c). Ecriture d’une mort déplacée

Comme nous l’avancions précédemment avec hâte, la mort de Vincent Van Gogh est traitée dans la durée. Si la mort du peintre a été préparée (ou annoncée) et condensée en trois moments, si le récit est en partie structuré sur ces trois phases d’écriture et si, comme nous l’avons analysé dans les pages précédentes, la disparition du peintre a été particulièrement écrite dans la longueur, il faut noter également, que le moment définitif, (celui qui présente l’artiste sur son lit de mort, dans les toutes dernières heures de sa vie), a également été traité dans la durée, sans qu’aucune ellipse temporelle trop brutale (ou trop radicale), ne vienne déranger le déroulement de cette mort qui semble ainsi, ne jamais vouloir s’imposer. Les séquences montrant le peintre sur son lit, sont en fait montées en fonction des différents épisodes qui se déroulent au sein de l’auberge.

Vincent Van Gogh est montré avec différentes personnes qui viennent lui rendre visite mais surtout, sa mort est rythmée par les repas qu’il prend ou qu’on lui propose sans qu’il y touche. La vie de l’auberge reprend son cours même si un homme se meurt au premier étage et ce décalage, filmé par Maurice Pialat qui ne s’attarde pas forcément sur la souffrance du peintre, prouve que la narration se construit sur deux niveaux (la vie de l’auberge et la mort lente du peintre) ; d’ailleurs nous verrons plus loin qu’il décale (déplace) tellement son discours que la souffrance de l’artiste sera vécue ailleurs, par une autre personne qui nous fera vivre la violence de cette disparition. Cette mort sera vraiment vécue et représentée (contre toute logique) au sein de l’auberge et non dans la chambre.

La temporalité de la longue séquence de la mort, s’organise autour de ces repas ou ces visites et le peintre mourant reste couché, devenant presque un personnage secondaire dans la mesure où il reste inactif et silencieux au milieu d’autres personnages qui se succèdent à son chevet, qui parlent, qui bougent, qui mangent...qui vivent. Seule Marguerite Gachet ne se déplacera pas.

Ce temps du récit est particulièrement long car l’échéance est constamment repoussée ; en effet, le peintre disparaît, en quelque sorte, tout au long du film, car son état de santé, ne cesse, au fil du temps, de se dégrader et sa maladie ou sa pseudo-maladie restera toujours au centre des discussions de son entourage ; pourtant, à la fin du film, le peintre ne semble pas vouloir ou pouvoir mourir.

Notons que le fait de ne pas connaître la vérité ou la maladie exacte du peintre, participe sûrement à cet effet de durée car, on aurait pu s’imaginer si l’on n’avait pas connu le lieu de mort de l’artiste (Auvers-sur-Oise) et si l’on en était resté au diagnostic du docteur Gachet qui parlera d’un simple surmenage, que ce dernier aurait pu vivre encore quelques années supplémentaires. Ainsi, toute l’écriture du film est tournée vers la disparition du peintre et quelques points d’ancrages viennent rappeler au spectateur que sa mort est proche. Cependant, Maurice Pialat aurait pu ne pas s’attarder sur les dernières heures de la vie du peintre ; il aurait pu en effet, utiliser une ellipse pour ne pas avoir à nous montrer Vincent Van Gogh dans l’auberge, si proche de sa mort. Un seul plan ou une simple phrase prononcée par un autre personnage, auraient pu suffire à dévoiler et à signifier la mort de l’artiste. Il choisit au contraire, de traiter le moment de cette mort dans la durée, d’en faire par conséquent, un moment important, comme si les dernières heures de sa vie étaient aussi importantes que le reste, dans le récit, dans sa structure et dans son déroulement.

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Les plans fixes et plutôt larges ne dramatisent pas cette séquence qui présente le défilé des proches, au chevet du peintre. Les coupures ne provoquent pas pour autant des ellipses temporelles, fortes et marquées. L’« effet-durée » est respecté parce que les plans s’enchaînent et se ressemblent sans qu’aucune précipitation ne soit employée dans le traitement de cette mort. Elle n’est filmée sans aucune volonté de dramatiser ; au contraire, elle est mise en scène avec une certaine retenue, dans la sobriété et dans la longueur.

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La fixité du cadrage accentue assurément la pondération voire l’austérité de la scène qui devient une toile naturaliste d’une mort lente et imposante, dans le temps et dans la durée qu’elle fabrique.

La séquence qui nous intéresse, est en fait un bloc d’images-temps au sens où l’entendait Gilles Deleuze dans son ouvrage déjà cité auparavant.

L’intérêt que porte Maurice Pialat au cinéaste japonais Ozu (qui, faut-il le rappeler, a influencé plus d’un réalisateur européen à l’origine (et au nom) d’une certaine « modernité » du cinéma) mérite que l’on s’y attarde car, une certaine idée de la temporalité, qui serait en partie à l’origine de la narration, se retrouve chez les deux cinéastes. C’est ce que nous décelons du moins, en lisant l’étude que fait Gilles Deleuze du réalisateur asiatique.

