3.1.2. Règles d'intégration au niveau du neurone unitaire

Le caractère intégratif d'un neurone multisensoriel dépend de quatre règles ou principes d'intégration :

  1. la règle de coïncidence spatiale est une conséquence du chevauchement des champs récepteurs unimodaux dans le neurone multisensoriel. Cette règle stipule que, pour que la réponse de ces neurones multisensoriels puisse être augmentée, il faut que les composantes unimodales soient issues d'une même source spatiale. Lorsque les stimuli unimodaux sont issus de sources éloignées, la réponse est inchangée voire diminuée (response depression) :un neurone qui répondait à une stimulation isolée aura une réponse significativement plus faible à cette même stimulation si un autre stimulus sensoriel est présenté à distance et "tombe" par conséquent en dehors de la zone excitatrice de son champ récepteur(Figure 20) (Meredith et Stein, 1986a, 1986b, 1996 ; Kadunce et al., 1997).
  2. de la même façon, la règle de coïncidence temporelle indique que l’ampleur de la réponse bi ou tri-modale est d'autant plus forte que les composantes unimodales sont temporellement proches ; en cas de disparité temporelle, la réponse sera inchangée ou atténuée. Toutefois, les informations auditives atteignent le cs plus rapidement que les informations somesthésiques, qui transitent plus rapidement que les informations visuelles. Par conséquent, les différentes informations issues d'un même évènement activent les neurones multisensoriels à différentes latences. Pour pallier à cette "asynchronie", les stimuli induisent en général une activité neuronale qui dure suffisamment longtemps pour permettre un chevauchement des activités induites par les différentes composantes et donc leur intégration. Ce fonctionnement explique la "fenêtre temporelle" relativement large au cours de laquelle l'intégration multisensorielle est possible (Meredith et al., 1987). La durée de cette fenêtre dépend des combinaisons sensorielles et peut atteindre 1500 ms. Les effets d'interaction maximum sont obtenus lorsque les pics d'activation des décharges unimodales se chevauchent.
  3. la règle dite d'efficacité inverse stipule que le gain d'activité neuronale induit par le stimulus bimodal est inversement proportionnel à la saillance perceptive de chacune des composantes unimodales : si l'efficacité d'une entrée sensorielle est forte, l’augmentation d’activité induite par sa combinaison avec une composante d'une autre modalité sera faible, et vice-versa. Ainsi, un stimulus unimodal non perçu (intensité inférieure au seuil de détection) peut le devenir par l’adjonction d’une autre composante sensorielle elle-même peu ou pas efficace (Meredith et Stein, 1986b). Cette propriété est comportementalement très intéressante car elle permet d'augmenter la saillance (baisse du seuil de détection) des stimuli peu efficaces. Ce phénomène peut expliquer les bonnes performances obtenues par des sujets héminégligentsdans une tâche de localisation(voir § 1.2.1) (Frassinetti et al., 2002).
  4. la règle de préservation des champs récepteurs indique que les champs récepteurs des neurones multisensoriels gardent les mêmes propriétés pour les entrées multimodales et unimodales, assurant ainsi la cohérence du monde sensoriel.
Figure 20 . Dépression de la réponse audio-visuelle. L'application d'un stimulus auditif apparemment inefficace diminue fortement la réponse au stimulus visuel. (D'après Meredith et Stein, 1986b).

Comme cela a été présenté au cours du premier chapitre, ces règles définies au niveau du neurone unitaire s'appliquent aussi globalement aux mesures comportementales chez l’animal et chez l’homme. En effet, les composantes unimodales sont plus aisément détectées et identifiées comme appartenant à un même objet si elles ont la même origine spatiale et temporelle. Leur intégration, ou au contraire la diminution de la réponse en cas de disparité spatiale peut être d'un intérêt écologique considérable (Hughes et al., 1998).

‘"… the presence of wide temporal windows gives critical flexibility in detecting and responding to minimal, albeit important stimuli at different distances from the animal, and the appearance of maximal depression when spatially disparate stimuli are in close temporal proximity is a means of focusing attention on the strongest, and presumably the most important, stimulus in the presence of potential distractors. Both effects have an impact on vertebrate viability, and are likely to have been major factors in their survival and proliferation." Stein and Meredith (1993, p.147-148)’