A.2.2.1.1 La difficulté à constituer l’institution comme «objet» clinique

Aborder l’institution c’est se trouver aux prises avec un objet complexe, un objet qu’il est impossible de saisir, et de circonscrire dans une pensée, ceci, de par la multiplicité des dimensions en présence. R. Kaës (1997, 200131) parle à cet endroit de d’inextricable et de «phénomène total « (au sens de M. Mauss).

Un tel «objet» fait osciller le «Je» entre désir d’emprise et assujettissement. «L’approche de l’institution mobilise le désir de tout dire, de ne rien perdre, et en même temps à l’impossible de sa saisie.». Tel est le fantasme qui envahit tout sujet qui se confronte à cet «objet», ainsi que l’énonce J.P. Pinel (199632). L’institution est «‘partie constituante et externalisée de la psyché’»33, aussi ne saurait-il y avoir à son égard de position d’extériorité. L’aporie classique en psychologie clinique de la non-extériorité de la psyché, se redouble donc d’une non-extériorité de «l’objet» institution. En tant qu’elles participent à la tâche de socialisation des sujets, les institutions sont de magnifiques machines à instituer de l’identité, à constituer du narcissisme et du lien, et partant à fabriquer du refoulement, du négatif34.

De plus les institutions qui vont nous occuper (celles du soin et du travail social) sont aux prises avec les avatars du lien, ses excès et ses défaillances. Elles se spécifient d’être des lieux de traitements de la déliaison.

Cet ensemble de paramètres a dès lors pour effet de paralyser la pensée dans sa fonction élaborative ; paralysie qui se caractérise alors comme une impossibilité (voire une interdiction) de réflexivité.

‘«Les contre-investissements sollicités (dans le rapport à l’institution) se manifestent notamment par une paralysie psychique à penser l’objet et son rapport à l’objet.» (J.P. Pinel 199635).’

Tout se passe alors comme si était barrée pour le «Je» toute prétention 

  • à se penser dans le rapport à son objet,

  • à penser la place à laquelle il se trouve assigné dans des configurations groupales au sein desquelles il joue ses identifications,

  • à penser le rapport du groupe à l’égard de ce même «objet»,
    soit à penser les «corrélations des subjectivités».

Notes
31.

René Kaës (2001), Préface à la nouvelle édition de « L’institution et les institutions» (1987), Paris, Dunod.

32.

Jean Pierre Pinel (1996), La déliaison pathologique des liens institutionnels - in Kaës R. et alii : Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels, Paris, Dunod, p. 51.

33.

Jean Pierre Pinel (1996), op. cit. p. 52.

34.

L’ensemble des affirmations et des raccourcis qui suivent trouveront à se développer au cours de l’écriture.

35.

Jean Pierre Pinel (1996), op. cit., p. 52.