9.2 Les termes de la pollution : système de désignations de concepts

Le terme se plie, de départ, aux conventions et aux codes langagiers qui régissent la spécialité à laquelle il appartient. Le terme est, de surcroît, soumis aux règles linguistiques qui régissent toute langue. En fin de compte, le terme fait partie intégrante de la grammaire d’une langue générale et entretient avec les termes de son entourage des relations privilégiées.

Nous avons analysé les termes de la pollution dans leur cadre conceptuel et sémantique, il nous reste désormais à approfondir cette analyse sous l’angle morphosyntaxique.

Les termes font partie des discours spécialisés et comme tels on les traite comme des mots en les articulant, en les représentant graphiquement avec le plus grand soin, et en leur attribuant “une identité”. Ils possèdent, effectivement, un “corps” constitué de morphèmes 738 , révélateurs d’une nature. À ce titre, les termes exercent une fonction et se distinguent par un comportement 739 particulier. Ils sont liés intrinsèquement à la mouvance de chacune des recherches dans les domaines particuliers auxquels ils appartiennent. Ils sont prêts à subir des transformations, à passer le relais à d’autres termes et même à être sollicités pour d’autres usages. Finalement, ils sont les auxiliaires précieux de l’affirmation des discours spécialisés et de leur audience.

Les termes sont les produits de la conceptualisation. Comment les fabrique-t-on ? En utilisant les mécanismes qui servent à la construction des mots de la langue commune. Ces procédés sont de nature sémantique, formelle et fonctionnelle (Cabré, 1993).

Un mot, existant dans la langue commune ou dans un domaine spécialisé, peut servir de base à une nouvelle unité, en procédant simplement à des changements, réductions ou élargissements du sens premier (phénomènes de spécialisation sémantique et de terminologisation). Le terme peut aussi simplement être transférer d’une autre langue.

Une nouvelle forme peut être créée par combinatoire. On peut unir des bases lexicales et des affixes, deux ou plusieurs bases lexicales. Il s’agit des procédés de dérivation, de composition et de la composition syntagmatique.

On agrandit des mots mais on peut également les réduire par des procédés, notamment, de troncation, de siglaison, de brachygraphie, d’abréviation, de mots-valises.

Approfondissons un peu plus ces réflexions, en commençant par ce dernier procédé. La troncation se reporte à des unités lexicales qui sont le résultat de différents phénomènes de suppression, surtout l’apocope. Elles sont le produit de la tendance à l’économie linguistique au moment où le concept et le terme qui le désigne ont acquis une stabilité sûre facilitant leur emploi généralisé dans le discours. Par exemple, l’ellipse du régissant en un (agent) polluant, procédé fort répandu en langage spécialisé.

Les sigles 740 sont des formes abrégées par les initiales des éléments qui constituent une unité composée comme l’acronyme RIMA pour Relatório do Impacto Ambiental, MARN pour Ministério do Ambiente e dos Recursos Naturais. Ce sont des signes nouveaux, souvent très vite lexicalisés mais qui n’apportent pas plus de sens que leur forme développée.

Les abréviations et les mots-valises sont également très répandus dans les modernes langages spécialisés. L’abréviation reproduit la forme initiale d’une unité, le mot-valise combine généralement deux segments (apocope du premier élément et aphérèse du second) d’un composé syntagmatique (terminologie informatique > terminotique).

Quant aux brachygraphies (formes graphiques concises) ce sont des expressions généralement non linguistiques, ou des unités qui ne sont pas totalement articulées, composées d’éléments qui peuvent être, notamment, des combinatoires de lettres, de chiffres et de symboles. À titre d’illustration, quelques variantes brachygraphiques idéographiques très employés en pollution/poluição :

Ces variantes brachygraphiques peuvent également se combiner avec des lexèmes pleins :

Les brachygraphies fonctionnent en discours comme les autres unités et se limitent essentiellement à la catégorie Nom.

