c). L’empreinte autobiographique

S’attacher à l’identité réaliste du cinéma de Pialat et tenter de comprendre le mode de travail du réalisateur (et les liens qui l’impliquent avec la narration), nous renvoient en fin de parcours à une identité autobiographique qui vient presque naturellement nourrir chacun des récits du cinéaste.

Nous avons vu jusqu’à présent que le cinéaste souhaitait s’investir dans ses films et si besoin, en faire partie physiquement. Nous avons décelé également le dispositif mis en place pour que le réel advienne au film sans qu’une mise en scène ou qu’un cheminement narratifs trop convenus n’apparaissent et n’empêchent la création de se fonder, seule, en toute liberté, sur des nappes de réel imprévues (même si nous tenons à insister sur le fait que l’écriture du scénario chez Pialat est une phase importante dans la création du film car, « faire confiance au réel » ne veut pas forcément dire « refuser toute écriture ou tout scénario préétablis »).

Ajoutons cependant que cette liberté a tout de même un fond, un terrain ou un terreau silencieux, un encadrement invisible, qui offrent aux personnages une histoire ou un vécu profonds souvent liés à ceux du cinéaste lui-même.

Si le corps est amené à vivre en totale liberté (profondeur, plan-séquence et largeur du cadre), l’acteur incarné a tout de même (à l’écriture) des repères qui vont lui permettre de mettre en place les signes constitutifs et distinctifs de son personnage, signes souvent empruntés au propre vécu du réalisateur. Le cinéaste propose ainsi d’éclairer la narration de chacun de ses films par des bribes personnelles issues de sa propre histoire ; cette histoire est donc de temps à autre (et à plus ou moins grande échelle), une marque fondatrice de ses récits filmiques.

« En tant que scénariste, je ne réussis que des récits chronologiques qui découlent toujours plus ou moins de ma propre vie. Je répète une même chose dans plusieurs scènes et ce n’est qu’au tournage que je me rends compte de cette dispersion. Cette inspiration autobiographique est une des séquelles de Nous ne vieillirons pas ensemble : je ne voulais pas toucher, dans ce film, à ce qui s’était passé, je voulais rester fidèle à mes souvenirs et je pensais que transposer en plusieurs scènes ou concentrer en une seule séquence des événements finalement très proches (ce qui est, dramatiquement parlant, la chose à faire) revenait à s’orienter vers une sorte de théâtre auquel je me refusais. Fréquemment, je m’acharne à recréer certains événements que j’ai vécus, qui me paraissent émouvants et forts (...). » 291

Plusieurs de ses récits se déroulent en Auvergne, région d’où est originaire le cinéaste. Dans La Gueule ouverte, le fils rejoint son père près de Clermont-Ferrand pour être auprès de sa mère mourante. L’ensemble de cette histoire sera fondée sur ce voyage qui reste un voyage intérieur au plus près de sa famille. Retrouver ses racines, ses origines à travers l’histoire familiale, sont autant de thèmes chers au cinéaste que l’on retrouve en filigrane dans son oeuvre et en particulier dans La Gueule ouverte.

Le véritable sujet de ce film ne serait-il pas le parcours du fils et ses retrouvailles avec sa région ? Lorsqu’il fouille dans le grenier, il part en quête d’un passé mal assumé à cause des relations difficiles entretenues avec son père.

Dans Loulou, il n’est plus question de pèlerinage en Auvergne ; on remarque toutefois que les personnages prennent, à un moment donné, une trajectoire qui les ramène à la campagne, tout près de personnes qui sont à l’origine de leur vie.

Dans ce film, le personnage principal ressent le besoin d’aller retrouver ses frères adoptifs et Mémère qui leur fera un bon repas. Cette dernière est le personnage typique qui accueille chez elle de nombreux enfants pour les chérir.

Ces trajets vers la famille (que ce soit vers le père, la mère ou les frères et soeurs) sont des repères fondamentaux pour la narration (nous y reviendrons plus en détails dans la toute dernière partie de notre travail).

Vincent Van Gogh décide, à la fin de ses jours, de se rapprocher de son frère et de la famille de ce dernier ; loin d’eux (il ira se réfugier à Auvers-sur-Oise), il fréquentera beaucoup son frère pourtant installé à Paris.

Dans Nous ne vieillirons pas ensemble, Jean décide de partir en campagne (en Auvergne) pour aller rendre visite à son père.

