B.1.2.2 «Personnalité professionnelle», «identité professionnelle» et «devenir des identifications»

B.1.2.2.1 La personnalité professionnelle -André Missenard

A. Missenard propose la notion de «personnalité professionnelle» en tant qu’assemblage identificatoire (idéaux professionnels et les images qui leur sont liées : les maîtres, les formateurs, les initiateurs, les «patrons»). Il formule l’idée que celle-ci se constitue à partir des désirs du sujet («désirs conscients et inconscients, fantasmes») et des «interdits liés à ces désirs» (A. Missenard 197689).

Nous devons à cet auteur d’avoir souligné l’idée que les règles requises ou imposées par l’exercice d’une profession peuvent être recherchées par le «Je» comme autant de limites externes. Ces limites sont censées le protéger dans la relation avec les objets qui constituent la visée de son désir, et dont la fréquentation est rendue possible au travers de ces positions professionnelles. Elles mettent ainsi le «Je» dans une «inquiétante proximité» avec les fantasmes qui sous-tendent les positions psychiques par lui occupées. Il y a lieu de se protéger de l’agir de ces fantasmes, à l’endroit où en une jouissance mortifère, le «Je», peut «s’y perdre». On aura à souligner dans la suite de notre propos que c’est cela même qui va occuper les moments initiaux de l’entrée dans une profession ; la liaison entre la mise en acte des motions pulsionnelles régressives et l’interdit lié à une telle réalisation, qui en limite la portée et permet d’en maintenir (pour partie) ouverte la visée.

‘«Qu’en est-il de la personnalité professionnelle ? Il s’agit d’un ensemble de systèmes psychiques articulés entre eux, reliés à l’ensemble de la personnalité tout en ayant leur autonomie de fonctionnement.’ ‘Ces systèmes comportent – l’ensemble des motivations désirs conscients et inconscients, des fantasmes qui sont sous-jacents à l’exercice et au choix du métier. – les interdits liés à ces désirs et souvent articulés aux règles d’exercice de la profession. – Les idéaux professionnels et les images qui leur sont liées (les maîtres, les formateurs, les initiateurs, les «patrons»). – l’objet désiré, c’est-à-dire l’objet du travail, l’objet créé, l’objet construit, l’objet soigné (le malade et le corps malade, par exemple, pour le médecin).»(A. Missenard 197690).’

A. Missenard fait donc de la recherche par le «Je» de l’interdit censé le protéger de ses parts pulsionnelles non liées et en danger de le déborder, un des soubassement du choix de la position professionnelle. Cette idée d’un recours du «Je» aux interdits extérieurs que sont les interdits professionnels et groupaux, nous apparaît comme féconde. Cet auteur souligne la relation que la position professionnelle suppose entre le désir et la limite posée à ce même désir par le groupe professionnel, par les normes inhérentes à un exercice particulier. Sous le terme de normes, comprenons tout à la fois les contraintes matérielles, opératoires, inhérentes à un exercice particulier, tout autant que les règles et les exigences éthiques et déontologiques dont se dote chacune des professions du soin et du travail social.

La conception de A. Missenard d’une «personnalité professionnelle» nous paraît toutefois fort discutable. Elle implique d’entériner une division, voire un clivage entre un sujet «social» et un sujet «privé», qui nous apparaît comme superflue (même si, bien entendu, on peut en rencontrer des figures, qui se présentent alors dans l’ordre du symptôme). Spécifier une personnalité professionnelle comme «‘un ensemble de systèmes psychiques articulés entre eux, reliés à l’ensemble de la personnalité tout en ayant leur autonomie de fonctionnement’  » nous paraît octroyer à ces identifications une autonomie que nous récusons. Ce cadrage d’A. Missenard ne rend pas compte de l’importance des enjeux identitaires et des étayages que nous voyons s’y déployer : entre satisfactions pulsionnelles, processus sublimatoire, processus identifiants (filiations et affiliations). En ce sens la scène professionnelle est une sphère d’activité où le «Je» joue sa demande identificatoire (P. Aulagnier) et ses identifications parmi l’ensemble des scènes sur lesquelles il déploie son existence et déplace son manque à être.

Les appareillages inter et trans-subjectifs auxquels les rencontres des différents «usagers» donnent lieu ne permettent pas de penser une autonomie de la sphère professionnelle.

Notes
89.

André Missenard (1976), Formation de la personnalité professionnelle - in Connexion n° 17, p. 116.

90.

André Missenard (1976), op. cit., p. 116.