A.2.1.2 Chercheur et praticien : entre emprise et déprise

Une recherche qui prend directement appui sur les pratiques cliniques de son auteur génère une position conflictuelle, qui va elle-même devoir faire l’objet d’un travail de perlaboration.

A.2.1.2.1 Le chercheur malmène le praticien et/ou le nourrit

La posture de clinicien requiert la construction d’une position de «non-savoir», ou tout au moins de suspens (momentané) d’un savoir de manière à rendre possible la rencontre22. Or le chercheur s’efforce de mettre à jour un «non-savoir» non dans l’ordre d’une dessaisie, mais tout au contraire dans celui d’une maîtrise. Il s’agit de tenter de penser son acte, et de le penser à l’endroit où le démasquage des positions transférentielles constitue la condition même de la clinique, ceci en un travail d’après-coup qui ne saurait prétendre qu’à la reconstruction, et au manque, ainsi que S. Viderman (197023) l’a pointé à propos de «la construction en analyse».

Le travail de recherche jette une lumière crue sur les bricolages des différents «dispositifs praticiens» (R. Roussillon), et malgré une référence à C. Levi-Strauss, censé avoir ennobli le bricolage, en le référant aux montages culturels, la pratique n’apparaît pas toujours comme étant des plus nobles, et se révèle plutôt bâtarde24 et mal accoutrée. Dans ces recherches, le divan peut rester en ligne de mire, avec la «pureté25« imaginaire attachée à ce dispositif.

Chemin faisant la recherche ne manque pas de générer quelques «insight», quelques clarifications, relatifs à la position subjective occupée précisément à l’occasion d’une pratique, voire des unifications «d’objets» qui se présentaient antérieurement comme morcelés, ou de bribes de théorisations par trop composites ou hétérogènes. L’écriture suppose un travail de reprise des différentes situations cliniques et en cela constitue un «nouvel après-coup», potentialisant de nouvelles élaborations.

‘«Dans le champ du savoir qui nous concerne, le tendre vers la vérité de l’énoncé implique que soit connue et interrogée à chaque pas la vérité de l’énonçant. La parole de l’analyste ne trouve sa garantie de vérité que dans le savoir de l’énonçant sur lui-même et donc sur le désir qui meut sa parole.» (P. Aulagnier198626).’

Une nouvelle difficulté apparaît alors : celle qui transforme ces unifications momentanées, en socle de certitude venant alors obstruer l’horizon à toute avancée ultérieure, à toute poursuite de la compréhension de cet «objet institution» et des processus dont il est le lieu. La survenue d’une pensée unifiante et unifiée, relativement à cet»objet» composite, hétérogène, complexe, sonne comme une victoire héroïque ; dès lors la garde se relâche (cette position critique, et cette curiosité indispensable à la poursuite de la recherche), tant il est vrai que se retrouver aux prises avec cet objet ressemble parfois à une rude empoignade. Au moment où il pense «en tenir un bout» dans la pensée, le «Je» s’y agrippe, et l’ombre de la clôture idéologique se dessine.

Notes
22.

Autour de cette position, psychanalyse et psychopathologie divergent. Dans une posture clinicienne l’intervenant attend du patient ( sujet ou groupe), que celui-ci dans le transfertnotion transfert notion transfert notion transfert l’informe (et s’informe) de ses enfermements, là où la psychopathologie en ses excès, recours (urgemment) au diagnostic comme savoir préalable sur le patient.

23.

Serge Viderman S. (1970), La construction de l’espace analytique - Paris, Denoël (pour la 1° édit.); Tél Gallimard (1982), 344p.

24.

Alain-Noël Henri développe une réflexion épistémologique autour de ces aspects du statut du savoir dans les pratiques sociales et l’Université, et leur rencontre en trompe-l’oeil ; ceci, dans un ouvrage (à paraître 2002), qui dans son titre même évoque cette question des métissages et de la bâtardise : Le secretnotion secret notion secret notion secret de famille et l’enfant improbable - in Mercader P. et Henri A.N. (sous la dir. de), La psychologie : filiationnotion filiation notion filiation notion filiation bâtarde, transmissionnotion transmission notion transmission notion transmission incertaine», p. 151-226.

25.

Ce n’est pas là un des moindres paradoxe de la psychanalyse (au travers de ses batailles de clochers), que d’avoir laissé se réintroduire l’idée d’une «pureté» à l’endroit même où cette pratique prend pour objet le «négatif», et tend à révéler les parties obscures et cloacales de l’inconscient, où le «Je» s’emprisonne en ses collages archaïques - «L’or pur de la psychanalyse».

26.

Piera Aulagnier, (1968, 1986), Comment peut-on ne pas être persan? - Un interprète en quête de sens, p. 43, Paris, Ramsay, 1986. Le passage en italique est souligné par nous.