A.2.1.1.1 Le leurre du dévoilement

Les moments où se conjuguent position de chercheur et quête de savoir, soulèvent des mirages, au premier rang desquels celui qui donne à croire que l’identité se trouve assurée et rehaussée par le savoir, à l’endroit où celui-ci est espéré comme apte à fournir enfin un socle de certitudes aux errances du sujet et de son désir. Ce savoir peut jouer le «bouchon» au moment où le mouvement de la recherche dévoile l’incomplétude, et confronte le sujet à son manque, à l’infini du «pensable» et aux limites imposées par la temporalité - le sujet-chercheur est donc aux prises avec cet incessant mouvement paradoxal. Il se retrouve «tenaillé» entre une tentation d’emprise et un mouvement qui vise au repos confiant fondé dans la poussée subjectivante de la dynamique inconsciente.

Le «Je» peut jouer à se leurrer et prêter au savoir la vertu de prendre en compte l’inconscient et de lui permettre le dépassement de sa division structurelle. Le savoir estampillé de l’inconscient est alors imaginarisé comme procurant un accès (définitif) à l’ordre de la vérité. Or « ‘Le savoir exige le renoncement à la certitude du su, vouloir la certitude implique le refus de reconnaître que tout savoir est coextensif d’un mouvement continu’» ainsi que le souligne P. Aulagnier (198615).

Les recherches réalisées à partir de la métapsychologie psychanalytique en tant qu’elles visent un savoir sur les processus inconscients, avoisinent avec la «révélation» du mystère de l’humain et de son désir. En cela elles potentialisent une mise en faillite du travail d’élaboration subjectivant. Psychologues et psychanalystes n’échappent pas à ce leurre du dévoilement, au travers de l’accès aux dimensions de l’intime, aux territoires habituellement interdits voire tabous et de la focalisation de l’attention sur l’impensé et le négatif de tout lien. Le savoir peut dès lors être le lieu d’un retournement où le plaisir de penser se transforme sous un excès d’excitations, ouvrant alors la question de la jouissance mortifère dans le même temps où s’esquissent les dérives de la perversion. Piera Aulagnier pointe cette confusion potentielle et la nécessité qui en découle d’avoir à séparer «la voie du savoir» et celle de la «jouissance».

‘«Sublimer son rapport au savoir signifie pouvoir séparer la voie du savoir et la voie de la jouissance (...). La sublimation du rapport Sujet-Savoir présuppose que le sujet accepte de reconnaître que tout nouvel objet de savoir ne peut que le renvoyer à un nouveau non su, que le champ du savoir ne peut obtenir le sceau de la vérité que pour autant qu’il préserve ce manque. En d’autres termes, il faut que ce champ soit celui où s’inscrit l’interrogation du sujet sur l’objet «a», interrogation qui prouve que cet objet reste exclu de ce champ.» (P. Aulagnier 196716).’

Ces illusions concernant le savoir et la place imaginaire que le «Je» leur confère, peuvent jouer un temps comme illusions motrices. Elles lui permettent alors de consentir à une mise en déséquilibre momentané d’une pratique et de la position qui s’y soutient, en escomptant une prime de plaisir à terme. À cet endroit les changements parfois radicaux que Freud lui-même a opérés dans ses conceptualisations et sa praxis - de tels mouvements de la pensée semblent être une constante chez les grands découvreurs -, nous sont un témoignage précieux de ces bouleversements consentis et des (modestes) gains de compréhension ultérieurs que le «Je» peut en attendre.

Notes
15.

Piera Aulagnier (1986), Un interprète en quête de sens - Paris, Ramsay, p. 199.

16.

Piera Aulagnier (1967), Le «désir de savoir» dans ses rapports à la transgressionnotion transgression notion transgression notion transgression, in L’inconscient n°1, repris dans Un interprète en quête de sens - Paris, Ramsay, 1986, p. 156.