Seul le film Passe ton bac d’abord est un exemple de l’effet inverse - notons que Maurice Pialat dira de ce film qu’il n’est pas autobiographique -. Les jeunes du film souhaitent en effet quitter la campagne ou plutôt la Province pour aller faire leur vie à Paris. Leur vision du monde n’est plus orientée vers le passé ou vers les lieux de leurs origines mais vers un futur accessible ailleurs, loin du noyau familial.

Chaque film présente donc le parcours de personnages désireux parfois de retrouver leurs racines souvent ancrées en Province (en milieu campagnard).

Dans le dernier film du cinéaste (plus que dans tous ses autres films d’ailleurs), cette idée est flagrante et vient se greffer directement sur la question de l’empreinte autobiographique.292 C’est tellement fort que l’on peut même se demander si le vrai sujet du film n’est pas le retour de Gérard en Auvergne et la rencontre ratée avec son père.

Le Garçu présente un retour aux sources pour ce personnage qui devra aller enterrer son père en Auvergne. Ce voyage sera pour lui le moyen de faire le point sur son passé et sur sa propre existence en tant que père. En Auvergne, près d’une route, le personnage expliquera à son ex-femme (Sophie), le passé et les origines de sa famille.

Il montrera du doigt les contrées qui ont fondé toute son enfance et qui ont porté ses ancêtres durant des siècles. L’Auvergne est donc une région où le personnage ’pialatien’ vient généralement retrouver son passé. Ce passé n’est autre que celui du cinéaste lui-même qui est né et a passé toute son enfance dans cette région.

Ainsi, les personnages de Pialat bougent sans cesse ; leurs déplacements sont incertains et souvent inattendus, du moins indépendants les uns des autres, mais l’Auvergne reste ce point d’ancrage vers lequel la plupart des personnages se tournent à un moment de leur existence.

Dans Le Garçu, Gérard est à Paris, puis sur l’île Maurice en vacances, puis sur la côte atlantique (en Vendée), etc. De même pour Loulou qui ira de lieux parisiens en lieux parisiens sans grande logique de parcours. Il en est de même pour tous les autres personnages (Suzanne pour A nos amours notamment) mais il faut relever la part immense accordée au voyage-clé, qui sera en quelque sorte le coeur du film.

Dans Le Garçu, Gérard a beau voyager énormément, on comprend que le point-clé du récit est la visite faite à son père sur son lit de mort. Ce voyage est le plus important du personnage et le fondement même du récit. Dans Loulou, on saisit également que la visite familiale faite à Mémère est le tournant du film où Nelly prendra conscience des limites de l’amour porté à son compagnon. Dans Van Gogh, la visite à la campagne de Théo et de sa femme sera un passage essentiel du film.

Mais pour approfondir cette idée de déplacement chez le personnage ’pialatien’, rapprochons nous de l’oeuvre et de la démarche de Raymond Depardon (photographe et cinéaste).

En effet, si nous choisissons de faire ce petit détour, c’est pour établir le lien qui existe entre deux visions, nous semble t-il identiques. Lorsque Depardon est en Afrique ou en Extrême-Orient pour ses reportages, il ne pense qu’à revenir à Villefranche-sur-Saône (la maison de son enfance où vivait encore son père jusqu’à une certaine époque). Lorsqu’il fut aux Etats-Unis pour le journal Libération qui lui avait commandé une chronique photographique quotidienne, il ne pouvait travailler qu’en pensant à son prochain retour tant espéré en France et dans la région lyonnaise. Mais lorsqu’il retrouve son foyer et sa maison, il ne peut penser qu’à son prochain départ vers des pays étrangers. Ce cinéaste construit donc depuis des années une oeuvre en partance, une oeuvre teintée d’urgence et d’espoir perpétuel dans le départ. Le déplacement est plus que jamais une quête qui n’en finit pas et qui permet à Depardon de progresser, d’évoluer et de (se) construire. Cette construction fondée sur la logique d’un déplacement continu, ne sera d’ailleurs jamais terminée car dans cette urgence de toujours vouloir bouger, il expliquera dans l’un de ses très beaux films293, qu’à force de photographier le monde entier, il en aura presque oublié de photographier son père.

Il regrettera en tous les cas de ne pas avoir été présent à ses côtés lorsqu’il moura.294

Ce besoin constant de déplacement lui aura finalement coûté cher. A être sans cesse ailleurs, il en oubliera presque que, tout près, la vie continue et qu’elle est bonne à photographier.

