Interactions multisensorielles

Comme dans les études précédentes, les interactions ont été estimées dans la différence entre les réponses évoquées par les stimuli bimodaux et la somme des réponses unimodales [AV-(A+V)]. Nous avons ainsi pu dissocier, temporellement et spatialement, plusieurs patterns d'interaction qui différaient partiellement de ceux observés dans nos études précédentes. Nous retiendrons trois effets majeurs : (1) dans les régions occipito-pariétales (dès 45 ms), (2) dans les régions centrales (autour de 105-140 ms) et (3) dans les régions frontales droites (170-185 ms).

Sur les aires visuelles postérieures, nous avons observé un champ de potentiel positif, significatif de 45 à 85 ms de latence (Figure 42 : lignes 1 et 2). Cependant, l'analyse des cartes de densité de courant révèle l'existence de deux sources de courant symétriques centrées sur P13 et P24 entre 45 et 65 ms (Figure 42 : ligne 1) suivies d'une source unique de courant centrée autour de POz après 65 ms (Figure 42 : ligne2). Ces distributions de courant différentes suggèrent donc l'existence de plusieurs composantes d'interactions au cours de cette période. L'absence d'activités similaires dans les réponses unimodales suggère de plus que ces interactions sont dues à l'activation de neurones peu ou pas activés par la stimulation visuelle seule.

Figure 42 . Topographie des interactions bimodales (mesurées dans [AV-(A+V)]) dans la tâche de détection. Sur chaque ligne apparaissent : la fenêtre temporelle des patterns d'interaction significatifs (et la latence choisie pour l'illustration) ; les distributions de potentiel des réponses unimodales (A et V) ; et séparément chez les sujets auditifs et visuels, les distributions de potentiel des interactions et les cartes de Student associées (illustrant les zones où les interactions sont significatives au seuil de probabilité indiqué sous chaque carte).

Un autre pattern d'interaction se manifeste par un large champ de potentiel négatif couvrant les électrodes frontales, centrales et pariétales autour de 105-140 ms (Figure 42 : ligne 3). Comme précédemment, ce pattern n'a pas de correspondance dans les réponses unimodales. De façon intéressante, l'analyse des densités de courant aux mêmes latences révèle de très faibles amplitudes : étant donné que l'amplitude des densités de courants à la surface du scalp décroît beaucoup plus vite que celle des potentiels avec la profondeur des générateurs intra-cérébraux (Pernier et al., 1988),la différence de morphologie entre les cartes de potentiel et de courant dans les interactions [AV-(A+V)] (Figure 42 : ligne 3) suggère fortement que les sources intra-cérébrales correspondantes sont profondes, possiblement dans le colliculus supérieur. L'implication du colliculus supérieur dans cette tâche est une hypothèse d'autant plus séduisante que, comme nous l'avons vu, cette structure possède un pouvoir intégratif important et joue un rôle dans les comportements d'orientation attentionnelle vers une cible (voir chapitre 3). Pour tester plus avant cette hypothèse, nous avons modélisé les données à l'aide d'un dipôle de courant stationnaire dans un modèle de tête sphérique sur l'intervalle temporel 120-135 ms post-stimulus, au cours duquel la topographie des effets reste stable. Le dipôle solution expliquait 81.7 % de la variance des données sur cette période de temps. Sa projection sur une irm anatomique d'un sujet (avec ajustement automatique du modèle sphérique sur la tête du sujet) situait son origine à 15 mm du colliculus supérieur (Figure 43), c'est-à-dire à une distance de l'ordre de la précision intrinsèque des modèles sphériques (voir § 5.2.4). Notons cependant que nous ne pouvons exclure une origine corticale pour ces interactions largement distribuées sur les aires pariétales et centrales.

Figure 43 . Modélisation dipolaire de [AV-(A+V)] sur la période 120-135 ms avec un modèle sphérique. A : distribution de l'amplitude moyenne entre 120 et 135 ms des potentiels expérimentaux sur les vues droite, gauche et de dessus. B : résultat de la modélisation par un dipôle de courant stationnaire. C : superposition du dipôle solution sur une image d'irm anatomique d'un sujet. D : distribution des potentiels théoriques reconstruits par le modèle.

Enfin, comme dans les expériences précédentes portant sur des tâches d'identification, des interactions neuronales ont encore été observées dans la région temporo-frontale droite entre 170 et 185 ms (Figure 42 : ligne 4), sans pattern similaire sur l'hémisphère gauche ou dans les réponses unimodales.