Interactions multisensorielles

Malgré l'absence d'effet de facilitation au niveau comportemental, et contrairement à nos attentes, des interactions neuronales - estimées dans la différence entre les pe aux stimuli bimodaux (AV) et la somme des pe aux stimuli unimodaux (A+V) (voir chapitre 6) - ont été observées dans les 200 premières millisecondes suivant la présentation du stimulus, dans les aires modalité-spécifiques ainsi que sur la région temporo-frontale droite. Par ailleurs, comme l'illustre la Figure 40, ces interactions différent encore partiellement entre les deux groupes de sujets.

Figure 40 . Topographie des interactions bimodales (mesurées dans [AV-(A+V)]) dans la tâche d'identification de cibles non - redondantes . Sur chaque ligne apparaissent : la fenêtre temporelle des patterns d'interaction significatifs (et la latence choisie pour l'illustration) ; les distributions de potentiel des réponses unimodales (A et V) ; et séparément chez les sujets auditifs et visuels, les distributions de potentiel des interactions et les cartes de Student associées (illustrant les zones où les interactions sont significatives au seuil de probabilité indiqué sous chaque carte).

En effet, l'analyse a révélé des interactions neuronales dans aires visuelles postérieures, entre 140 et 185 ms, uniquement chez les sujets à dominance auditive. Bien qu'apparaissant dans une fenêtre de latence proche de celle de l'onde N1 visuelle, ces interactions ont une topographie plus pariétale (Figure 40 : ligne 1), suggérant des sources neuronales au moins partiellement différentes.

En revanche, les sujets à dominance visuelle présentent des effets d'interaction multi-foyers entre 120 et 145 ms. L'un de ces foyers est caractérisé par un champ de potentiel négatif sur les électrodes fronto-centrales associé à des potentiels positifs autour de la mastoïde gauche, une topographie proche de celle observée dans les réponses unimodales auditives aux mêmes latences (Figure 40 : ligne 2). Bien que la topographie complexe de ces effets ne nous permette pas d'inférer avec certitude l'origine de ces interactions, il est très possible qu'elles soient, au moins en partie, dues à une activation dans les aires auditives.

Enfin, les deux groupes de sujets présentent un champ de potentiel négatif dans la région temporo-frontale droite. Chez les sujets visuels, l'amplitude des interactions est significative de 120 à 195 ms avec une topographie légèrement différente à partir de 170 ms. Bien que cet effet n'atteigne pas le seuil de significativité chez les sujets auditifs, sa distribution temporo-frontale sur l'hémisphère droit dans la même fenêtre de latences (120 à 195 ms) suggère que les mêmes processus sont en jeu dans les deux groupes de sujets (Figure 40 : lignes 2,3). Par ailleurs, la topographie de ces interactions diffère de celles des réponses unimodales : elles reflétent probablement la mise en jeu de neurones activés spécifiquement par le caractère bimodal du stimulus.

Ces résultats montrent donc que les phénomènes d’intégration multisensorielle ne sont pas restreints au traitement d’objets définis par des composantes redondantes : malgré l'absence d'effet de facilitation dans les mesures comportementales, nous avons observé des interactions multisensorielles qui sont certes moins nombreuses, plus faibles et plus tardives en latence que celles observées dans l'identification de cibles redondantes , mais qui mettent en jeu les mêmes régions cérébrales (cortex sensoriels spécifiques et régions temporo-frontales droites). Aucun modèle de psychologie cognitive ne permettait de prédire ces résultats.