Ozu aurait en effet travaillé la temporalité de ses films sur les bases d’une durée filmique fortement liée à la rupture ou à la mort, à la disparition ou au voyage de ses personnages. Ainsi, la dilatation du temps, à la fin de Van Gogh, pourrait trouver ses origines dans les quelques explications fournies par Deleuze et plus précisément dans ce point de rupture final dont l’influence se retrouve tout au long du récit

« Les mouvements de caméra se font de plus en plus rares : les travellings sont des « blocs de mouvement » lents et bas, la caméra toujours basse est le plus souvent fixe, frontale ou à angle constant, les fondus sont abandonnés au profit du simple cut.
Ce qui a pu paraître un retour au « cinéma primitif » est aussi bien l’élaboration d’un style moderne étonnamment sobre : le montage-cut, qui dominera le cinéma moderne, est un passage ou une ponctuation purement optiques entre images, opérant directement, sacrifiant tous les effets synthétiques. Le son est également concerné, puisque le montage-cut peut culminer dans le procédé «  un plan, une réplique » emprunté au cinéma américain. Mais dans ce cas, par exemple chez Lubitsch, il s’agissait d’une image-action fonctionnant comme indice. Tandis qu’Ozu modifie le sens du procédé, qui témoigne maintenant pour l’absence d’intrigue : l’image-action disparaît au profit de l’image purement visuelle de ce qu’est un personnage, et de l’image sonore de ce qu’il dit, nature et conversation tout à fait banales constituant l’essentiel du scénario (c’est pourquoi seuls comptent le choix des acteurs d’après leur apparence physique et morale, et la détermination d’un dialogue quelconque apparemment sans sujet précis).
Il est évident que cette méthode pose dès le début des temps morts, et les fait proliférer dans le courant du film. Certes, à mesure que le film avance, on pourrait croire que les temps morts ne valent plus seulement pour eux-mêmes, mais recueillent l’effet de quelque chose d’important : le plan ou la réplique seraient ainsi prolongés par un silence, un vide assez longs. Pourtant, il n’y a nullement, chez Ozu, du remarquable et de l’ordinaire, des situations-limites et des situations banales, les unes ayant un effet ou venant s’insinuer dans les autres. Nous ne pouvons pas suivre Paul Schrader quand il oppose comme deux phases «  le quotidien » d’une part, et d’autre part « le moment décisif », « la disparité », qui introduirait dans la banalité quotidienne une rupture ou une émotion inexplicables. Cette distinction semblerait plus valide à la rigueur pour le néo-réalisme. Chez Ozu, tout est ordinaire ou banal, même la mort et les morts qui font l’objet d’un oubli naturel. »
45

Incontestablement, c’est vers l’oubli que Maurice Pialat tente de diriger la plupart des personnages qui entourent Vincent Van Gogh. La banalité ou l’ordinaire de la mort de l’artiste sont introduits par Théo, le frère, qui viendra tranquillement au comptoir de l’auberge pour payer la note (comme pour solder une vie de la même façon qu’un compte). Cette banalité est également créée par le docteur qui se souciera plus, de manière impudique, des toiles du maître et de leur avenir que du sort du mort resté au premier étage. Aussi, il demandera à Théo l’autorisation d’en prendre quelques unes apparemment promises par le peintre lorsqu’il était encore en vie.

Le quotidien ne reprend pas sa place car en fait, il n’a jamais disparu au détriment d’ailleurs de la mort qui en perd presque son importance, son poids et son caractère dramatique, en tombant sous silence. Ainsi, nous le verrons plus tard, les plans qui suivront la mort du peintre, (notamment ceux de la cuisine que l’on prépare dans l’auberge), contiendront une certaine quotidienneté et cacheront (jusqu’à un certain point) le véritable sens du drame vécu par des personnages silencieux aux physiques et aux dialogues ordinaires, s’il l’on veut reprendre grossièrement les mots de Deleuze à propos d’Ozu. Tout est oublié ou presque - s’il l’on veut bien s’attarder sur la phrase de Marguerite Gachet qui sera la seule à parler de son « ami » Van Gogh (dans le dernier plan du film) -, au profit d’un autre peintre venu rapidement prendre place dans la région d’Auvers. Elle seule, est la mémoire d’un homme parmi les hommes que Maurice Pialat choisira d’installer physiquement, à la manière d’un Ozu, dans la durée, dans une temporalité dite ordinaire et quotidienne.

Certes, Maurice Pialat prend du recul face à l’événement en choisissant d’accumuler des plans fixes et relativement larges ; certes cette séquence, que nous qualifierons de « séquence finale », n’a presque d’intérêt que de part son contenu

- c’est-à-dire qu’en aucun cas, la caméra et ses mouvements ne viendront s’imposer et déstabiliser une certaine tranquillité du cadrage -, mais il faut insister sur le comportement du personnage sur son lit.

Il est paisible, ne souffre pas (il le confirmera à son ami le peintre, qui viendra demander de ses nouvelles) et l’attente est longue et du coup insoutenable. En effet, tous les personnages (le frère, le docteur Gachet, les gens de l’auberge) ne peuvent plus maîtriser la situation et de ce fait n’ont plus aucun poids dans le récit.

