A.2.1.1 La recherche et la mise en péril des équilibres défensifs

«L’objet» qui va être choisi comme «objet de recherche» présente des analogies et des résonances avec certains aspects de la psyché de celui qui tente de le penser, et plus précisément avec quelques points d’achoppements, quelques troubles énigmatiques que le sujet-chercheur s’aventure (une nouvelle fois) à revisiter et tente d’élaborer. «L’objet de recherche» réfère donc au statut «d’objet psychique» pour le chercheur. En ce sens, il «trouve» le chercheur tout autant que lui-même le «trouve». Du fait de ces résonances, différentes temporalités vont se conjoindre au sein de la recherche. Le chercheur va se trouver cycliquement aux prises avec des effets d’alignements entre la thématique traitée et la psyché qui tente de s’en saisir. Ces alignements précipitent des «mises en abîme», des faillites (momentanées) du processus de pensée lui-même. Ces figures du vertige sont omniprésentes dans la clinique des groupes et des institutions - mentionnons pour esquisse l’une des configurations qui nous occupera ultérieurement, où cette figure se manifeste : la «mise en abîme» qui résulte de l’alignement des «failles» du professionnel et des symptômes des sujets auprès desquels il exerce son activité professionnelle. À cet endroit les traces en sont des zones de non-pensée, des suspens de la temporalité.

Dans ces emboîtements l’objet se dérobe en une démultiplication ad libitum. Il n’est alors plus d’accroche, plus de visage singulier à même de servir de support aux identifications, plus d’images suffisamment unifiées, à même de permettre au «Je» de se savoir. Dans notre travail de recherche, nous allons développer des hypothèses relativement aux positions des professionnels du soin et du travail social, selon lesquelles ces positions se soutiennent par la fréquentation des contrées de l’archaïque. Les professionnels agissent simultanément dans ces positions, sublimation et jouissance. Ils tentent de faire advenir à la représentation des éléments de leur propre histoire restés en souffrance, s’efforçant dans le même temps de méconnaître ces aspects. Le chercheur n’échappe pas à ce qu’il s’applique à révéler. Afin de pouvoir se construire, puis se maintenir, les identifications (dont les identifications professionnelles) requièrent des espaces mutiques, des zones obscures, des dépôts impensés. Si le travail de recherche vise précisément à «démutiser», à éclairer un certain nombre de ces territoires d’ombre, tout effort de clarification met en péril les équilibres défensifs du sujet-chercheur, au travers du remaniement des différentes identifications qui se trouvaient configurées en dépôts silencieux, en zones clivées, confusionnées. Celles-ci trouvaient à se reproduire et à se maintenir dans l’intersubjectivité qui lie le professionnel et ses «objets» - qu’il s’agisse d’une clinique individuelle ou de celle qui se spécifie d’une rencontre avec des ensembles intersubjectifs plus larges -, et dans les configurations trans-subjectives liées à ce travail.