B.1.1.1.1 Entre re-duplication et transformations

S’insérer dans une profession, c’est donc choisir un cadre, un contexte qui offre au «Je» la possibilité de «rejouer» son économie identificatoire, dans un double mouvement de re-duplication des points d’achoppements, et des positions intersubjectives et transubjectives que cela précipite, mais aussi dans une tentative de dépassement, de sublimation de ces mêmes avaries.

‘«Aucun être humain ne peut jouer entièrement son identité dans le champ de l’économie érotique, car c’est se placer là dans une situation extrêmement périlleuse ; chacun cherche donc à former des substitutions, par lesquelles on peut reprendre ce qui ne s’est pas accompli dans la sphère amoureuse et jouer cela dans un autre champ, au moyen d’un déplacement que la théorie baptise «sublimation», et qui se déroule selon les termes de Freud, dans une «activité socialement valorisée». Dès lors et dans le meilleur des cas, les succès dans la sphère sociale et dans la sphère privée s’alimentent mutuellement.» (C. Dejours, 199353).’

Le lieu du professionnel occupe une place privilégiée, qui condense un faisceau d’enjeux subjectifs, au titre desquels : les processus de nominations et les affiliations, le désir de reconnaissance et les étayages, ... Le groupe professionnel se constitue pour un sujet comme un (nouveau) groupe d’appartenance identificatoire, et c’est à ce titre que le «Je» vient s’y engager, tenter de s’y reconfigurer et ce faisant, de retrouver et de transformer les satisfactions et les déplaisirs qu’il attend de ses «objets internes».

En 1929 Freud écrivait à propos du travail : «‘aucune autre technique pour conduire sa vie ne lie aussi solidement l’individu à la réalité que l’accent mis sur le travail, qui l’insère sûrement tout au moins dans un morceau de la réalité, la communauté humaine. La possibilité de déplacer une forte proportion de composantes libidinales, composantes narcissiques, agressives et même érotiques, sur le travail professionnel et sur les relations humaines qui s’y rattachent, confère à celui-ci une valeur qui ne le cède en rien à son indispensabilité pour chacun aux fins d’affirmer et justifier son existence dans la société. L’activité professionnelle procure une satisfaction particulière quand elle est librement choisie, donc qu’elle permet de rendre utilisables par sublimation des penchants existants, des motions pulsionnelles poursuivies ou constitutionnellement renforcées’ 54.».

Dans ces réflexions de 1929 on trouve l’indication selon laquelle «‘une forte proportion de composantes libidinales (composantes narcissiques, agressives et même érotiques’»), sont déplacées sur cette scène du «‘travail professionnel et sur les relations humaines qui s’y rattachent’». Freud souligne ici le lien entre l’activité et les relations induites par l’activité. Il indique l’aspect de la sublimation attaché à ces déplacements de la libido : «‘rendre utilisables par sublimation des penchants existants’», mais, dans le même mouvement, il pointe le versant de cette activité qui va jouer du côté de la répétition, et des étayages du «Je» : les «‘motions constitutionnellement renforcées’».

C’est à ces aspects des identifications professionnelles que nous allons nous intéresser, nous efforçant de mettre à jour les circulations libidinales, les exportations de la scène psychique sur la scène sociale, et leurs enjeux pour un sujet.

Notes
53.

Christophe Dejours (1993), Travail, Usure mentale. De la psychopathologie à la psychodynamique du travail - Paris, Bayard.

54.

Freud (1929), Le malaise dans la culturenotion culture notion culture notion culture - Trad. franç. Paris, Quadrige/Puf, 1995, p. 23, note de bas de page.