Leur rôle est diminué car d’un point de vue narratif, ils deviennent impuissants. Vincent Van Gogh s’est tiré une balle dans le ventre et sa mort sera longue. Mais, le plus troublant vient du fait que l’on ne peut pas l’opérer car le risque de le faire mourir serait trop grand ; on ne peut pas non plus le déplacer car il pourrait mourir au cours du voyage (le paradoxe vient du fait qu’il mourra quand même mais dans son lit et non durant le voyage qui aurait pu le conduire à l’hôpital). Donc, les personnages autour de l’artiste deviennent inutiles et simples spectateurs d’une situation qu’ils ne peuvent influencer. Cette séquence est donc construite sur cette incapacité des personnages secondaires à faire avancer, à faire évoluer le récit. Seul Vincent Van Gogh, devient maître de son destin et de l’histoire, de sa propre histoire.

Le réalisateur décide de jouer le jeu, d’attendre, de nous faire attendre (nous spectateurs), comme le font tous les autres personnages de l’histoire. Ainsi, la durée de la mort, la temporalité de la séquence finale sont agencées autour de cette attente. L’impossibilité de bouger le corps, le fait justement, de ne pas pouvoir créer le déplacement, cette incapacité à faire avancer le récit sont les atouts et les outils narratifs utilisés par le cinéaste pour créer la durée. Face à la mort de l’artiste, le réalisateur choisit donc de bloquer les personnages qui l’entourent, dans une impasse. Le peintre est comme immobilisé dans sa chambre (on ne le changera pas d’espace), les personnages secondaires peuvent, quant à eux, bouger mais ne peuvent plus rien diriger. Ils attendent, comme nous, que le peintre veuille bien mourir.

On peut voir ici, une revanche : celle de l’artiste sur son entourage (le frère, les critiques, le docteur Gachet etc.), qui a toujours voulu prendre en main la carrière d’un homme seul, en marge des mouvements artistiques de son temps. Aussi, dans la séquence finale, c’est lui pour une fois qui décide, qui prend son destin en main. D’ailleurs, cela en deviendra presque un jeu, car il en profitera et le réalisateur, pour aller dans ce sens, décide, lui aussi, d’attendre, de repousser constamment le moment fatal en déplaçant sans cesse cette mort, en la mettant toujours en suspens, comme si elle ne pouvait jamais s’imposer.

Le réalisateur choisit donc d’utiliser le déplacement ; celui du temps, qui n’a du coup ni sens ni poids car la mort de l’homme se fait attendre.

Dans les pages précédentes, nous avions évoqué l’auscultation du docteur Gachet sur le peintre ; nous avions notamment insisté sur la similitude de cette scène avec la séquence finale. On peut constater en effet que Vincent Van Gogh est, dans les deux séquences, allongé. Mais, nous pouvons remarquer également que le docteur est présent lui aussi dans ces deux séquences. Le déplacement est présent dans le récit également sous cette forme. Le cinéaste décide de faire réapparaître le docteur à la fin du film ; la boucle est bouclée car présent au début, il le sera également à la fin.

Dans cette nouvelle apparition de Gachet, on peut aussi y voir un nouveau repère narratif pour le spectateur. Cependant, son rôle est différent. Au début du film, le docteur est maître de la situation car il s’impose de par son diagnostic et semble pouvoir devenir un personnage important pour le peintre qui retournera le voir souvent. Cependant, à la fin du film, lorsqu’il rendra visite à Vincent Van Gogh sur son lit de mort, ce dernier le rejettera violemment, en silence et en lui envoyant quelques coups de poings au visage. C’est le corps qui parle, et une fois de plus, on constate à quel point, Gachet, comme tous les autres personnages secondaires d’ailleurs, devient inefficace et inutile pour la progression narrative. Ainsi, la durée, la consistance physique du temps qui passe, sont créées par l’influence quasi-inexistante des personnages sur le récit et sur sa progression. Cette impression de durée est amplifiée par l’importance que prend Vincent Van Gogh dans l’histoire ; à ce moment précis du film, lui et lui seul peut la faire évoluer, lui seul pourra briser cette attente insupportable en décidant de mourir.

La narration s’étend dans la durée et dans le déplacement, dans le recul perpétuel presque cynique d’une mort qui semble ne jamais arriver. Nous évoquions dans les lignes précédentes, le fait que le cinéaste décidait de repousser constamment la mort du peintre. Plusieurs fois, la fille de l’aubergiste viendra demander au mourant s’il souhaite manger quelque chose ; à chaque fois ce dernier refusera. Plus tard, il demandera pourtant qu’on lui serve un repas.

Cette requête inattendue et presque impudente est là pour amplifier la longueur de l’agonie ; la mort paraît tout à coup s’éloigner et la vie semble reprendre ses droits pour quelques minutes ou pour quelques heures supplémentaires. L’artiste demande qu’on lui amène un repas et le cinéaste se sert du coup de cette dernière réclamation, pour décaler (déplacer) encore un peu, pour retarder encore de quelques plans, le moment final qui nous montrera l’artiste enfin mort sur son lit. La temporalité est donc fortement travaillée dans son extension, dans son allongement, dans sa consistance presque palpable.