La Ferme du Garet est donc autant un livre sur l’histoire du photographe qu’un album photo qui tente de rattraper une époque lointaine où manqueront toujours, aux yeux de Depardon, des photographies essentielles : celle d’un passé où il ne fut pas assez présent parmi les siens. Ce livre est par ailleurs un pèlerinage sur les lieux de son enfance, au plus profond d’un passé difficile à rattraper.

Il permet de retrouver par le biais de la photographie, ces lieux trop longtemps désertés mais jamais oubliés ; ce désir pour le personnage ou l’auteur, de penser son corps

toujours ailleurs est un acte ou un cheminement qui consistent à chercher au fond d’eux-mêmes d’où ils viennent, sans pouvoir rester au même endroit trop longtemps ; sans cesse en partance, ils ne peuvent s’empêcher de vivre dans l’attente ou dans le voeu d’un prochain départ salvateur.

Pialat comme Depardon construit donc une oeuvre où chaque personnage n’est bien nulle part ; sans parvenir à construire une vie dans l’ici et maintenant, ces personnages ne peuvent vivre qu’en imaginant leur prochain voyage vers une destination inconnue. Chaque photographie de Depardon ou chaque déplacement d’un personnage chez Pialat sont à prendre comme une « présence de l’absence ». Un lieu en appelle toujours un autre et c’est souvent le retour en Auvergne (du moins vers le père - nous y consacrerons une large réflexion à la fin de notre travail -) qui revient à la surface chez le cinéaste. Une image en amène une autre. Chez Pialat, l’image convoque un « ailleurs » plus ou moins assumé par les personnages. Suzanne rêve de s’enfuir tandis que Donissan le souhaite également sans savoir s’il en est réellement capable. Dans Le Garçu, Gérard est une sorte d’électron libre qui navigue de lieux en lieux (Auvergne, Paris, Ile Maurice, Côte Atlantique) en embarquant tout le monde dans son sillage, ce qui provoquera des rencontres imprévues. Aussi, dès lors qu’il est chez Sophie et son fils, on l’imagine déjà ailleurs...dès lors qu’il est dans les rues de Paris, on sent son corps déjà présent auprès de son fils. Entre deux lieux, errant, jamais stable ni immobile...n’est-ce pas qu’est la véritable place du personnage ’pialatien’ ? Toujours tourné vers une inconnue qui lui permettra d’échapper au présent et au poids insupportable de « l’ici et maintenant », il n’a qu’une envie : partir d’ici.

Arrivés vers cette inconnue (comme on le verra, personne n’y arrivera vraiment), on peut alors imaginer que le même sentiment et la même envie de partir réapparaîtront. « Ici » représente donc un « ailleurs » et Pialat construit ses films sur l’idée que chaque personnage a besoin de penser à ses lieux d’origine pour pouvoir exister. Pouvons-nous aller jusqu’à penser que chaque image de Pialat est une image où se cache mystérieusement, silencieusement ou profondément l’Auvergne ? Tout film de Pialat est-il un essai autobiographique basé en tous points sur les lieux d’une enfance passée dans cette région ? L’image ’pialatienne’ est-elle un entrelacement métaphysique d’une absence (pourtant présente), où l’Auvergne (lieu du père absent) apparaîtrait à nos yeux comme le lieu fondateur de toute une oeuvre ? Plus que les personnages, c’est aussi et surtout l’auteur qui apparaît mystérieusement dans ses images. En filmant Paris ou le Nord de la France, on sent que l’Auvergne ou tout autre lieu fondateur hante de manière sourde, le réalisateur et son projet. Chaque rue, chaque champ, chaque maison rappellent à qui veut bien l’entendre les lieux personnels d’un voyage en Auvergne qui n’est pas encore terminé.

Chez Depardon, on peut faire la même hypothèse et imaginer que chaque photographie de l’auteur porte les marques subjectives et donc autobiographiques de sa propre histoire.

