B.3.1.1 Les «professions de la relation», l’archaïque et le travail psychique requis

De par leurs «objets» et la place sociale occupée, les professions du soin, du travail social127, se trouvent en effet psychiquement exposées, puisque ayant à faire avec des mouvements où oeuvrent de façon intense tricotages et détricotages pulsionnels, constructions et attaques des liens ... Ces mouvements les configurent ainsi au plus près de «l’archaïque ».

Dans le soin par exemple, un des apprentissages majeurs consiste à apprendre à se protéger de la violence des situations et des emplacements fantasmatiques qui se trouvent convoqués (entre satisfactions pulsionnelles, jouissances et idéalisations), de manière à ne pas être par trop effracté, débordé, dans son corps ou/et dans son psychisme, au contact des patients, et de leurs symptômes. Dans les professions du social, à l’identique, il y a lieu de faire face à des rencontres particulièrement violentes avec ces sujets que l’on désigne sous les termes de «délinquants», de «cas sociaux», ou avec celles que propose le monde du handicap, .... Dans le registre de l’enseignement et de la formation, l’endiguement attendu concerne les débordements liés aux phénomènes de groupes (groupes d’enfants, d’adolescents ou d’adultes) et le travail requis de socialisation et de mise en place du refoulement.

Pour ce faire, la formation va devoir se construire sur deux registres : celui explicite, et largement conscient de la mise en oeuvre de «savoirs» (conceptuels), d’une pragmatique (d’un «savoir faire» ou un «savoir faire faire»), et de modalités relationnelles (les «savoirs être avec» spécifiques), mais également sur le registre du «négatif», dans la mise en place de renoncements, de refoulements, d’alliances, de contrats narcissiques (P. Aulagnier 1975) et de pactes dénégatifs (R. Kaës 1992). Nous allons porter notre attention sur la construction des liens sur le versant obscur des identifications professionnelles. Dans le temps de la formation, le registre du «négatif» n’est pas encore totalement enclos dans le silence des fonctionnements ultérieurs ; il bruisse de l’ensemble des déplacements qui concourent à sa constitution. Ce temps permet ainsi de voir la mise en oeuvre des assignations professionnelles et institutionnelles, leurs constituants, et leurs effets dynamiques pour les sujets.

Le «nouveau venu» va prendre place dans différents groupes : au sein des écoles, de même que sur les terrains de pratiques. Il va être invité à partager la vie psychique de ces différents groupes ; ce que les professionnels ont «déposé» (à leur insu), d’une part dans les liens qui les unissent entre-eux et ceux qui les unissent à l’objet de leur attention, et d’autre part au travers de l’organisation formelle et de l’ensemble des éléments qui constituent le cadre de l’activité. Ce qui est requis du «postulant» c’est qu’il adhère à l’organisation psychique partagée par le groupe d’accueil. Les configurations psychiques que lui-même développe à l’égard de l’objet (le soin, l’éducation, ...) vont devoir se rendre compatibles avec celles que les différentes personnes du groupe développent à l’égard de leurs professions et de leurs secteurs particuliers.

On peut ainsi considérer toute profession, sur le versant psychique, comme proposant et réalisant une activité sublimatoire : la visée professionnelle affichée, conjointement à l’accès à une certaine «jouissance» : celle relative aux configurations inconscientes qui se trouvent activées à l’occasion de ces rencontres. Une mise en place de défenses contre les excès de ces mêmes positions doit donc être établie par les différents groupes, parties prenantes du parcours de professionnalisation : enseignants (des divers instituts de formations) et professionnels de terrain.

Notes
127.

Il faudrait rajouter à ces deux champs, celui de l’enseignement qui se trouve apparenté aux précédents et parfois en procède du côté des institutions de formation des professions du soin et du travail social..