Etendu, dilaté, le temps nous positionne dans une situation d’attente ; les plans se succèdent et comme le soulignait très justement Laurence Giavarini dans l’un de ses articles sur le film : ‘« En fabriquant des unités de temps qui se succèdent sans ordre repérable et sans ponts, il parvient à créer un morceau de temps qui ne se lit pas, mais qui perd le spectateur, le plongeant au plus près de l’existence d’un personnage.’  » 46

Ce morceau de temps que l’on ne peut s’approprier est déstabilisateur ; seule la mort est l’issue logique, qui donnerait du sens à l’agonie, longue et insoutenable, vécue par le peintre.

La temporalité que véhicule cette séquence interpelle car, avec toutes les fausses pistes avancées par le cinéaste (la volonté de ne pas dramatiser, le repas, la phrase de Vincent Van Gogh qui rassurerait presque son ami en lui disant qu’il se porte bien, le repas qu’il accepte tel un bon vivant au seuil de sa mort, etc.), il est difficile de savoir à quel moment exact, il en sera définitivement fini pour l’homme que l’on sait et qui se sait pourtant condamné. Par conséquent, le spectateur accumule lui aussi des bribes de temps qui ne sont pas forcément les indicateurs d’une évolution narrative claire et directe.

Certes, la logique est respectée, puisque le peintre disparaîtra - les dialogues des personnages secondaires le confirmeront à plusieurs reprises -, mais, il disparaîtra dans

le silence47. En effet, la durée de l’agonie aurait pu préparer le spectateur à une fin

douloureuse et bruyante ; la longueur des plans qui montraient Vincent Van Gogh dans son lit encore vivant, aurait pu logiquement annoncer une mort dramatique ou plutôt dramatisée à outrance, à l’image - serions-nous tenter d’écrire - de l’oeuvre d’un très grand artiste. Il n’en est rien. Au contraire, Maurice Pialat continue à travailler dans le silence : celui des personnages qui ne commenteront rien de la mort, celui des plans qui, de par leur fixité, resteront muets, et celui de Marguerite Gachet absente de l’auberge au moment que l’on croyait le plus important. La narration est ici muette ; elle se base sur la durée silencieuse et sur le refus de dramatiser une mort tant ou trop attendue par tout le monde (les personnages et le spectateur). Le cinéaste décide en quelque sorte de ne pas s’investir, et la fixité du cadrage est là pour mettre en valeur tout ce qui suivra ou tout ce qui pourra la perturber.

Ainsi, la mort de l’artiste prend du sens, de l’ampleur et se traduit à un moment précis : au moment où le sens véritable de cette mort, certes déplacé, apparaît ou plutôt surgit violemment et subtilement à l’image, alors que l’on ne s’y attendait pas.

Comme nous l’avions avancé dans les pages précédentes et comme nous l’indiquait Christian Metz, la « condensation » implique forcément le « déplacement »48.

Nous nous sommes penchés auparavant sur la temporalité créée par Ozu, qui parvient à traiter, selon Gilles Deleuze, la mort d’un personnage (aussi important soit-il dans le récit ) dans ce qu’elle a de plus banal. Le rapprochement avec Maurice Pialat est, de ce point de vue, assez clair, dès lors que l’on considère la mort de Vincent Van Gogh. Comme nous venons de le développer, ce dernier meurt dans un silence qui frôle l’ignorance. Aussi, le sens véritable de cette mort, c’est-à-dire sa gravité, sa considération mais également sa présence dans l’évolution narrative, apparaissent sous la forme d’une figure de « déplacement », qui vient justement rompre le silence évoqué jusqu’ici. La mort du peintre prend du sens dans les plans suivants (ceux qui traduisent une certaine quotidienneté et une certaine banalité du monde de l’époque) ; elle s’affirme cependant à un moment précis : lorsque Madame Ravoux, la femme de l’aubergiste se coince le pied dans la trappe de la cuisine qui mène au sous-sol.

A ce moment du récit, la mort de Vincent Van Gogh est enfin racontée dans ce qu’elle a de plus dramatique. En effet, juste après la disparition du peintre, la vie semble continuer et cela se vérifie à travers des plans qui montrent la vie quotidienne de la ferme et qui font oublier que quelqu’un est décédé dans la maison quelques heures auparavant.

Cependant, par un effet de rupture brutal et inattendu, Madame Ravoux hurle en se coinçant le pied dans cette trappe.