« Pour en terminer avec ce point, je distinguerai cette « présence de l’absence », dans les photos de Depardon, de la réminiscence et de la mémoire involontaire proustiennes. On ne peut jamais dire positivement chez Depardon qu’un lieu en évoque un autre, avec ce que la réminiscence proustienne, l’image absente surgit toujours d’un point de rencontre localisable (aussi ténu soit-il) dans le réel - la petite madeleine, les pavés inégaux - comme le génie sort de la lampe d’Aladin qui est bel et bien un objet réel et localisable. Rien de tel chez Depardon : ce n’est jamais l’image réelle d’un détail de cette image qui déclenche, par coïncidence, l’évocation de l’image absente, ce qui reviendrait encore à une rencontre objective, localisable.
Les deux images seraient plutôt dans un rapport de surimpression : Depardon regarde (photographie) ce paysage new-yorkais avec une image de moisson dans la tête. Mais l’image de la moisson n’est pas suscitée - serait-ce par contraste - par ce paysage new-yorkais, elle est déjà là comme un filtre, pour reprendre l’expression de Pavese, à travers lequel il regarde cette vue de New York. C’est un écho qui rendrait le mieux compte de ce rapport diffus qui est en vérité un rapport de manque : une image absente hante l’image. »
295

Filmer ou photographier un endroit avec un « filtre » devant les yeux qui permet de laisser transparaître un « ailleurs », un lieu qui manque profondément à l’auteur, est une idée que l’on peut également retrouver chez Marguerite Duras.

Cette dernière écrit souvent avec le souvenir des années passées au Vietnam. Cela dit, l’écho repéré chez Depardon ou Pialat n’est pas forcément semblable puisque la femme fait appel à ses souvenirs sans aucune retenue, sans « arrière-pensées ».

Dans La Vie matérielle par exemple, elle revient sur Trouville, Cabourg, Paris, Poissy, Neauphle, Vin Long et Hanoï. Elle affronte ouvertement et sans fausse pudeur ces lieux qui ont tant comptés pour elle. Si Depardon et Pialat n’évoquent pas directement les lieux tant désirés, c’est peut-être par crainte ou incapacité d’en parler pleinement et directement. C’est par un détour inconscient, une sorte de trahison de leur écriture (par notre interprétation et notre lecture entre leurs images), que leur passé resurgit.

Les lieux dont parle Duras, n’appellent pas d’autres lieux même si une grande partie de son oeuvre sera basée sur les lieux de son enfance en Indochine. Elle décrit des endroits qui reviennent à sa mémoire sans que ces lieux aient pourtant une véritable correspondance entre eux, du moins dans les récits littéraires de l’auteur...car si l’on considère l’oeuvre entière de Duras, on fera aisément des liens ou des correspondances entre le Mékong et la Seine, entre Neauphle et Hanoï, entre tous ces espaces qui ont fait partie d’elle-même. Mais ce travail de recomposition est à effectuer dans une démarche globale.

La gestion des espaces vécus par Duras, les récits qu’elle nous propose, ne seraient-ils pas alors à envisager dans une oeuvre entière et pas seulement à travers la lecture d’un seul roman ? Duras a créé une oeuvre et non des livres ; elle a transposé sa vie au sein d’une oeuvre entière et non au coeur d’un seul roman en particulier (même si certains verront dans L’Amant, le roman de sa vie).

Nous verrons plus loin comment l’idée de la vision globale d’une oeuvre (qu’elle soit littéraire ou cinématographique d’ailleurs) peut se retrouver chez Pialat.

Pour en revenir au Garçu, le pèlerinage de Gérard en Auvergne est loin d’être la seule marque autobiographique.

En utilisant son propre fils (Antoine Pialat), Pialat a la volonté de se déplacer dans son film et d’imprégner le récit de son histoire personnelle. Cependant, à défaut de s’impliquer ouvertement (voire physiquement) dans son film et de raconter sa propre histoire, Pialat brouille les pistes. D’une part, il garde cette habitude de semer le trouble quant à la nature réelle des corps présentés et d’autre part, il met en scène des histoires qu’il a lui-même vécues par le passé - nous le supposons, et c’est parce que notre réflexion devient à présent supposition, que nous allons bientôt en terminer avec ce sujet, avant que notre recherche ne soit le résultat de spéculations trop présentes -.

Brouiller les pistes ? Dans Le Garçu, le personnage interprété par Gérard Depardieu se prénomme Gérard, l’enfant garde également son prénom (Antoine) et Géraldine Pailhas se prénomme une fois Sophie et une fois Sylvie (le prénom de la femme du cinéaste) selon ce que voudra bien dire l’enfant au détour d’une conversation.

