déficit de l’équilibre autoépurateur du milieu acquis grâce aux cycles biogéochimiques.

Si nous mettons en rapport les différents paramètres nous obtiendrons l’adéquation cause et conséquences multiples pour chaque type de pollution. Par exemple, les effluents gazeux sont émis directement dans l’atmosphère, et donc responsables de la pollution atmosphérique, mais aussi indirectement dans l’eau et le sol. En principe, coexistent toujours des atteintes directes et indirectes sur le milieu récepteur.

En effet, on peut bien trouver une typologie de pollutions plus globalisante en se posant un certain nombre de questions : Quoi? Combien ? Comment ? Où ?Nous aurons ainsi comme typologie possible :

En procédant à tous les croisements opportuns, des secteurs pourront également être déterminés : pollution bactériologique, pollution par les hydrocarbures, etc.

Quant aux altéragènes ou substances polluantes 602 on peut les définir à partir de leurs actions et de leur introduction dans les divers milieux. Ici les catégories sont plus vastes :

Les substances chimiques 603 sont composées de substances inorganiques, matières organiques biodégradables et composés organiques non biodégradables.

Le groupe des substances inorganiques comprend les métaux lourds, les acides, les bases fortes, les gaz, les sels. Elles résultent des activités industrielles, provoquant différents dégrés de toxicité et plusieurs formes de propagation (effluents liquides, gazeux et résidus).

Le groupe des matières organiques biodégradables comprend les restes de nourriture, les excréments, le papier, les résidus végétaux. Elles sont la cause de l’épuisement de l’oxygène dans l’eau et dans le sol, provoquant des mauvaises odeurs et l’apparition d’organismes pathogènes ainsi que le phénomène de l’eutrophisation.

Le groupe des composés organiques non biodégradables comprend les substances synthétiques qui induisent des teneurs toxiques et sont le résultat des effluents liquides, gazeux, des résidus d’industrie, de l’agriculture, des transports et des foyers.

Les sources d’énergie ont elles aussi des effets indésirables sur l’environnement : la chaleur qui génère de la pollution thermique (dans l’eau) et les radiations des installations nucléaires 604 .

S’agissant des déchets 605 , l’ampleur des questions qu’ils soulèvent est liée au développement de l’industrie et du consommerisme actuel. Penser à déchet c’est penser à nature et quantité de déchets. C’est la démarche que toute technologie de traitement, de gestion et de prévention doit respecter. Les déchets donnent lieu à des décisions juridiques concernant, notamment, le transport des déchets dangereux (la Convention de Bâle en 1989 606 ), le stockage au fond des mers, ou sur terre, la classification européenne sur les déchets, etc. Les déchets dangereux sont classés par types d’activités industrielles, leur recyclage génère de nouveaux déchets dangereux dans les secteurs de la métallurgie, de la chimie et des plastiques. On est là profondément dans le secteur de l’écologie industrielle 607 .

Revenons maintenant au point de vue terminogénique. La pollution de l’air, par exemple, à quelles sources a-t-elle puisé ses termes ? Sont-ils tous des néologismes ? La pollution a emprunté ses termes à différentes disciplines : l’écologie, la chimie analytique, la chimie organique, la chimie physique, la météorologie, la physique, les branches de l’ingénierie, les branches de la technologie. Il y a aussi création de nouveau termes. Il existe une terminologie internationale normalisée 608 attestant que la pollution de l’air s’est constitué terminologiquement par les emprunts directs et par la néonymie.

Notes
588.

Notamment, la pollution des eaux superficielles et des nappes phréatiques ; les pollutions des ruisseaux d’écoulement des eaux usées domestiques ; la pollution microbienne par des bactéries pathogènes et les substances fermentiscibles, dues au manque d’élimination des eaux urbaines.

589.

La mutation industrielle a provoqué de nouvelles formes de pollution : pollution de l’eau, pollution de l’air, pollution des sols.

590.

En 1873, Londres a été confrontée à la première intoxication collective, conséquence de l’accumilation de gaz de combustion. À titre d’exemple, il est apparu, à cette même époque, la pollution due aux “produits” évacués par l’industrie chimique, l’industrie thermo-électrique et l’industrie du ciment. On peut citer encore d’autres informations intéressantes. Il s’agit du killer fog survenu aux USA en décembre 1912 ou le smog (mélange de suie et de dioxyde de soufre) de Londres en décembre 1962 qui ont tué des centaines de personnes.Le smog est aujourd’hui monnaie courante dans certaines villes comme, par exemple, São Paulo au Brésil.

591.

L’Homme comme “force géologique planétaire” de Vernadsky.

592.

Et donc au concept d’entropie, qui est une fonction mathématique qui définit le principe de la dégradation de l’énergie. Cette dégradation se traduit par un état de désordre continu de la matière. Il faut savoir que dans tout système isolé, l’entropie peut être compensée par des apports d’énergie et de matière. On peut aussi inclure dans ces processus les concepts d’eutrophisation et de dystrophisation, très importants en pollution.

593.

L’américain Ch. Kittering inventa le plomb tétraéthyl en 1921 pour ajouter à l’essence dans le moteur d’explosion. Des cas d’intoxication et des dangers liés au plomb ont été signalés par A. Hamilton, mais sans suites.