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Maurice Pialat aurait, paraît-il, hésité à faire dire la phrase suivante à la femme blessée : ‘« Je vais mourir, je vais mourir, j’ai mal, j’ai mal !’  ». Le réalisateur utilise l’accident de cette femme et surtout ses cris, pour déplacer subtilement (et du coup faire valoir) le sens profond de cette mort, sa gravité et son aspect dramatique (jusqu’alors absents), sur cet effet de rupture, sur cet accident, on ne peut plus banal, mais lourd de sens dans la manière dont il a été exploité. «  ‘Là où une banale logique narrative aurait commandé de surdramatiser le suicide de l’artiste, lui opte pour une ellipse pure et simple. De même, il condense la durée de l’agonie pour ensuite dilater le temps et mieux nous faire partager le désarroi de Théo. En point d’orgue de cette écriture en pleins et en déliés, il enchaîne sur un banal accident domestique (la femme de l’aubergiste se blesse un orteil) qu’il charge de toute la violence et l’émotion retenues : on retrouve au détour de cette scène inattendue le talent du Pialat d’A nos amours pour transformer les petits riens quotidiens en psycho-drames d’où surgissent les haines et les sentiments trop longtemps refoulés.’  » 49

Par ce déplacement, par cet effet ou cette figure de rhétorique - nous nous expliquerons sur ce point dans les lignes suivantes50 -, la mort de l’artiste est enfin racontée ; elle est racontée par le corps, par une autre personne et dans un lieu différent (hors de la chambre du mort, là où la vie reprend ses droits au sein de l’auberge).

En effet, c’est le corps de Madame Ravoux qui souffre ; c’est elle qui crie, et pourtant, cet accident si proche (dans le temps) de la disparition du peintre, fait réapparaître la douleur d’une mort trop vite oubliée. L’écriture de la mort est ici fondée sur ce déplacement, sur un effet de transposition. La femme souffre physiquement et pourtant c’est l’homme qui disparaît sans avoir souffert.

Le mal est contenu en silence par ce dernier et c’est l’aubergiste blessée qui explose, qui guide le spectateur dans une émotion trop étouffée jusqu’à présent.

Pour situer ce déplacement dans un vocabulaire précis que pourraient nous apporter à la fois, Sigmund Freud et Christian Metz, il faudrait en premier lieu considérer les travaux de Jackobson. Sur le plan de la linguistique, il fut le premier à exposer clairement la frontière qui existe entre la métaphore et la métonymie.

Ces deux figures de rhétorique sont concrétisées, taillées aux mesures du « paradigme » (pour la métaphore) et du « syntagme » (pour la métonymie).

Ainsi, Jakobson propose cette distinction précise, qui met en valeur et d’un point de vue linguistique, la métaphore et la métonymie ; la métaphore relèverait donc du « paradigme », c’est-à-dire d’une déclinaison d’un même mot, dont la signification propre serait alors transportée en vertu d’une comparaison.

La métonymie, qui relève quant à elle du « syntagme », est en revanche une figure qui nous intéresse plus particulièrement car comme le rappelle Christian Metz, elle repose avant tout sur le principe de la « contiguïté », alors que la métaphore est axée, logiquement serions-nous tenter de rajouter, sur celui de la « similarité ».51

De la « contiguïté » il en est question dans Van Gogh plus que de la « similarité » d’ailleurs.

En effet, si l’on veut se risquer à transposer les figures de rhétorique propres à la linguistique dans le champ de l’analyse filmique, notons que l’accident de Madame Ravoux, qui est, comme nous le notions précédemment, le résultat d’un déplacement symbolique - celui de la mort du peintre -, est un exemple concret de métonymie en ce sens que la « contiguïté » du sens est assurée. En effet, la mort du peintre trouve un sens dans la « continuité » du récit. Le principe métonymique procure dans ce cas, une unité, une sorte de logique ou de « contiguïté spatio-temporelle » 52.

Cet accident n’est, en aucun cas, une métaphore de la souffrance du peintre, car le discours est ici organisé sur cet effet de rupture certes, mais également sur l’existence de cet accident qui ne se substitue en rien à la mort du peintre.

Nous sommes en face d’un récit, dont le discours se fonde sur la « coprésence » ordonnée d’images, de sons, d’événements organisés sur le principe de la « contiguïté » et non de la « similarité », qui aurait alors présenté la mort de l’artiste selon la règle d’une même déclinaison. Dans ce cas, nous sommes confrontés à une série d’images qui pourraient être représentées sous la forme du schéma suivant : contiguïté référentielle + comparabilité discursive.53

En effet, si l’on s’en réfère aux études de Christian Metz, l’accident de la femme de l’aubergiste met en lumière la mort de Vincent Van Gogh, dans la mesure où le sens du discours reste présent et trouve même, dans sa nouvelle trajectoire une accentuation dans sa représentation. Le sens discursif se déplace mais reste contigu, comparable et la référence (en l’occurrence la mort du peintre) reste présente jusqu’au bout.

Ainsi, jamais le spectateur n’oubliera la mort du peintre qui reste la seule et vraie « référence » de cette fin de film et l’accident de la femme sera un « déplacement » du sens et non un « remplacement » (de cette mort).