Les autres personnages gardent également leur prénom comme si ce choix relevait d’un désir d’assimiler le personnage à l’acteur. Micheline sera interprétée par la femme de Gérard Depardieu (Elizabeth Depardieu) dans la vie, et ce personnage sera également la femme de Gérard dans le film. Ainsi, Pialat mélange la vie réelle de ses acteurs en leur faisant jouer des rôles en étroite liaison avec ce qu’ils vivent dans leur propre vie.

Cette démarche d’assimilation va jusqu’à en contaminer le lieux des tournages.

Aussi, l’enfant qui va à la crèche dans le film, va dans la crèche qu’il côtoie tous les jours, hors tournage ou plutôt hors cinéma. L’appartement est celui de Pialat lui-même et les vies des personnages croisent intimement celle des acteurs qui sont donc pris dans la complexité d’une fiction autobiographique, qui nous ramène à la question du documentaire, tellement les vie vécues par les personnages de cette fiction, rappellent celles vécues en dehors du tournage du film, par les acteurs impliqués.

Si toutes ces correspondances sont vérifiables et si les liaisons sont établies entre les vies des individus, le film Le Garçu n’est-il pas alors un documentaire sur la vie d’un enfant parisien ?

On remarque ces correspondances dans bien d’autres films ; dans L’Enfance nue, les personnages ont les prénoms des acteurs tout comme dans Nous ne vieillirons pas ensemble ou La Gueule ouverte.

Mais pour aller plus loin et pour mettre à jour une réflexion extra-filmique qui peut appuyer notre idée selon laquelle le propre vécu du cinéaste est reporté au sein de ses films, nous pourrions nous risquer à avancer que le film Nous ne vieillirons pas ensemble est l’histoire de Pialat en pleine séparation avec celle qui fut sa première femme, Micheline. Jean Yanne endosse assez bien le rôle d’un personnage au caractère difficile dont beaucoup feront le parallèle avec celui de Pialat lui-même.

Si L’Enfance nue est un film qui doit beaucoup aux souvenirs du cinéaste, ajoutons que La Gueule ouverte est un film intimiste et complètement autobiographique qui raconte le moment personnel où Pialat ira revoir son père mourrant en Auvergne sans avoir pu, à temps, se réconcilier avec lui. Ce raté est tellement important qu’il aura failli être au centre du récit de Police, qui prévoyait à l’écriture du scénario, le retour de Mangin auprès de son père mourrant. Cette scène aura finalement été éliminée pour être reprise et assumée complètement dans Le Garçu. Ce film (le dernier de l’auteur) est un condensé de l’oeuvre de Pialat, du moins de sa propre existence.

On y retrouve tous les sujets abordés plus ou moins explicitement dans les précédents films de l’auteur. Les thèmes de l’enfance, du déplacement tardif et inutile vers le père, de la vie de couple (avec Sophie-Sylvie), y figurent comme une sorte de résumé ; le résumé d’une vie où l’on sent que les rôles ont changé. Elisabeth Depardieu, jouerait le rôle de Micheline Pialat, la première femme du réalisateur ; l’enfant de Pialat joue son propre rôle et Depardieu celui de Pialat (puisqu’il joue le rôle du père d’Antoine).

Or, si nous décelons un certain mélange ou une sorte de contamination entre l’acteur et le rôle qu’il endosse au sein de la fiction filmique, nous remarquons aussi qu’une figure (humaine) ne parvient pas à être complètement assumée, au sein de ces récits filmiques : ce personnage intriguant et souvent absent, qui semble ne pas avoir réellement de corps, nous intéressera plus tard, dans la troisième et dernière partie de notre travail, lorsque nous ferons enfin la lumière sur la quête mystérieuse qui semble hanter chacun des personnages ’pialatiens’.

Notes
291.

Partir de son propre vécu implique chez Pialat le tournage de séquences autonomes et forcément difficiles à mettre bout à bout et à replacer dans une certaine logique lors du montage. C’est ce qu’il explique notamment dans cet entretien sur ses méthodes de travail.

Stéphane Klein et Olivier Eyquem, « Trois rencontres avec Maurice Pialat » in Positif n°159, mai 1974.

Cela dit, la part autobiographique dans l’oeuvre de Pialat est un sujet qui revient fréquemment dans les entretiens accordés par le cinéaste. Même certains de ses films qui, au premier abord, ne proposent pas directement cette dimension autobiographique, sont tout de même profondément ancrés dans cette démarche souvent assumée de la part de Pialat.

Pour exemples, citons quelques phrases énoncées par l’auteur.

