A.2.2 Quelques difficultés épistémiques

Considérons quelques autres difficultés épistémiques inhérentes à «l’objet» de recherche. Une première réside dans le fait que l’institution et le groupe peuvent apparaître comme des objets relevant de la psychologie sociale, champ qui est alors envisagé en opposition à une clinique qui trouverait sa légitimité du côté du seul sujet.

Freud, loin d’établir une telle frontière entre ce qui se structurerait comme deux disciplines distinctes, énonce en 1921 que «‘la psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément, une psychologie sociale, en ce sens élargi, mais parfaitement justifiée.’». C’est sous l’égide de ce texte que le C.E.F.F.R.A.P. a lui-même placé ses textes fondateurs27.

‘«L’opposition entre la psychologie individuelle et la psychologie sociale ou psychologie des foules, qui peut bien à première vue nous paraître très importante, perd beaucoup de son acuité si on l’examine à fond. Certes, la psychologie individuelle a pour objet l’homme isolé et elle cherche à savoir par quelles voies celui-ci tente d’obtenir la satisfaction de ses motions pulsionnelles, mais ce faisant, elle n’est que rarement – dans certaines conditions exceptionnelles – en mesure de faire abstraction des relations de cet individu avec les autres. Dans la vie psychique de l’individu pris isolément, l’Autre intervient très régulièrement en tant que modèle, objet, soutien et adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément, une psychologie sociale, en ce sens élargi, mais parfaitement justifiée.» (S. Freud 1921).’

Au-delà de la recherche d’une parole légitimante de l’ancêtre fondateur, le mouvement indiqué dans ces lignes témoigne de la configuration même de la subjectivité. Le sujet n’est tel que de s’inscrire dans le lien, de prendre place dans l’intersubjectivité et de se lier dans la trans-subjectivité.

‘«Le sujet auquel elle (la psychanalyse) a affaire n’est pas le sujet social, mais le sujet de l’inconscient. Le groupe est ici considéré sous l’aspect où il est une condition de la formation de l’espace intrapsychique, et donc probablement de l’inconscient.» (R. Kaës, 199728).’

L’éclosion et la multiplication des travaux autour des structures inter-subjectives et trans-subjectives (l’institution et le groupe, mais aussi la famille, travaux relativement récents, au regard du siècle de psychanalyse écoulé) sont issues de la rencontre avec des «objets» qui obligent à élargir le champ d’observation et à se décentrer d’une focalisation sur la seule dynamique intrapsychique, aux fins d’entrevoir les potentialités psychotiques et celle des «états (dit) limites». Les avancées dans l’exploration et la «compréhension» de la psychose ont révélé les configurations archaïques de la psyché, et la nécessité pour entendre ces dynamiques, de prendre en compte l’intersubjectivité et la trans-subjectivité en s’intéressant à la réponse de «l’objet», et à l’ensemble des processus qui n’ont pas eu lieu, à ce qui n’est pas advenu. Penser la structuration et la vie des institutions confronte aux registres de l’archaïque, de la non-pensée, aux clivages, et aux évitements ; toutes configurations dont E. Jaques et J. Bleger parmi les premiers ont indiqué que les sujets et le socius se soutenaient de cette «mise au négatif», de cette éviction de la pensée.

Notes
27.

S. Freud (1921), Psychologie des foules et analyse du Moi - in Essais de psychanalyse - Trad. franç. : Paris, Éditions Payot, 1981, p. 123. Ce texte figure en ouverture du document de présentation générale du C.E.F.F.R.A.P. (J. Villier, 1996, nouvelle édition revue 2000), Formation, Supervision, Interventions au C.E.F.F.R.A.P. - in Blanchard-Laville C. et Fablet, D. (ouvrage coordonné par), L’analyse des pratiques professionnelles, Paris, L’Harmattan, p. 269-283.

28.

René Kaës (1997b), Le groupe et le sujet du groupe : la parole et le lien - in Connexions 69/1997-1 : Le groupe évolutionnotion évolution notion évolution notion évolution des théories et des pratiques II, p. 67.