On observe donc une contiguïté dans la référence (car, la mort est le principal pilier narratif, la principale clef de voûte narrative de cette séquence) et une comparabilité dans le discours (car, la femme qui souffre nous rappelle - éveille, ranime, réveille, traduit, etc. - dans ses cris et ses pleurs qu’une autre personne est morte peu de temps auparavant).54

La contiguïté du sens discursif assure donc la progression du récit. L’accident de la femme de l’aubergiste est le prolongement ou plutôt l’aboutissement de la mort du peintre. Elle clôture cette agonie, la verbalise (ou la vocalise), la concrétise en ce sens que le silence qui entourait cette mort jusqu’alors, disparaît sous le trait d’un douloureux accident qui donne du sens à cette disparition.

Mais, en observant ce déplacement du sens, nous pouvons supposer, dès lors, que la problématique de notre travail semble s’affirmer. En effet, l’accident auquel nous faisions allusion, permet une progression du récit certes, mais qui reste limitée.

Le récit n’avance pas réellement (à grands ou à petits pas) dans la mesure où cet accident ne propose pas, ne met pas en branle, un autre (grand) tournant narratif.

Le récit reste basé quoi qu’il en soit sur la mort du peintre. Aussi, si l’accident n’avait pas eu lieu, le récit n’en aurait pas été bouleversé pour autant. Le peintre serait quand même mort. L’accident de la femme de l’aubergiste donne donc du sens à la mort de l’artiste mais il ne représente en rien un quelconque enjeu narratif supplémentaire qui, sous l’effet d’une autre condensation, aurait pu déterminer ou affirmer une nouvelle perspective narrative.

Cet événement se superpose à la mort ; cet accident bénin et inattendu travaille donc le récit sur le principe de la « verticalité » et non de l’« horizontalité ». Un travail du sens dans son horizontalité, - envisager et placer un événement (en l’occurrence l’accident de la femme de l’aubergiste) dans un système d’écriture dit « horizontal » -, aurait permis au récit d’évoluer, de prendre des tournants narratifs qui auraient ainsi fait avancer l’histoire. Or, avec cet accident, il n’en est rien. Il n’amène aucun autre élément narratif ; il ne propose aucun lien de « cause à effet » avec un autre événement. Cet accident se soustrait à la mort du peintre, sans en être ni une conséquence ni la cause d’un autre moment narratif. Cet événement est une sorte de couche narrative supplémentaire qui amplifie ou affirme le sens du discours ; cette couche qui se superpose, qui s’ajoute verticalement à la mort du peintre, ne la remplace pas. En s’additionnant à elle, elle amplifie, grossit, étend le sens général du discours filmique.

Au contraire, elle s’impose par sa force et sa relation vis-à-vis de la mort du peintre et non par son existence ou son influence au sein même du récit. Elle reste dépendante de cette mort et c’est en cela qu’elle reste inefficace du point de vue de l’évolution de l’histoire dans sa globalité. Cet accident a donc, pour ainsi dire, un rapport de « connexion », de complémentarité (et non pas de substitution ni de remplacement) avec la mort de l’artiste ; le principe de la verticalité est donc à penser dans son rôle narratif le plus réduit : celui qui consisterait précisément à affirmer le sens d’un événement dont l’enjeu narratif n’existe pas (la mort du peintre ne constitue plus un enjeu dans le sens où l’on sait depuis le début qu’il mourra, où, quand et comment cela se produira). Dans le cas de Van Gogh, il s’agirait de confirmer, de faire émerger ou de

« surdéterminer » (par le biais de l’accident) le sens d’une action ou d’un événement (en l’occurrence, la mort du peintre, tournant décisif dans le récit), déjà accompli mais encore inopérant d’un point de vue émotionnel. L’accident surcharge en quelque sorte la puissance dramatique de la mort qui trouve son véritable sens, dans cet événement inattendu et stérile d’un point narratif.

Si l’on lit Paul Ricoeur et si l’on s’intéresse à l’analyse qu’il fait des travaux de Sigmund Freud, on ne peut qu’être séduit par la pertinence du vocabulaire employé par le philosophe.

Dans l’un de ses ouvrages, Paul Ricoeur s’attarde sur l’effet de « surdétermination », qui impose ou commande le déplacement dans le travail du rêve, travail que nous avons par ailleurs, étudié dans le même contexte, dans les pages précédentes.

