A.1.2.1 Un questionnement «à partir d’une pratique»

C’est de nous trouver quotidiennement aux prises avec des institutions (du soin et du travail social) avec les impasses dans lesquelles elles se fourvoient, les mises en panne de la pensée et les mouvements de retrait des investissements qu’elles occasionnent, de nous retrouver à expérimenter la violence des passions et des éprouvés confusionnant ou morcelant, que notre démarche de recherche s’est mise en route.

En d’autres lieux, ou en d’autres moments nous avons rencontré des groupes professionnels qui parviennent à investir les différents «usagers» auprès desquels ils accomplissent leur tâche primaire, à poser un regard et à psychiser leur propre fonctionnement, ainsi qu’à réguler leurs relations dans une conflictualité suffisamment tempérée. Notre interrogation a donc pris forme autour du travail psychique requis par ces institutions, soit donc autour des processus de liaisons qui autorisent des investissements suffisamment vivants, ou qui manquent à le faire.

Chemin faisant notre compréhension s’est organisée autour du mouvement de refus ou de consentement, au travail de la pensée, au «rangement» généalogique, à l’historisation, et au processus identifiant que ces mouvements entraînent pour les professionnels et pour les «usagers».

Partant de la circulation des «objets10« au sein des institutions, nous en sommes venus à considérer le «pouvoir» dans son statut d’«objet» psychique, et à interroger les agencements (l’appareillage des liens entre les sujets, et entre les sujets et la structure) qui s’opèrent à partir de lui. Nous considérons que cet «objet» occupe une place de centralité au niveau de la psyché groupale institutionnelle, et que c’est autour de lui, à partir de lui, que l’institution élabore son rapport à l’interdit. En ce sens il conditionne le rapport de chacun des acteurs à la jouissance. C’est en effet le pouvoir qui, à partir des garants institutionnels qui le représentent, signifie la différence ou précipite une confusion incestueuse, dé-différenciatrice et mortifère.

Nous avons pris le parti de conserver au texte, en sa forme même, les traces de sa construction. Ainsi les différentes hypothèses qui découlent de la centration générale que nous venons d’opérer ci-dessus, apparaîtront au fil du texte, au fur et à mesure du développement des angles de vues qu’il va nous falloir réaliser pour circonscrire la dynamique et lui donner quelque relief.

Dans une première partie : «Entre paralysie de la pensée et travail de la symbolisation : les identifications professionnelles dans le soin et le travail social» nous éclairerons ces dynamiques à partir du «choix d’objet» professionnel, de la construction des identifications professionnelles et de la mise à jour des liaisons pulsionnelles qui garantissent les identifications du côté des groupes professionnels et des institutions. Ces liaisons procèdent en «double entrave» sous le primat du traumatisme et de la transgression, et génèrent de la paralysie de la pensée. Il s’agira de voir ce qu’il en est tout à la fois du côté des configurations groupales et des sujets singuliers, au niveau de leur propre économie psychique. Au sein de ces configurations, nous rencontrerons la question de la jouissance (et celle de son lien avec le travail de la symbolisation), et nous aurons à interroger le «forçage» requis pour cheminer de la jouissance mortifère à une mise en représentation et une mise en sens.

Dans une deuxième partie : «L’institution et «l’invocation généalogique11«, nous considérerons la structuration psychique des institutions (du soin et du travail social), la place occupée par le pouvoir sous la forme du méta-organisateur oedipien et de ses avatars. Il sera ainsi question des dynamiques de violences et de meurtres (professionnels) qui ont cours dans ces institutions, dans la corrélation entre les dynamiques relatives au pouvoir et à la temporalité. On rencontra les figures du refus de l’historicité et leurs liens à la généalogie institutionnelle. L’éviction de la temporalité prend la forme d’un rapt de la temporalité et d’un meurtre de la génération (filicide – parricide). Pour voir émerger ces dynamiques et ces problématiques nous aurons à nous intéresser à la manière dont les représentants du pouvoir (les directions des établissements du soin et du travail social) se configurent relativement à leurs «objets», aux tentations de l’emprise 12 et au refus de la temporalité toujours potentiel. S’esquisseront alors les alternatives du consentement à l’histoire, à la généalogie et à la pensée.

Ces dynamiques de consentement, de sorties du refus, se jouent à partir d’un «appel au méta-organisateur oedipien» (d’une assomption des «Noms- du -père»), en tant qu’il permet de faire barrage à la confusion, au morcellement et à la jouissance mortifère, de renoncer au meurtre et de consentir à l’histoire.

Notes
10.

Une phase de la recherche antérieure qui a trouvé à se formaliser au travers d’un DEA, avait ainsi considéré les circulations du pouvoir et de la reconnaissancenotion reconnaissance notion reconnaissance notion reconnaissance au sein des institutions. Transmissions et dons légitimants en institution : entre violence et reconnaissance (1997).

11.

Nous devons l’expression à Pierre Legendre (1989), Le crime du caporal Lortie. Traité sur le Père - Paris, Fayard, p. 117.

12.

Précisons que nous entendons cette notion d’emprise, dans son aspect mortifère, selon les acceptions de R. Dorey (1981) qui la caractérise ainsi : appropriation par dépossessionnotion dépossession notion dépossession notion dépossession de l’autre, domination, empreinte. Nous ne nous référons donc pas ici aux aspects d’appropriation subjectivante qui peuvent aussi être rattachés à cette notion d’emprise ainsi que le proposent les théorisations de Paul Denis (1997), Emprise et satisfaction - Paris, Puf, et celles d’Alain Ferrant (2001), Pulsion et liens d’emprise - Paris, Dunod.