9.2.2 À propos de la néonymie et l’origine de termes

Il importe maintenant de nous pencher sur la question qui concerne l’adoption de termes par un domaine d’expérience avide de résoudre des besoins conceptuels/dénominatifs et/ou d’actualisation et d’affirmation scientifique et technologique.

Ainsi, pour aborder brièvement la question de la néonymie 774 on peut dire qu’une terminologie peut être créée par différents procédés terminogènes. D’abord, on peut construire des unités terminologiques par l’application de règles de formation lexicale comme celles que nous venons de décrire dans les paragraphes précédents. Ensuite, un langage spécialisé peut profiter de son propre code linguistique en terminologisant des mots. Enfin, il peut tout aussi bien faire appel aux opportunités offertes par le code terminologique du même domaine dans une autre langue ou bien aux interactions terminologiques entre domaines.

Telle qu’elle est la néonymie, l’est à la fois d’origine et de tranfert. C’est une néonymie programmée. Elle doit répondre aux besoins de monoréférentialité, aux exigences du domaine, d’évolution et de stabilité terminologique, d’intention (inter)communicative (Rondeau, 1986) 775 .

Le processus de transfert d’unités terminologiques est un acte volontaire, sélectif et pondéré. On peut importer des unités d’une autre discipline (néonymie d’emploi), créer un concept/terme ou emprunter les unités spécialisées dont on a besoin à d’autres langues (néonymie morphosyntaxique). Dans la perspective que nous avons développée jusqu’ici les modèles d’emprunt qui nous intéressent sont non seulement ceux qui ont trait aux concepts/termes qui passent d’une communauté scientifique vers une autre, dans la même langue ou vers un autre code linguistique, mais aussi l’adaptation et la traduction par le biais de programmes d’harmonisation terminologique.

La néonymie de transfert correspond, grosso modo, aux phénomènes d’emprunt, et notamment, aux pratiques d’adaptation et de traduction 776 . L’emprunt résulte du contact entre langues et, globalement, désigne toute une série de transferts linguistiques. Ainsi, l’emprunt fait apparaître une unité nouvelle sans faire appel à des éléments lexicaux préexistants dans une langue. L’emprunt reflète non seulement les phénomenes d’interdisciplinarité et de transdisciplinarité mais également l’influence scientifique, technologique et sócio-économique qu’une nation ou une culture technologique peuvent exercer sur une autre.

Quemada (1978 ) estime que l’emprunt “est la forme de néologie qui mieux reflète le plus directement l’évolution des faits et des choses” et, à son tour, A. Rey (1992) souligne que l’emprunt “ dénomme le concept et connote son origine”.

Les conditions qui permettent l’avènement d’un emprunt sont, entre autres, les “affinités électives” entre la langue donneuse et la langue emprunteuse, son utilité, la facilité de son intégration au sein d’un paradigme. Il peut être introduit progressivement et acquérir un caractère actif dans les structures de la langue emprunteuse au niveau, notamment, phonologique, graphique, morphosyntaxique et sémantique. Un emprunt a réussi son intégration dès lors qu’il est prêt à former des dérivés et des composés, c’est-à-dire, qu’il s’adapte aux caractéristiques morphosyntaxiques de la nouvelle langue. Il devient à son tour un élément lexicalement productif dans le discours, confirmé par l’usage et dictionnarisé 777 .

En ce qui concerne l’idée de transfert linguistique, on considère que quand il y a importation du concept et de sa désignation il s’agit d’un transfert total. Quand le transfert n’est pas total il peut y avoir du calque qui est un emprunt caractérisé par le maintient d’un signifié avec une transformation, par traduction ou adaptation phonologique et morphologique, du signifiant. Quoiqu’il en soit l’emprunt est une manière de rechercher des équivalences entre langues. Comment s’intègre-t-il ? On peut, notamment, l’intégrer sans changement (um upgrade), avec adaptation phonologique et morphologique (anglais aerosol, français aérosolet portugais aerossol 778 ).

L’emprunt peut être analysé et classé à partir de perspectives différentes et/ou complémentaires. Ainsi on peut l’analyser sous divers angles : l’origine 779 , la phase d’adoption 780 , la forme d’adoption 781 et sa fonction ou intention communicative 782 .

En pollution l’écart entre la néonymie d’origine et la néonymie d’appoint 783 n’est pas significative. En revanche, en poluição la part de la néonymie d’appoint est nettement supérieure à celle de la néonymie d’origine, et spécialement, pour des raisons politiques (intégrations dans l’UE) et de rattrapage d’un retard scientifique et technologique.

Il y a en pollution/poluição un grand nombre de termes empruntés à d’autres domaines : emprunts directs avec un sémantisme extensif. Il y a également des nouveaux termes empruntés à la langue commune pour former des unités complexes nées à partir des termes-clés de la pollution ainsi que des calques, notamment à l’anglais (demi-vie) pour ce qui est de la pollution/poluição, et au français pour ce qui est de la poluição 784 .