« Ce que nous venons de dire des notions de déguisement, de distorsion, de censure, qui caractérisent en bloc la « transposition » opérée par le travail du rêve, est encore plus évident si nous considérons séparément les divers mécanismes qui constituent le travail du rêve ; aucun ne peut être énoncé sans recourir à ce même langage mixte.
D’un côté, en effet, le travail du rêve est l’inverse du travail de déchiffrage de l’analyste ; à ce titre, il est homogène aux opérations de pensée qui le parcourent en sens inverse ; c’est ainsi que les deux procédés principaux étudiés au chapitre VI de L’Interprétation des rêves, la « condensation » (Verdichtungsarbeit) et le « déplacement » (Verschiebungsarbeit) sont des effets de sens tout à fait comparables à des procédés rhétoriques ; Freud lui-même compare la condensation à une tournure abrégée, laconique, à une expression lacunaire ; c’est en même temps une formation d’expressions composites appartenant à plusieurs chaînes de pensées ; quant au déplacement, il le compare à un décentrement du pôle organisateur ou encore à une inversion d’accent ou de valeur, les diverses représentations du contenu latent échangeant leurs «  intensités psychiques » dans le contenu manifeste. Ces deux processus attestent, sur le plan du sens, une « surdétermination » qui fait appel précisément à l’interprétation. On dit de chacun des éléments du contenu du rêve qu’il est surdéterminé, lorsqu’il est « représenté plusieurs fois dans les pensées du rêve ». Cette surdétermination commande également, quoique d’une façon différente, la condensation et le déplacement ; cela est clair pour la condensation : ici c’est la multiplicité des significations qu’il s’agit de déployer, d’expliciter, par le moyen des associations libres. Mais le déplacement, qui porte plutôt sur les intensités psychiques que sur le nombre des représentations, ne requiert pas moins la surdétermination : pour créer de nouvelles valeurs, déplacer les accents, « mettre à côté » le point d’intensité, il faut que le déplacement suive la voie de la surdétermination. »
55

Toute l’interprétation que fait le philosophe Paul Ricoeur, de la pensée freudienne, repose en fait sur cette notion importante qu’est le « transfert » du sens. On parle ainsi de « surdétermination » lorsque, dans le rêve, un élément qui le constitue, se multiplie, se déplace, tout en conservant, tout en préservant la « valeur » essentielle, l’intensité fondatrice et fondamentale de ce même rêve.

Dans le cadre du film Van Gogh et s’agissant de la séquence finale, la mort du peintre

est ce point d’ancrage essentiel, cette « valeur » dont le sens se retrouve pourtant déguisé, dérobé, car déplacé ailleurs au sein du récit, sur l’ossature d’un autre événement (l’accident de la femme de l’aubergiste). La mort de l’artiste est « surdéterminée » parce que le sens véritable de ce moment, cette « force »56 narrative qui conduisent et font évoluer voire aboutir le récit, sont transférés, provoquant alors une construction narrative dite « verticale », construction sur laquelle nous reviendrons en toute fin de chapitre, lorsque nous serons certains d’avoir avancer suffisamment pour pouvoir étudier ce phénomène.

Mais cette idée conceptuelle et narratologique, qui consisterait à envisager la construction du récit dans une visée verticale, s’affirme et s’éclaircit au fur et à mesure de notre progression et trouve des raisons d’exister et d’être étudiée, dès que l’on s’attarde sur d’autres questions et sur d’autres films de l’auteur.

Notes
45.

Gilles Deleuze, L’Image-temps, op. cit., pp. 23-24.

46.

Laurence Giavarini, « Hommes et femmes » in Cahiers du cinéma n°449, novembre 1991.

47.

L’idée que nous développons dans les lignes qui suivent, pourrait être approfondie par l’article de Anne-Marie Faux. Cette dernière s’est intéressée à la construction du silence dans le film La Gueule ouverte. Tout comme Vincent Van Gogh, la mère meurt en silence ; dans le silence d’une narration qui refuse toute trajectoire pathétique et bruyante pour au contraire vivre et s’établir sur la durée d’un événement - en l’occurrence d’une mort -, qui restera muet jusqu’au bout.

«  La mère meurt. Coupe. On fait sa toilette mortuaire. Coupe. On la met dans son cercueil. Coupe. De cette mort, tout symbolique est absenté : ne l’entourent que du concret, des choses à faire, et à faire vite. Mais le spectateur ne fait pas aisément son affaire de cette disparition du symbolique : si même dans la mort le pathos est de sortie, alors la vie ni le film ne sauraient reprendre leur cours. Pas de symbolique, pas de pathétique ni de pathologique. Des trous qui font dériver le temps, si bien qu’on n’a à l’arrivée aucune idée du temps qu’ont pris les événements. On s’en fabrique forcément une idée en les reconstituant vaguement, grâce à ce qu’on peut savoir sur la question (parce que sans cette reconstitution, le film est absolument insupportable).

De même, on n’a guère d’idée du temps qu’a duré le film : il est long, très long si l’on est sentimental, parce qu’il ne s’y passe rien ; et court, très court, si l’on est réaliste, parce qu’on s’attend à voir l’horreur de l’agonie et qu’on ne voit qu’une chambre morne où un homme nourrit sa femme, sans même sembler content de ce retour des choses qui fait d’elle son enfant.

On ne souffre pas devant ces images, peut-être parce que, depuis la date où ce film a été réalisé, on a souvent vu la mort filmée, comme ces lentes agonies d’enfants offertes par les parents au public de la télévision. On ne sympathise avec personne ni avec le film, puisque toutes les brèches ont été colmatées : il n’y a à voir que ce qui est à voir, sans aucun discours autour. Or, ce qui émeut dans la mort ce n’est que ce qui en est dit, ce qui lui donne sa place essentielle dans l’échange symbolique (et aussi ce qui en elle transforme le réel). Il n’y a dans La Gueule ouverte ni discours ni visibilité du réel pour la précéder, et elle ne saurait à elle seule faire surgir, par magie, les mots et les images touchants.

