B.1.2.2.6 «L’identité professionnelle» et l’image idéale - Luc Ridel

Là où A. Missenard parle de «personnalité professionnelle», Luc Ridel (1996), s’intéressant à cette même construction désigne ce lieu d’actualisation du sujet du terme d’«identité professionnelle». Cet auteur envisage cette identité professionnelle dans une perspective proche de celle du Freud de 1908, en tant que «‘construction défensive, de l’ordre du contra-phobique ou de la sublimation »’. «‘Ainsi l’identité professionnelle au regard de l’identité individuelle qu’elle prolonge, se situe-t-elle tout autant dans la rupture, la reprise et la mutation’ . 98 »

‘«L’identité professionnelle se présente (...) à nous comme un objet psychosocial. Elle articule le pulsionnel qui renvoie à l’histoire d’un sujet, avec ses particularités et son irréductibilité, à ses identifications et intériorisations, à ses étayages multiples et successifs... Elle révèle également la capacité du sujet à capter dans son environnement les objets/sujets qui constitueront des références et des modèles pour dialectiser les contradictions par lesquelles il se sent habité et menacé.»’ ‘«(...) L’identité et la compétence professionnelle se développent sur le lieu même de nos fragilités. Ce qui est repérable comme compétence correspond à la nécessité personnelle, consécutive à des manques ou à des peurs archaïques, de faire bénéficier les autres de ce dont nous avons besoin.» (L. Ridel 199699).’

Cet auteur met donc lui aussi l’accent sur le champ social dans sa fonction potentielle de créateur d’écarts, et de facilitateur d’une appropriation subjectivante pour le «Je» ; ceci dans la mesure où les affiliations professionnelles se présentent comme des alternatives face aux filiations100, aux appartenances familiales et à leurs aspects constituants du «Je». L’identification professionnelle occupe ainsi une fonction potentiellement tierce en ce qu’elle permet au»Je» de «dialectiser les contradictions» qui l’habitent. On a donc affaire aux mouvements de réparations interne/externe : «‘la nécessité personnelle de faire bénéficier les autres de ce dont nous avons besoin’».

Ces propos font échos à ceux de J. Barus-Michel (1991101) : «‘l’identité se construit essentiellement dans le pouvoir et la reconnaissance obtenue dans le travail’.», et évoquent l’approche hégélienne d’E. Enriquez (1983) qui n’a eu de cesse de revenir sur cette quête de reconnaissance par «Je» ; son besoin de «‘reconnaissance de son désir, et son désir de reconnaissance’». Le «Je» s’efforce au travers de l’image sociale que lui fournit la profession, de rejoindre une image idéalisée de lui-même, héritière de celles qu’avait façonnées son précurseur le «moi idéal ».

Dans la perspective d’une composante idéalisante jouée par le «Je» dans la position professionnelle, l’approche freudienne autour de l’investissement de «l’objet» (amoureux) est largement transposable aux objets professionnels, où peuvent advenir de véritables translations pathologiques, - nous retrouvons cette même perspective dans les propos de L. Ridel.

‘«Si l’identification enrichit la personnalité par les apports successifs qu’elle permet, le même processus identificatoire, poussé à son paroxysme, par lequel l’objet est mis à la place du Moi ou de l’Idéal du moi, a également pour effet de l’affaiblir. C’est souvent ce qui se passe dans le rapport de l’individu à son organisation, ceci conduisant à ce que l’on peut appeler des pathologies de l’idéalité.» (L. Ridel 1996102).’

Le «Je» peut en effet se configurer dans le lien avec ses «objets» dans des positions d’aliénation, jusqu’à cette position où «l’objet (est) mis à la place de l’idéal du moi», «l’objet (ayant) pour ainsi dire absorbé le moi.» (Freud 1921103). Les institutions sont coutumières de telles configurations aliénantes notamment dans le lien aux figures d’autorité, et spécifiquement dans le lien aux fondateurs104. Avec le texte de 1921 «Psychologie des foules et analyse du Moi» Freud s’essaie à penser la construction sociale à partir de la configuration de la psyché individuelle, et c’est dans une telle perspective qu’il fait de l’identification, - notamment de l’identification au «Chef», au meneur (et des mouvements de la libido qui lui sont associés), - une des articulations clefs, entre individu, corps groupal et corps social.