L’ensemble terminologique de la poluição est d’une acquisition plus récente, comme nous l’avons déjà signalé auparavant. C’est une terminologie qui a profité largement, et spécialement, de toute la règlementation et normalisation européennes en matière de types de pollution, de nomenclature des déchets, de typologies de polluants. Quoi qu’il en soit, il y a une recherche d’équivalence entre la pollution/poluição grâce notamment aux travaux d’harmonisation et d’aménagement terminologique européen 785 . Qui plus est, le portugais et le français, langues néolatines, sont des systèmes linguistiques ouverts aux emprunts de systèmes linguistiques dont les structures se ressemblent.

Notes
774.

Le terme néonyme a été créé en 1979 par Cellard et Sommaelt.

775.

L’auteur, en considérant la comparaison entre deux langues parle de néologie au plan intralinguistique et au plan du tranfert. Il dénombre la néologie de forme : signifiant et signifié nouveaux ou signifiant nouveau et signifié existant dans une autre langue ; la néologie de sens : signifiant existant et signifié nouveau (l’emprunt interne) et signifiant existant et signifié appartenant à une autre langue ; le transfert : signifiant et signifié existants dans une autre langue (emprunt externe). On peut, plus globalement considérer qu’il s’agit de trois types de néonymie : néonymie sémantique (par exemple, des termes utilisés dans d’autres domaines et qui ont acquis des sèmes spécifiques au domaine qui les accueille), néonymie syntagmatique (variété de combinatoires, lexicalisations, des unités en voie d’intégration), néonymie par emprunt (interne et externe ; par exemple nevoeiro fotoquímico qui concurrence smog fotoquímico).

776.

Au-delà de ces précisions, il faut avoir bien présent à l’esprit que l’on doit, pour des besoins d’analyse linguistique, tenir compte des questions qui ont trait à la forme et au sens. En effet, il ne faut pas non plus oublier que, au sein même d’un domaine, les termes évoluent aussi. Il y a de l’évolution sémantique liée à l’évolution du concept. Par exemple, le terme pollution indiquait, de départ, une action, aujourd’hui le terme indique également le résultat de cette action, appliqué à la cause qui le produit et à l’objet par lequel le phénomène s’accomplit. Il y a, finalement, de l’évolution formelle par création ou modification de formes.

777.

L’emprunt est généralement un nom, plus rarement un adjectif ou un verbe.

778.

Le portugais du Brésil préfère aerosol, avec adaptation phonologique.

779.

Il s’agit de trois types d’emprunts : intime, dialectal/culturel, externe. Voir, notamment, Bloomfield.

780.

Il y a plusieurs degrés d’adoption : maintient du mot étranger/xénisme et emprunt. Le xénisme, par exemple, est un type d’emprunt dont la forme se maintient dans la langue emprunteuse. D’ailleurs, le signifié n’existait pas non plus. D’aucuns distinguent le “pérégrinisme” comme la phase de diffusion qui précède le xénisme.

781.

Voir, notamment, Nelly de Carvalho, Ieda Alves, David Crystal (cf. Bibliographie). N. de Carvalho, par exemple, fait référence à la forme de dérivation qui peut être directe (insecticide/insecticida) ou indirecte quand l’emprunt a un ou plusieurs langues intermédiaires entre la langue exportatrice et la langue d’importation (ecology (anglais), écologie (français), ecologia (portugais)) ; quant à la forme d’adoption l’auteur fait référence au calque, comme un des modèles les plus utilisés. L’emprunt peut également être simple ou composé, complet et incomplet. D. Crystal les classe en partant de la forme d’adoption et propose toute une typologie ou degrès d’emprunts : “loanwords” (importation du signifiant et du signifié avec adaptation phonologique ou importation de morphèmes sans substitution), ou alors un emprunt mixte (importation de morphèmes avec substitution partielle) ; “loanblends” (importation du signifié et une partie du signifiant - biodegradable/ biodegradável ; “loan shift” (importation du signifié mais un signifiant de la langue commune) ; “loanshift” (substitution totale de morphèmes entre le terme souche et le terme cible : emprunt par substitution); “loan translation “ c’est le calque, résultant d’une traduction littérale, d’une expression ou d’une acception (antipolluant/ antipoluente). En somme, les emprunts peuvent dans cette perpective, être directs ou indirects, des calques ou des unités adaptées et incorporées par le biais de transformations au niveau phonologique, graphique, morphosyntaxique, sémantique.

782.

Il s’agit de l’emprunt dénotatif et de l’emprunt connotatif. Voir, notamment, les travaux de Guilbert.

783.

Voir Rondeau (1984), notamment paragraphes 1.2 et 5.1.2.3.1.

784.

On peut facilement détecter en pollution les emprunts internes (aux domaines connexes et à la langue commune) et les emprunts externes (surtout à l’anglais). Pour la poluição nous sommes plutôt en présence d’emprunt externes.

785.

La règle générale c’est l’harmonisation conceptuelle et terminologique. Le plus souvent il s’agit de traductions littérales, avec adaptation au système phonétique et changement graphique : pollution- poluição, etc. Malgré cette apparence d’équivalence totale, la relation entre les deux systèmes linguistiques reste anisomorphe, et notamment, au niveau des applications technologiques.