Du ngld au cortex : les voies dorsale et ventrale

La ségrégation des informations relatives au domaine spatial d'une part, et à la reconnaissance de forme d'autre part, qui commence dès la rétine se poursuit dans les niveaux de traitement plus élevés. On a en effet montré l'existence chez le singe (Mishkin et al., 1983) et chez l'homme (Ferrera et al., 1992 ; Ungerleider et Haxby, 1994 ; Ffytche et al., 1995 ; Tootell et al., 1995) de deux voies corticales de traitement, appelées voie dorsale (occipito-pariétale) et voie ventrale (occipito-temporale) (Figure 9).

Figure 9 . Voies de traitement visuel chez le singe. Les lignes pleines correspondent aux connexions existant pour les représentations du champ visuel central et périphérique, les lignes pointillées correspondent aux connexions restreintes aux représentations du champ visuel périphérique En rouge apparaissent les aires cérébrales appartenant à la voie ventrale et en vert celles appartenant à la voie dorsale. (D'après Ungerleider, 1995).

La voie dorsale qui répond préférentiellement à la question "où" (voie du "where") est impliquée dans le traitement visuel spatial et serait dominée par les projections de la voie M issues du ngld. Les couches M du ngld projettent principalement sur la couche 4C de V1 qui projette à son tour sur les bandes épaisses de V2, V3 puis l'aire MT (responsable du traitement du mouvement) et le cortex pariétal (impliqué dans les interactions visuo-motrices, la perception d'objet en mouvement ainsi que le déplacement propre) (Figure 10). Les régions fst (floor of superior temporal sulcus) et mst ( medial superior temporal sulcus) appartenant au cortex temporal supérieur font également partie de cette voie dorsale.

Parallèlement, la voie ventrale qui traite principalement la question "quoi" (voie du "what") est impliquée dans le traitement de la couleur et de la reconnaissance de forme et serait dominée par la voie P issue du ngld : les couches P du ngld projettent principalement sur la couche 4C de V1, qui projette sur les couches supragranulaires (2/3) avant d'atteindre les bandes pâles de V2, V3 puis V4 (responsables du traitement des formes et de la couleur), et le cortex inféro-temporal (impliqué dans la reconnaissance de forme et la vision fovéale) (Figure 10).

Cette ségrégation se poursuit jusque dans le cortex frontal. En effet, chez le singe, Bullier et collaborateurs ont montré que la voie ventrale projette sur la partie latérale du champ oculomoteur frontal fef (frontal eye fields, aire 45) tandis que la voie dorsale projette sur les parties médiale et latérale de fef (aire 8a) ainsi que sur l'aire 46 (voir aussi, Wilson, 1993 ; Schall et al., 1995 ; Bullier et al., 1996) (Figure 9).Parallèlement, chez l'homme, Ungerleider et collaborateurs (1998)ont mis en évidence une activation du cortex frontal inférieur dans une tâche d'appariement de visages, et du cortex frontal supérieur dans une tâche d'appariement de localisation.

Bien que cette séparation fonctionnelle ait été largement documentée, il semble que l'organisation des voies visuelles de traitement soit plus complexe. Des études chez le singe et chez l'homme ont en effet montré un grand nombre de connexions cortico-corticales entre différentes aires visuelles appartenant à ces deux voies (Felleman et Van Essen, 1991).Notons également que les fibres issues des couches K du ngld projettent directement sur les couches supragranulaires (2/3) de V1 au niveau des blobs, qui projettent sur les bandes fines de V2, puis sur V4 (Hendry et Reid, 2000). Par ailleurs, les blobs reçoivent des entrées provenant des couches 4C et 4B (innervées par la voie M) et de la couche 4C (innervée par la voie P) (Bullier, 1998).Enfin,les couches 5 et 6 de V1 projettent respectivement vers le colliculus supérieur et le ngld. Par ailleurs, les aires V4 et, dans une moindre mesure, MT reçoivent des entrées provenant à la fois des voies sous-corticales M et P(Maunsell et al., 1990 ; Ferrera et al., 1992, 1994a ; Ferrera et al., 1994b) ; les cellules K, projetant principalement sur la voie ventrale, semblent également jouer un rôle dans le traitement du mouvement (Casagrande, 1994 ; Morand et al., 2000). Enfin, si le cortex pariétal postérieur est largement impliqué dans le traitement spatial, il aurait également un rôle dans la sélection des effecteurs nécessaires à la réalisation de la tâche, autrement dit dans la préparation de l'action(Goodale et Milner, 1992 ; Calton et al., 2002), et c'est pourquoi certains auteurs parlent d'une composante "how" du cortex pariétal en regard à sa composante "where".

Figure 10 . Représentation schématique des voies de traitement visuel de la rétine au cortex. ngld : noyau geniculé latéral dorsal. (Modifié d'après Bullier, 1998).