Comme un cadavre, ce film est un monstre immobile et muet. on ne saurait le déplacer vers ce qu’on voudrait tant voir apparaître, tristesse, émotion ou dégoût, car il est d’un seul bloc, lourd, inentamable. Le cinéaste fait son travail comme un maçon (et comme la mort aussi fait son travail) : il construit ce paysage-là où rien ne pousse, cette maison-là où ne naît aucune histoire. Là où passe Pialat en 1974, l’herbe ne repousse pas, aucun désir ne se tient. La Gueule ouverte, humiliés, on ne parle pas, on meurt.  »

Anne-Marie Faux, « Silence, on meurt » in Maurice Pialat, L’enfant sauvage, collectif dirigé par Sergio Toffetti et Aldo Tassone, Editions Muséo Nazionale del Cinéma, Torino ; France Cinéma, Firenze ; Admiranda, Institut de l’Image, Aix en Provence, Collection Lindau, Turin, octobre 1993, p. 134.

48.

Nous renvoyons le lecteur à la définition de André Gardies et de Jean Bessalel.

« (...) Dans un sens différent, « déplacement » est aussi utilisé en psychanalyse pour désigner l’opération psychique particulière par laquelle le désir se porte non sur l’objet qui l’a suscité mais sur un objet autre qui lui est substitué. En retour Metz renvoie cette opération sur le signifiant cinématographique. »

André Gardies, Jean Bessalel, 200 mots-clés de la théorie de cinéma, Editions du Cerf, Collection 7ème Art, Paris, 1992, pp. 55-56.

49.

Philippe Rouyer, op. cit.

50.

Notons toutefois pour l’instant que selon Christian Metz, le déplacement « c’est l’aptitude à transiter

(= « déplacer de l’énergie », comme dit Freud), à passer d’une idée à une autre, d’une image à une autre, d’un acte à un autre. »

Christian Metz, op. cit., p. 330.

51.

« On a donc une homologie à quatre termes, dans laquelle métaphore et paradigme présentent le point commun de reposer sur la « similarité », métonymie et syntagme sur la « contiguïté ». Les deux mots que je viens de mettre entre guillemets sont ceux de Jakobson, ceux qui assument chez lui le rôle décisif de

notions-passerelles entre les deux couples parallèles. »

Ibid., p. 208.

52.

Ibid., pp. 215-216.

53.

Les autres schémas proposés par Christian Metz figurent dans son ouvrage Le Signifiant imaginaire déjà cité à plusieurs reprises.

Christian Metz, op. cit., pp. 227-229.

54.

« Contiguïté référentielle + comparabilité discursive, ou métonymie mise en paradigme. Un élément évince l’autre du film, comme en 2, mais ces éléments s’associent en vertu de leur contiguïté « réelle » ou diégétique, et non de leur ressemblance ou de leur contraste, à moins que ce ne soit l’acte paradigmatique qui crée ou qui renforce cette impression de contiguïté. Exemple : la célèbre image du Maudit de Fritz Lang qui, après le viol et le meurtre de la petite fille par « M », nous montre le ballon de baudruche de la victime, abandonné par elle, retenu prisonnier dans les fils électriques (je pense ici, évidemment, au plan dans lequel figure le ballon seul). Le jouet remplace (évoque) le cadavre, l’enfant. Mais nous savons par les séquences antérieures que le ballon appartient à l’enfant. »

Ibid., p. 228.

55.

Paul Ricoeur, De l’interprétation - Essai sur Freud -, Editons du Seuil, Collection Points / Série essais,

Saint-Amand, 1965, pp. 104-105.

56.

Nous pourrions compléter notre réflexion par la suite du texte de Paul Ricoeur évoqué précédemment.

« Mais cette surdétermination - qui s’énonce dans le langage du sens - est la contrepartie des processus qui s’énoncent dans le langage de la force : condensation veut dire compression ; déplacement veut dire transfert de forces : « On est conduit à penser que, dans le travail du rêve, se manifeste une force psychique (eine psychische Macht) qui, d’une part, dépouille de leur intensité des éléments de haute valeur au point de vue psychique et qui, d’autre part, à la faveur de la surdétermination, crée, avec des éléments de valeur moindre, des « valeurs » (Wertigkeiten) nouvelles qui pénètrent alors dans le contenu du rêve. Dans ce cas, il y a eu, lors de la formation du rêve, transfert et déplacement des intensités psychiques des différents éléments, d’où résulte la différence de texte entre le contenu du rêve et les pensées du rêve. Le processus que nous supposons ainsi est vraiment partie essentielle du travail du rêve : il mérite le nom de déplacement du rêve : déplacement et condensation de rêve sont les deux maîtres-d’oeuvre à l’activité desquels nous devons attribuer à titre principal la configuration (Gestaltung) du rêve ». Il y a ainsi entre la « surdétermination » (ou « détermination multiple ») et le travail de « déplacement », ou de « condensation », le même rapport qu’entre sens et force. »

Ibid., pp. 105-106.