Pour ce qui est de la dérivation, et particulièrement la dérivation affixale, elle consiste dans l’addition d’un préfixe ou d’un suffixe, ou les deux, à une base lexicale pour former un terme 741 . Il s’agit d’un procédé très utilisé en langage spécialisé. Par exemple, les formations par suffixation dans la nomenclature chimique, le développement des suffixations assez contrôlées (par exemple du type -cide) ou bien alors le cas de la productivité du suffixe nominalisateur en portugais, sont des exemples qui attestent du rôle important de la dérivation dans la construction des discours spécialisés. Notons que souvent ces formes dérivées sont des noyaux pour la formation de nouveaux éléments et pour la constitution, de fait, de paradigmes classificatoires d’une terminologie, comme par exemple : indicateur, indicateur de pollution, indicateur biologique de pollution, indicateur biologique de contamination, bio-indicateur (bioindicateur) ; indicador, indicador de poluição.

On peut encore considérer le procédé de dérivation par création de noms déverbaux 742 , également très fécond en français et en portugais. La dérivation impropre, non affixale, ou plus précisément, la conversion 743 est un procédé syntaxico-sémantique ; la forme du dérivé ne se modifie point mais la catégorie grammaticale change. Ce sont les phénomènes de type noms propres devenus noms communs, adjectifs devenus substantifs et vice-versa, verbes devenus substantifs, etc.

La composition consiste à combiner des bases lexicales. La composition peut être le résultat de la combinatoire de bases lexicales de la langue commune (poluidor-pagador, bien-être), de formants gréco-latins 744 ou bien des deux.

En synthèse, les termes d’un domaine spécialisé peuvent être simples ou complexes selon le nombre de morphèmes qui les structurent. Ils peuvent être dérivés ou composés et s’intégrer, de surcroît, à des séries terminologiques spécifiques, contribuant ainsi à la structuration d’une syntagmatique spécialisée. Dans le discours spécialisé le terme apparaît, essentiellement, dans sa fonction de substantif. Néanmoins, d’autres catégories grammaticales y sont bien représentées. Nous trouvons, de même, des adjectifs, des adverbes et des verbes.

Notes
738.

Le morphème est la plus petite unité de signification. Pour Martinet, il s’agit de monème. Il distingue le monème lexical ou lexème (cf. aussi Pottier) qui fait partie d’un système ouvert, et les monèmes grammaticaux ou morphèmes (grammèmes de Pottier) qui font partie d’un système clos. Les morphèmes peuvent être libres quands ils fonctionnent en toute indépendance et liés (affixes) ou monèmes conjoints.

739.

On définit les lexies (simples, complexes,...) comme étant des unités de comportement, mémorisées en compétence et disponibles pour l’actualisation. Les lexies complexes ou bien les syntagmes, outre leur caractère d’unité de comportement elles se présentent comme des unités de fonctionnement. Pour Müller les lexies correspondent aux lexèmes.

740.

Les sigles dans les langues romanes sont le résultat de l’influence de l’anglais. De départ il s’agissait d’emprunts, souvent des calques : OTAN en français et NATO en portugais.

741.

Dans certains cas la dérivation par préfixation est pour certains une dérivation par composition (préfixes ayant le rôle de formants ; préfixes, adverbes ou autres mots du grec et du latin). L’ajout du préfixe ne modifie pas la catégorie grammaticale de la base (les noms pollution/dépollution), en revanche, l’ajour du suffixe crée des néologismes morphologiques (polluer-verbe/pollution-nom/écologiquement-adverbe). À considérer également la dérivation parasynthétique qui est l’adjonction d’un préfixe et d’un suffixe à une base : déforestation. La dérivation est très productive en français et en portugais, il existe une utilisation ordonnée de séries d’affixes.

742.

La dérivation régressive est un procédé de réduction (apocope) de la lexie de base. Elle forme des noms à partir de verbes.

743.

Comme par exemple verde (adj.) o verde (subst), poluente (adj.); (o) poluente (subst). La conversion et son résultat sont, à notre avis, intimementliés à la lexicalisation. Le figement des termes comme le polluant/o poluente peuvent attester de ce parcours concertée.

744.

C’est la composition savante, aussi dénommée recomposition ou confixation (juxtaposition de racines ou radicaux grecs et latins). Les deux bases respectent un ordre et ont une fonction : le déterminant (élément dépendant de l’élément nucléaire) et le déterminé (élément nucléaire). Exemples : biocide, écologie, noxologie, agrotóxico, ecoveneno, agro-veneno, ecossistema. Ce type de composition se réalise en combinant des bases autonomes ou non autonomes. Le déterminant est subordonné au déterminé. Les produits d’une composition savante peuvent être concurrencés par des termes en composition syntagmatique : sistema ecológico, poluição hídrica, (déterminé/déterminant)