La notion de «spectre d’identité» proposée par Michel de M’Uzan (1974) nous donne à entendre le flux incessant de la libido, en son déplacement entre «Moi» et «non-Moi», plus conforme à l’entendement freudien, et plus à même de rendre compte de notre propre compréhension. L’identité ne saurait être que lacunaire, non définissable hors du lien à ses «objets».
‘«De son côté, le Moi, en partie perdu dans l’image des objets qu’il investit, ne peut pas non plus accéder à une pleine identité. Entre les deux ordres, celui du Moi et celui du non-Moi, il n’y a pas à proprement parler de frontière, mais une espèce d’espace transitionnel. Si «je» n’est pas dans le Moi, il n’est pas non plus entièrement dans l’autre mais réparti tout au long des franges d’un spectre, disons d’un spectre d’identité, défini par l’ensemble des positions dont la libido narcissique est susceptible ; ou plus précisément par les lieux et les quantités où s’investit la libido narcissique, depuis un pôle interne jusqu’à un pôle externe qui coïncide avec l’image de l’autre.»’M. de M’Uzan mentionne plus loin :
‘«Ce n’est pas la quantité de libido objectale investie dans le monde extérieur qui confère aux choses leur allure familière, mais la part de libido narcissique retenue en elles pour y investir le «je» en extra-territorialité, comme un avant poste du sujet.»’ ‘«Si «je» n’est pas exactement un autre (...), il a néanmoins la remarquable propriété d’errer sans se perdre à mi-chemin du dehors et du dedans.» (M. de M’Uzan 197491).’Un des aspects qui différencie les principaux champs où le «Je» joue ses investissements : champ amoureux, familial, et champ professionnel, ..., c’est que le «dehors» du champ professionnel est un «dehors plus aisément teinté pour le «Je» d’une extériorité conférée à/par la dimension sociale. Lorsqu’il va quérir une place du côté de la scène sociale, le «Je» doit s’extraire de son premier champ familial d’appartenance, ce qui donne «par nature» au champ du professionnel une extériorité que ne saurait avoir le champ «amoureux». Celui-ci est en effet confondu avec la constitution même du «Je» dans sa rencontre avec «l’autre maternel» (et ses autres). Procédant en droite ligne de cette rencontre ce champ se présente ainsi comme un «dehors» qui ne saurait être que plus «dedans», convoquant l’intime, et ses fondements archaïques en sa nature même. Les propos de M. de M’Uzan corrèlent toutefois les différentes positions psychiques occupées par le «Je» entre «Moi» et «non-Moi», et leur incessant déplacement entre dedans et dehors, - autre manière de souligner l’intrication entre narcissisme et libido objectale. Ainsi au-delà de leur mode de structuration initiaux, aucune scène, aucun de ces champs ne saurait prétendre à une autonomie, ou revendiquer une quelconque extériorité établie.
Michel de M’Uzan (1974) S.j.e.m. - in De l’art à la mort, Paris, Tél Gallimard, 1977, p. 162-163.