8.4 - Analyse comparative : détection versus identification (informations uni-sensorielles redondantes)

Figure 44 . Comparaison des interactions bimodales induites lorsque les sujets identifient (Giard et Peronnet, 1999) et détectent (Fort et al., 2002a) les mêmes objets caractérisés par des informations visuelles et auditives redondantes.

La comparaison de ces résultats avec ceux obtenus lorsque les sujets devaient identifier les mêmes objets bimodaux (portant des informations sensorielles redondantes) (Giard et Peronnet, 1999) met en évidence un certain nombre de ressemblances et de différences.

• Tout d'abord, dans les deux études, nous avons observé des interactions très précoces (dès 40-45 ms) dans les aires occipitales. Dans la tâche d'identification, ces interactions apparaissaient uniquement chez les sujets à dominance auditive (Figure 44 : ligne 1). Or ici, tous les sujets détectaient plus rapidement les stimuli sonores que les stimuli visuels et pouvaient donc être considérés comme présentant une dominance auditive pour la tâche. Ce résultat s'accorde donc avec l'idée que les interactions neuronales influenceraient préférentiellement le cortex de la modalité sensorielle non-dominante pour la tâche considérée (Giard et Peronnet, 1999 ; Fort et al., 2002b).
• Par ailleurs, dans toutes les expériences, des interactions neuronales ont été observées dans la région temporo-frontale droite. Ceci suggère un rôle de cette région dans les processus intégratifs quel que soit le traitement perceptuel à effectuer sur les cibles bimodales (identification / détection) ou le contenu informationnel des objets ( redondance / non - redondance ) (Figure 44 : ligne 3) dès lors que plusieurs stimuli uni-sensoriels seraient présentés simultanément (Bushara et al., 2001).
• En revanche, contrairement aux observations de Giard et Peronnet (1999) dans la tâche d'identification, nous n'avons pas observé de modulation de l'onde N1 visuelle lorsque les sujets devaient simplement détecter les stimuli. Or, une étude récente a montré que cette composante, générée dans le cortex extra-strié (Mangun, 1995) aurait un rôle fonctionnel important dans les processus de discrimination visuelle (Vogel et Luck, 2000). La diminution de l'amplitude de l'onde N1 visuelle dans la tâche d'identification avait été interprétée par Giard et Peronnet commeune facilitation neuronale (moins d'énergie visuelle engagée) pour discriminer les objets A et B. Ici, les sujets n'ayant pas de discrimination à effectuer pour réaliser la tâche, cette facilitation neuronale n'aurait pas lieu. Rappelons que dans la tâche d'identification de cibles non - redondantes , nous n'avions pas non plus observé d'effet sur l'onde N1 visuelle : ce résultat est cohérent avec le fait que l'information auditive ne facilitait pas la discrimination des objets (pas de facilitation comportementale).
• Une autre différence entre les tâches d'identification et de détection est l'implication possible du colliculus supérieur dans cette dernière tâche. L'intégration dans cette structure a souvent été associée à une facilitation d'orientation attentionnelle ou de localisation, apportée par la double modalité. Bien que la tâche de détection ne recouvre aucun aspect spatial ou d'orientation, elle ne nécessitait qu'un traitement sensoriel superficiel comme ceux mis en jeu dans les processus d'orientation. Cette hypothèse peut également expliquer l'activation du colliculus supérieur lors de la perception passive de stimuli audio-visuels dans des enregistrements irmf (Calvert et al., 2001). Au premier abord, la latence de ces interactions (120-135 ms) peut paraître tardive pour refléter l'activation d'une structure sous-corticale. Cependant, les études chez l'animal ont montré que les neurones intégratifs multisensoriels du colliculus supérieur reçoivent des projections de neurones corticaux (Wallace et al., 1993 ; Jiang et al., 2001), un phénomène compatible avec les latences relativement tardives rapportées dans nos données. Quelle(s) que soi(en)t la (ou les) structures précise(s) impliquée(s), le fait que ce pattern d'interaction n'ait pas été observé dans les tâches d'identification peut indiquer qu'il n'y aurait pas de facilitation neuronale dans cette (ou ces) structure(s) quand un niveau d'analyse plus profond est requis. Ceci, de nouveau, souligne la très grande flexibilité des mécanismes intégratifs qui s'adaptent probablement en vue du résultat le plus efficace au moindre coût énergétique.