« Je n’ai pas fait L’Enfance nue parce que c’était un film avec des enfants. C’est le sujet qui m’était imposé de l’intérieur. Lui, vraiment, c’est un film très autobiographique, et je ne m’en rendais pas compte du tout. Enfin, quand je dis autobiographique, il faut se comprendre ; je veux dire qu’il est beaucoup plus personnel que le film autobiographique que j’ai fait après. (...)

Dans L’Enfance nue, bien que je n’aie jamais été enfant de l’assistance publique, il y a quand même des références à mon enfance. » in « Entretien avec Maurice Pialat » par Dominique Maillet, La Revue du cinéma n°258, mars 1972.

« (...) je vais vous dire la vérité, ma vérité. Au moins je ne me suis pas caché, rien à voir avec le déterreur de cadavres qui opère la nuit pour des raisons obscures...j’en viens au fait, parce que j’ai l’air e tourner autour du pot. C’est simple : La Gueule ouverte est un film totalement autobiographique, qui est issu d’une ébauche de scénario. » in « Entretien avec Maurice Pialat » par Jacques Fieschi et Philippe Carcassonne, Cinématographe n°57.

292.

Dans l’un de ses articles, Pierre Léon associera cette « réalité documentaire » à l’idée selon laquelle le récit du film Le Garçu, est fondé sur la vie privée du cinéaste. L’interpénétration entre « fiction » et « documentaire » se situe selon lui à ce niveau. En ce qui nous concerne et comme nous l’avons vu, cette interpénétration prend vie à d’autres niveaux et dans la conception même de la scène filmique et pas uniquement dans l’écriture d’un récit tourné vers la vie privée du cinéaste.

Pierre Léon, « Les haillons du réalisme » in Trafic n°17, Hiver 1996, Editions P.O.L, Revue du cinéma, Paris, 1996, pp. 5-12.

293.

Les Années déclic réalisé en 1983.

294.

« Ici et ailleurs », entre Villefranche-sur-Saône et d’autres lieux imprévus...n’est-ce pas dans ce déplacement physique sans limite, que se dessinent la puissance, l’intérêt et les origines de l’oeuvre de Depardon ? C’est en tous les cas, l’idée ressentie à la lecture de La Ferme du Garet qui est, à notre sens, autant un livre sur les voyages que sur le regret de ne pas avoir su être , il fallait et quand il le fallait... mystères de nos parcours et difficulté à assumer sa présence dans un lieu qui semble nous dire qu’il faut sans cesse partir...« J’avais téléphoné à mon frère et à ma mère, à Villefranche-sur-Saône, et ils m’avaient promis de venir me voir à Genève, prétextant je ne sais quoi à propos de mon père. (...) Ma mère et mon frère sont finalement venus à Genève. C’était un dimanche, on était au mois de juin, il faisait chaud, la journée avait été magnifique. Il était dix-sept heures, nous étions sur le bord du lac Léman, à l’ombre. Je voyais, devant moi, l’autre berge éclairée par le coucher du soleil. Ma mère était contente de me voir. Mon frère aussi. Nous étions assis et nous avions commandé des glaces. J’étais très maigre, je pesais cinquante-huit kilos. Nous parlions de ma santé quand soudain ils m’ont annoncé la mort de mon père. J’ai vu la terre s’effondrer. (...) Cette disparition sans deuil a été longue à cicatriser. Encore maintenant, je m’en veux de na pas avoir été à côté de lui au moment de sa mort. Il m’a réclamé jusqu’à la dernière minute. (...)

Je revenais dès que je le pouvais à Villefranche. (...) J’avais l’habitude de me balader dans les greniers avant de reprendre le TGV à Mâcon. Je travaillais pour la mission photographique de la DATAR. C’était un bon prétexte pour revenir à la ferme du Garet ! J’avais même un abonnement au TGV. »

Raymond Depardon, La Ferme du Garet, Editions Carré, Collection Actes Sud, 1997, p. 258.

295.

En regardant Central Park, Depardon pense à Villefranche-sur-Saône ; la cinquième avenue lui fait penser au désert plein de chameaux et de vieux forts et Brooklyn lui rappelle Beyrouth, etc.

Alain Bergala, Les Absences du photographe in Ecrit sur l’image - Raymond Depardon, correspondance

New-yorkaise -, Editions Libération / Cahiers du cinéma, Paris, 1981.