A.2.4 Quelques précisions terminologiques

Concernant les raccourcis terminologiques auxquels nous avons recours dans l’écriture, deux remarques sont d’ores et déjà à souligner. Parlant des «institutions», nous usons du terme dans l’ordre de la métonymie : ainsi au travers des formulations qui parsèment notre propos, telles : «la vie psychique institutionnelle», «le travail requis des institutions» (...), convenons que ce qui est à entendre dans de telles formulations c’est qu’une institution n’existe que par les sujets qui la composent. Ce sont eux qui composent un «appareil psychique intersubjectif», un «appareil psychique groupal» (R. Kaës). «L’institution» en toute rigueur de termes ne saurait avoir une existence comme entité psychique ; lorsque nous personnifions ainsi l’institution, il s’agit donc de désigner l’appareillage psychique des liens groupaux des sujets qui la composent, dans leur lien au cadre, à la structure (dans leur pérennité) et à l’histoire.

Un autre «raccourci» est celui qui nous amène à désigner l’ensemble des institutions auxquelles nous avons affaire, et dont nous tentons d’éclairer quelque peu le fonctionnement psychique comme «les institutions du soin et du travail social» - à certaines autres occasions nous aurons recours pour les nommer à ce qui spécifie leur tâche primaire : les institutions «du soin, de l’aide, et de l’accompagnement». Nous rassemblons sous ces expressions la pluralité des configurations qui constituent ce champ, en mettant l’accent sur l’homogénéité de leur fonction sociale, et celle des incidences psychiques du travail avec les «objets» autour desquels s’est constitué leur tâche primaire. Il s’agit pour cet ensemble d’institutions de «‘servir de dépôts aux angoisses du corps social’» (E. Jaques), de faire barrage à la déliaison mortifère agie par les différents publics qui viennent y prendre place, d’opérer une fonction identifiante pour ces mêmes sujets, (...)44.

Même si ces institutions ne sauraient être assimilées à une structuration et à un fonctionnement univoque du point de vue de leur économie psychique, elles relèvent d’une même fréquentation de l’archaïque, d’un même envahissement des processus primaires, et d’un même retentissement de ces processus sur leurs propres constitutions. Les professionnels qui oeuvrent dans ces institutions se caractérisent également d’y jouer une même «appétence traumatophilique» (J. Guillaumin).

Soulignons toutefois qu’une différence majeure existe entre les pratiques qui relèvent du soin somatique et celles qui relèvent du soin psychique. Ces deux champs présentent entre eux une plus grande hétérogénéité que celle que l’on rencontre entre les institutions du social, du médico-social et de la psychiatrie. Les approches du soin somatique et du soin psychique45 se différencient notamment au niveau des modalités défensives requises - sans développer trop précisément ces aspects46, précisons pour l’heure que le soin somatique dans son versant curatif ne saurait se soustraire à des modalités de fonctionnement caractérisées par l’opératoire, et que les modalités de fonctionnement psychique des personnels qui travaillent en ces lieux sont elles-mêmes caractérisées par ce même mode de fonctionnement (opératoire), et se soutiennent par le recours à de massives idéalisations. Les institutions qui relèvent des pratiques «d’accompagnement 47 », même si elles participent de ces mêmes modalités défensives, font toutefois appel à des défenses plus secondarisées (ou qui se voudraient telles) ; ceci les conduit à recourir à de la mise en pensée largement teintée d’idéologie, et à devoir composer avec les dérives inhérentes à ce type de fonctionnement, - à moins qu’un véritable travail élaboratif ne parvienne à «tenir en respect» la constante menace de clôture idéologique.

Le champ du somatique impose des exigences de validation dans le réel des corps (exigences parfois vitales), là où les champs du travail social, du médico-social et de la psychiatrie ne sont pas astreints à de pareilles préoccupations ; sachant au reste que le champ somatique n’est pas un champ unifié, et qu’il existe en son sein un ensemble (non négligeable) de pratiques qui se situent dans une grande proximité de celles qui caractérisent le champ du social, médico-social, et psychiatrique, - il n’est que de penser à l’ensemble du secteur de la prévention médicale, ou à celui des personnes âgées, qui, même s’ils constituent des secteurs hospitaliers, n’en partagent pas les mêmes exigences curatives. Les évolutions du système de santé, qui rapprochent les deux champs du soin somatique et du soin psychique, conduisent le champ somatique à une mutation dans ses modalités de fonctionnement, et nous assistons à des tentatives de mise en pensée, analogues à celles de l’ensemble des autres champs.

La formulation générique : «les institutions du soin et du travail social» désignera donc cet ensemble qui, quoique partiellement hétérogène, partage une même exigence de travail de mise en pensée et de mise en histoire, face à la déliaison qu’ils ont pour tâche de juguler.

Notes
44.

Nous aurons à revenir sur les différentes fonctions que remplissent ces institutions dans notre chapitre, «L’institution et la «fabrique» des sujets» (en début de 2° partie).

45.

Le soin somatique et le soin psychique constituaient dans un passé récent deux entités administratives différenciées : les «hôpitaux psychiatriques spécialisés» et les «hôpitaux généraux». Les «évolutions» du système de santé ont conduit à assimiler le soin psychiatrique à l’intérieur des entités administratives hospitalières générales.

46.

Nous ferons appel tout au long de ce travail à différentes situations se déroulant dans l’un ou l’autre de ces champs. Cette clinique groupale et/ou institutionnelle nous permettra d’examiner la composition et le fonctionnement de ces différents contextes.

47.

Paul Fustier recourt à cette notion d’accompagnement pour caractériser cet ensemble de pratiques : 2000 : «Le lien d’accompagnement», et déjà en 1993 «Les Corridors du quotidien» sous-titre : «La relation d’accompagnement dans les établissements spécialisés pour enfants».