B.2.1.2 Laure : «Rester disponible pour la mère»

Laure est l’aînée d’une fratrie de trois filles. Sa soeur cadette n’a que 12 mois d’écart avec elle, la suivante 5 ans. Ses deux soeurs ont des enfants ; la benjamine (désignée comme celle avec laquelle se vit une violente rivalité) a elle–même trois enfants. Laure décrit sa propre famille comme issue de deux lignées grand parentales «antinomiques» dans l’ensemble de leurs composantes : nationalités d’origine, conditions sociales, ... Elle a précédemment suivi une psychanalyse durant quelques années, suite à une première rupture d’avec un premier partenaire, puis une thérapie lors d’une deuxième séparation d’avec un deuxième partenaire. Durant les entretiens, elle tente d’interpréter au plus tôt les mouvements qui agissent le couple, en une urgente demande de réassurance. Elle se trouve en effet devoir faire face à des montées d’angoisses qu’elle étiquette comme des «angoisses d’abandon». À l’occasion du contact téléphonique initial, parmi ses premiers mots, elle énoncera des propos témoignant d’une culture «psy» appelée à la rescousse face au vacillement : «‘les mécanismes de défenses du couple s’effondrent’», ... À l’occasion du premier entretien, elle aura recours à une interprétation d’elle-même concernant son rapport à la maternité et à son «désir d’enfant». Elle énoncera une explication selon un registre «d’évidence» : si elle n’a pas eu d’enfants, cela est la conséquence de son désir de «rester disponible pour sa mère». Elle dira en clair «‘ne pas avoir (eu) d’enfant (et de désir d’enfant) pour continuer à soutenir sa mère’ .».

Laure évoquera alors l’image d’une mère alternant phases dépressives et mises en scènes dramatiques. Il est ainsi fait état de dramatisations suicidaires jouées par cette mère devant ses filles, ou de scènes publiques au cours desquelles cette femme étale de façon outrancière sa vie intime devant les voisins (effaçant toute frontière, balayant toute «retenue» qui viendrait faire bord, marquer une limite entre la famille et son voisinage, entre son dedans et son dehors). Cette mère aurait «mis le père hors-jeu» dans sa relation avec les filles et dans leur éducation. Dans une des séquences relatées, Laure décrit sa mère prenant ostensiblement un couteau de cuisine et montant s’enfermer dans sa chambre. Les trois filles viennent alors tambouriner à sa porte, jusqu’à faire céder cette dramatisation mortifère. On peut supposer que la position d’aînée, a mis Laure en position d’imaginaire responsabilité des gestes de sa mère, et de la sécurité de ses soeurs. Curieusement cette mère ne sera jamais soignée en établissement spécialisé, n’ayant effectué que de rares séjours en maison de repos.

De son père, elle dira l’absence. Elle fera pourtant mention de deux épisodes dans lesquels elle se bat avec le père : dans un premier souvenir, étant à «bonne école», elle a simulé un épisode de folie afin de pouvoir «le toucher», le «contacter». C’est dans la violence du corps à corps en se tenant au plus proche d’une identification au dérèglement maternel qu’est agi l’appel au père, au risque de s’y perdre. Laure témoignera avoir pu échanger avec ce père, et s’être réconcilié avec lui, plusieurs années plus tard, lorsqu’elle-même était partie du domicile familial et se trouvait en couple.