594.

En étant volatile, il est évacué avec les gaz d’échappement vers l’atmosphère

595.

D’ailleurs C. Patterson poursuivit ces recherches en vérifiant la présence du plomb dans d’autres écosystèmes. B. Hamelin étudia la présence du plomb dans les coraux ; découverte du saturnisme dû au plomb (mesure de sa toxicité). Avec l’avancée des recherches le plomb fut graduellement interdit dans l’essence.

596.

Selon la norme AFNOR NFX30-001, la contamination est le transfert et propagation d’un polluant physique, chimique ou biologique.

597.

Il ne faut pas oublier que les questions de pollution, ont été presque aussitôt médiatisées. Des fois les réponses des “experts” ont été trop hâtives, scientifiquement insuffisantes. Souvent aussi les politiciens et les mouvements idéologiques ont récupé l’information à leur guise. Cet état de fait emmène à considérer, finalement, que le public est désinformé et souvent trompé.

598.

Les concepts/termes de base de la pollution sont, en grand nombre, constitués de tranferts de la chimie (biochimie), de la phisique et de la biologie, constituant ainsi ses arguments scientifiques pour décrire chaque phénomène. La biochimie, par exemple, est très demandée parce qu’elle peut expliquer les conséquences physiques et biologiques des polluants (produits chimiques) sur l’environnement.

599.

Système qui comprend la biosphère ainsi que les facteurs écologiques qui ont une action sur les êtres vivants. Ce concept fut introduit par Bouché. C’est au niveau de l’écosphère qu’on peut le mieux vérifier l’échange matière/énergie entre les différents réservoirs qui la composent.

600.

L’écotoxicologie est considérée comme une discipline autonome depuis 1960 (les travaux de Truhaut qui préconisait l’importance des recherches sur les conséquences des produits chimiques dans les écosystèmes, mais il l’appliqua surtout en ce qui concerne la toxicologie humaine. C’est, donc, un domaine qui s’intéresse aux effets écologiques (indirects) et toxiques (directs) des polluants chimiques sur les populations, les communautés et écosystèmes. L’écotoxicologie étudie le transfert, la transformation et la dégradation des polluants chimiques dans l’environnement. L’écotoxicologie est un domaine traité par des scientifiques comme Moriarty et Ramade qui développent des études sur les effets des produits chimiques et les rayons ionisants sur tous les écosystèmes. La noxologie est présentée dans la norme NF X30-001 comme un néologisme, défini comme l’étude de l’action d’un altéragène (nuisances) qui comporte un risque notable pour la santé, le bien-être de l’homme ou qui peut atteindre indirectement celui-ci par des répercussions sur son patrimoine naturel, culturel ou économique. Il faut également tenir compte de l’écochimie qui traite de l’impact des produits sur l’environnement (questions d’écotoxicité, indices biologiques, etc.).

601.

Elle est issue des théories de l’anthropogéographie, d’influence allemande (depuis le XIXes avec Ritter, Humbold, Radtzel) et influencées agalement par les théories d’éthnoécologie, par exemple de Elmer Ekblaw et ses recherches sur les peuplades polaires, et finalement l’école française de géographie humaine de Paul Vidal.

602.

L’Union Européenne a repertorié plus de 1500 substnaces potentiellement polluantes.

603.

La classification des substances chimiques fut notifiée en 1988. Dans cette classification normalisée à une même substance on peut attribuer deux ou plusieurs catégories de dangers : toxiques, très toxiques, corrosives, nocives, etc.

604.

C’est sur les niveaux de concentration et des missions polluantes que la législation est la plus riche et complète. Il s’agit ici du concept de controle de la pollution qui définit l’ensemble des actions qui visent à diminuer et à prévenir la pollution. La terminologie qui concerne ce secteur est composée d’une vaste nomenclature, où les termes simples, les symboles et les formules coexistent

605.

Le déchet est défini dans un contexte très juridique, par la Directive européenne 91/156/EEC (art. 1) : “toute substance que le propriétaire abandonne, destiné à l’abandon ou se trouve dans l’obligation de se débarasser”. En guise d’illustration, les déchets nucléaires sont classés par catégories : les déchets de catégorie A (avec une demi-vie de moins de trente ans), les déchets de catégorie B (avec une demi-vie de plus de trente ans) et les déchets de catégorie C (de longue vie). Ces déchets sont également classés par site de stockage et mode de traitement. Dans la présente analyse terminologique nous avons inclus la terminologie de ces déchets mais l’analyse de la pollution nucléaire n’a pas été prise en compte. Ce type de pollution dépasse largement le cadre de l’altéralogie et s’est constitué en discipline : la radioécologie (E.Odum) ou l’étude du cheminement et du devenir des radioéléments libérés dans l’environnement et a pour but de déterminer depuis les sources d’émission les voies air, eau, sol, chaînes alimentaires et modalités d’atteinte de l’Homme.

606.

Les déchets toxiques étaient acheminés, par exemple, vers la Guinée Bissau et l’Angola, placés dans des décharges à ciel ouvert. La Convention de Bâle impose un contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination.

607.

Fait partie des écoindustries. Les principes économiques de récupérer, réduire et recycler.

608.

Cf. le Glossaire de la Pollution de l’air, du bureau régional de l’OMS.