‘«L’objet est traité comme le moi propre, (...) dans l’état amoureux une certaine quantité de libido narcissique se trouve transférée sur l’objet. Dans maintes formes de choix amoureux, il devient même évident que l’objet sert à remplacer un idéal du moi propre, non atteint. On l’aime à cause des perfections auxquelles on a aspiré pour le moi propre et qu’on voudrait maintenant se procurer par ce détour pour satisfaire son narcissisme.» (S. Freud 1921105).’

Dans la mesure où le «Je» se constitue dans ses liens et ne de cesse se déplacer dans le mouvement même de la libido, entre les deux pôles spécifiés par Freud en leur extrême, comme : le moi mis à la place de «l’objet», et «l’objet» mis à la place du moi 106, (de l’idéaldu moi). L»objet» est donc aussi rencontré sur la scène sociale et sur la scène professionnelle.

Notes
98.

Luc Ridel (1996), L’identité professionnelle comme objet clinique - in Psychologie Clinique (Nouvelle série) N° 1 Clinique(s) Tensions et Filiations, L’Harmattan, p. 79.

99.

Luc Ridel (1996), op. cit., p. 78.

100.

Cet aspect a été souligné par R. Kaës (1985), Filiation et affiliationnotion affiliation notion affiliation notion affiliation notion affiliation notion affiliation notion affiliation notion affiliation notion affiliation . Quelques aspects de la réélaboration du roman familialnotion romanfamilial notion romanfamilial notion romanfamilial notion romanfamilial notion romanfamilial notion romanfamilial notion romanfamilial notion romanfamilial dans les familles adoptives, les groupes et les institutions. - in Gruppo, 1, p. 23-46. Nous verrons ce processus à l’oeuvre lorsque nous examinerons les processus d’affiliations professionnels d’une part, et la généalogienotion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie notion généalogie institutionnelle d’autre part.

101.

Jacqueline Barus-Michel (1991), Relations de pouvoir et scénarios de crise - in Revue de Psychologie Clinique 91 n°5 p 56. // J. Barus-Michel (1994), Unités sociales, unités signifiantes - in Revue internationale de psychosociologie Vol. I n°1 - Éditions Eska Paris.

102.

Luc Ridel (1996) op. cit., p. 75.

103.

«Simultanément à cet «abandon» du moi à l’objet (...), les fonctions imparties à l’idéalnotion idéal notion idéal notion idéal notion idéal notion idéal notion idéal notion idéal notion idéal du moi sont totalement défaillantes. La critique exercée par cette instance se tait ; tout ce que fait et exige l’objet est bon et irréprochable. (...) Toute la situation se laisse résumer intégralement en une formule : l’objet s’est mis à la place de l’idéal du moi.». Freud (1921), Psychologie des foules et analyse du Moi - in Essais de psychanalyse, Trad. franç. Paris, Éditions Payot, 1981, p. 178.

104.

Nous reviendrons sur ce point dans notre deuxième partie.

105.

Freud (1921), op. cit., p. 177.

106.

Michel de M’Uzan (1969), parle d’une «disposition chez le sujet à permuter topiquement sa place avec celle de l’objet.». Il en fait alors une des caractéristique de cette reproduction à l’identique, dans lequel le travail d’élaborationnotion élaboration notion élaboration notion élaboration notion élaboration notion élaboration notion élaboration notion élaboration notion élaboration n’a pas cours (M. de M’Uzan 1969, Le même et l’identique - in : De l’art à la mort, (1977), Paris, Tél Gallimard, p. 89).