A Introduction

A.1 Introduction

A.1.1 L’institution et le primat de la déliaison

Paralysies de la pensée, confusion avec leurs «objets», disqualifications professionnelles meurtrières, négation de l’histoire, ..., les institutions du soin et du travail social sont le théâtre d’incessants mouvements passionnels au sein desquels la violence agie le dispute sans cesse au travail de la «civilisation». Ces institutions ont à composer massivement avec la pulsion de mort, en ses agirs de déliaison et/ou de confusion mortifères. On peut même dire qu’il s’agit là de la tâche centrale qui leur est dévolue par le corps social : soit au travers de leur tâche primaire (soigner, aider, accompagner ...), de faire barrage à l’angoisse, à la destructivité, à la violence mortifère et meurtrière6.

Dans son oeuvre de déliaison et/ou de confusion Thanatos attaque et vise à détruire, le travail de pensée et le travail d’historisation, au travers de leur mise en panne, de leur mise en faillite, de leur refus.

Nous entendons par travail de pensée le travail psychique de liaison, de mise en représentation et de mise en sens. La tâche qui incombe aux professionnels dans ces institutions est celle d’oeuvrer constamment à maintenir et à restaurer un appareil psychique groupal, une position subjective qui soit à même de les assurer de leur «professionnalité» et de leur appartenance au groupe des professionnels ; soit de leur permettre de se déprendre de la confusion, du morcellement, ou du clivage, et ce faisant, de permettre que les différents «usagers» soient eux-mêmes considérés dans un inaliénable statut de sujet, et investis comme tels. Cet investissement passe par la mise en oeuvre d’un travail de pensée élaboratif qui prend pour objet les différents liens institutionnels, et centralement ceux qui se trament entre professionnels et «usagers». Ce travail de mise en représentation suppose un travail identifiant d’auto-représentation, et génère de la liaison par/dans la symbolisation 7.

Nous entendons par travail d’historisation le travail psychique d’inscription dans la chaîne généalogique et temporelle. Considérant (à la suite des propositions de Piera Aulagnier 1975, 1984), que le processus d’historisation sous-tend la construction psychique de tout sujet, nous postulons qu’il en est de même au niveau de la construction psychique des institutions, au travers des sujets et des groupes qui les composent, de leur inscription dans l’histoire et dans la génération.

Pensée élaborative et travail d’historisation sont donc les deux faces d’un même processus de subjectivation. Nous proposons de regarder les institutions à partir de la manière dont les sujets et les groupes professionnels jouent de leur refus ou d’un consentement à l’égard de ce processus dans sa double dynamique.

La violence dont ces institutions sont le théâtre, les crises qui s’égrènent au fil de leur histoire trouvent de la lisibilité dans une centration sur ce mouvement du refus ou du consentement à l’histoire (et à la généalogie), et à la pensée. Ces crises apparaissent alors comme des recherches d’issues face aux captations ou aux éradications dont la pensée est le lieu, et face aux captations ou aux éradications de la temporalité qui ont cours au sein des groupes professionnels et des institutions. Les deux registres se potentialisent l’un l’autre8.

Les atteintes faites à la pensée et celles faites à la temporalité attaquent et mettent en péril les processus identificatoires - et partant les équilibres identitaires - de l’ensemble des personnes participant de ces institutions (professionnels et usagers), libérant d’intenses charges de violences et de destructions. Mettre l’accent sur ces deux dimensions de la pensée et de l’historisation, propulse sur le devant de la scène les dérives totalitaires qui menacent en permanence ces institutions et qui allient dérives paranoïaques et dérives perverses (E. Enriquez 19919).

Le travail psychique des institutions concerne donc un travail de liaison et de transformation dans et par la pensée et un travail d’historisation.

Notes
6.

Outre le texte «fondateurnotion fondateur notion fondateur notion fondateur « d’Elliott Jaques (1955), Des systèmes sociaux comme défensenotion défense notion défense notion défense contre l’anxiété dépressive et l’anxiété de persécution - trad. franç. in : Lévy A., Psychologie Sociale, Textes fondamentaux, tome 2, Paris, Dunod (1990), un large ensemble de travaux témoigne de ces aspects : notamment ceux réunis par René Kaës dans l’ouvrage Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels, R. Kaës et alii, (1996) Paris, Dunod dont J.P. Pinel «La déliaison pathologique des liens institutionnels» - 1996, p. 48-79., ainsi que dans l’ouvrage : L’institution, et les institutions, (1987) notamment E. Enriquez «Le travail de la mort dans les institutions», p. 62-94. Nous aurons à revenir très largement sur ces travaux et sur ces auteurs, dans la mesure où notre propre travail trouve là un de ses points d’appuis (et non des moindres).

7.

Ces deux aspects historisationnotion historisation notion historisation notion historisation et symbolisationnotion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation sont étroitement liés, ainsi que n’a cessé de nous l’indiquer Piera Aulagnier au travers de l’ensemble de sa théorisation. Piera Aulagnier (1975), La violence de l’interprétationnotion interprétation notion interprétation notion interprétation - (cf. Castoriadis-Aulagnier P.) - Paris, Puf, 363p. & (1984), L’apprenti historien et le maître sorcier - Paris, Puf, 276p.

La récente synthèse de R. Roussillon concernant le processus de la symbolisationnotion symbolisation notion symbolisation notion symbolisation, propose selon une autre modalité une articulation voisine (1999 d), Symboliser - in : Agonie, clivagenotion clivage notion clivage notion clivage et symbolisation - Paris, Puf, p. 236-241.

8.

Concernant l’indissociable entre processus d’identification et processus d’historisationnotion historisation notion historisation notion historisation Piera Aulagnier énonce cette proposition dans les termes suivants : «Le processus identificatoire est la face cachée de ce travail d’historisation qui transforme l’insaisissable du temps physique en un temps humain, qui substitue à un temps définitivement perdu un discours qui le parle.» (P. Aulagnier (1984), op. cit., p. 196).

9.

Eugène Enriquez développe une telle approche dans son chapitre intitulé «Les deux formes du pouvoir mortel : le modèle paranoïaque et le modèle pervers», au sein de l’ouvrage de 1991, Les Figures du maître, Paris, Arcantère, p. 95-109. «Il m’est apparu que deux figures du pouvoir se détachent nettement : celle du maître se situant dans une position paranoïaque et celle du maître se plaçant dans une position perverse.» p. V.