B.1.1.4 Position professionnelle, compulsion de répétition et «symptôme»

‘«Ce qui est demeuré incompris fait retour ; telle une âme en peine, il n’a pas de repos jusqu’à ce que soient trouvées résolution et délivrance» (S. Freud, 190975).’

Pour dessiner plus avant les étayages entre professionnels et «usagers» du soin et du travail social, rappelons qu’une fois établies et insérées dans la trame sociale, une fois qu’elles ont «pignon sur rue», ce sont ces institutions, qui, au travers de l’offre qu’elles préfigurent, s’adressent à des sujets présentant des symptômes et des souffrances particulières, et ceci avant que ces sujets ne s’adressent à ces institutions dans une demande d’aide.

Ce sont donc les institutions et les professionnels qui y exercent, qui sont porteurs (représentants) pour le groupe social plus large d’un certain type de symptôme. Les institutions, dans la stabilité qu’elles incarnent aux yeux du socius, font office de lieux de dépôts de ces parties souffrantes (E. Jaques 1955, 1972, R. Kaës 1987, L. Ridel 1995, ...)

‘(L’institution) assure (...) des défenses contre les angoisses dont l’origine ou la source ne semblent pas directement liées au fait institutionnel. En ce sens nous participons à des institutions qui nous apportent certaines défenses contre nos angoisses. «C’est pourquoi nous pouvons considérer, après Jaques (1955,1972) que l’institution accomplit des fonctions de défenses contre les angoisses, notamment psychotiques, des membres de l’institution, pour chaque individu en tant que tel, pour chaque individu en tant qu’il est partie prenante dans l’institution, et pour l’espace commun de l’institution». (R Kaës 198776).’

Les sujets en «demande» d’aide sont ainsi (massivement) aux prises avec la compulsion de répétition. C’est précisément cela qui va déclencher leur mise en contact avec les institutions que les sujets soient eux-mêmes «porteurs» de la demande ou que celle-ci soit relayée par le corps social, qui vient alors stigmatiser un «comportement», ne change rien à l’affaire. Les professionnels qui choisissent de «prendre en charge ces populations» se trouvent confrontés à un inlassable retour des différents symptômes au niveau des sujets singuliers qu’ils accueillent (ou dont ils s’occupent). Toutefois, même lorsque ces symptômes trouvent à s’abraser au niveau individuel, ils ne cessent de se réinscrire au travers d’individus différents, au travers des nouveaux arrivants, de ceux qui succèdent à ceux qui partent. Dès lors l’on peut affirmer que l’institution construit un véritable dispositif de répétition ; la compulsion y est de mise.

À suivre Freud (1920) cette compulsion a partie liée avec les angoisses et la pulsion de mort. De par les effets de nombre, et le renouvellement constant des effectifs, ces symptômes qui caractérisent des sujets singuliers, apparaissent au niveau des institutions comme pérennes. Les professionnels sont ainsi aux prises avec les agirs de la pulsion de mort, sous la forme de ce qui ne cesse de venir s’y inscrire, et s’y répéter. Nous soutenons qu’en cela la compulsion de répétition caractérise ces institutions du soin et du social. Des sujets remplacent des sujets, mais pour l’institution, et pour les professionnels, le symptôme ne fait que changer de visage, que se décliner en ses infinies variantes. Se profile ainsi une caractéristique essentielle des institutions et du travail psychique dont elles sont le lieu : l’obligation de composer centralement avec la pulsion de mort.

Les professionnels se trouvent donc eux-mêmes dans la répétition, via leurs «objets», répétition dans laquelle l’inconscient insiste. C’est en ce sens que nous pouvons affirmer que dans ces métiers centrés sur «le soin, l’aide, l’accompagnement», la position professionnelle peut être lue comme le masque sous lequel le «Je» adresse son «compromis identificatoire» au social, compromis qui n’est autre que son symptôme plus ou moins souffrant.

‘«Si tout symptôme est un compromis passé entre le refoulé et l’action refoulante du Je qui, après un premier échec, tente d’amadouer ce re-venant et de remettre en état la barrière, qui le protégeait contre cette irruption, l’affect qui accompagne le symptôme et qui s’exprimera par cet ensemble de sentiments que nous nommons angoisse, dépression, persécution, dépersonnalisation, nous renvoie à la cause du compromis : le conflit identificatoire présent en l’espace du Je.»(P. Aulagnier 198777).’ ‘«Ces praticiens sont préoccupés eux-mêmes par leurs problèmes psychiques mal ou insuffisamment résolus. (...) Il est courant de constater que le thérapeute continue son propre travail d’exploration de la psyché dans la relation qu’il noue avec ses patients» (E. Enriquez 198778).’
Notes
75.

S. Freud (1909 b), Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans - Trad. franç. in: Cinq psychanalyses - Paris, Puf, 1954, p. 180.

76.

René Kaës (1987), Réalité psychique et souffrance dans les institutions - in Kaës et alii, L’institution et les institutions, Paris, Dunod, p. 44.

77.

Piera Aulagnier (1979), Les destins du plaisir - Paris, Puf, p. 19.

78.

Eugène Enriquez (1987), Le travail de la mort dans les institutions - in Kaës R. et alii - L’institution et les institutions - Paris, Dunod, p. 79.