B.3.2.2 L’identification héroïque

Un des ressorts de ces mises en scènes réside dans la bascule qui va opérer pour le postulant, à partir d’une identification héroïque. Le seul fait d’avoir survécu psychiquement, aux rencontres traumatiques proposées par le groupe, autorise une identification à la position de professionnel, et partant au groupe de ceux qui ont traversé l’épreuve, de ceux qui partagent ces expériences et ces éprouvés «exceptionnels».

Pour illustrer plus finement ces configurations, nous allons (dans le chapitre suivant) avoir recours à la littérature, et nous pencher sur un ouvrage de l’écrivain contemporain Annie Ernaux. Un de ses textes récents s’intitule «L’événement 131  ». Il relate une expérience autobiographique, dans lequel le nouage entre éprouvés traumatiques et assimilation à une position héroïque est clairement dessiné. Dans ce texte se donne également à lire le mouvement de revendication identitaire à l’endroit même du traumatisme, point qui va également nous occuper pour saisir au mieux les mouvements d’arrimages professionnels, et leurs implications dans les phénomènes de déliaisons institutionnelles.

Nous ferons également référence (bien que plus succinctement) au court texte de Freud de 1936 «Un trouble du souvenir sur l’Acropole», qui témoigne lui-aussi d’un tel mouvement de revendication héroïque.

Les «glaciations» qui résultent des expériences traversées lors de l’arrivée dans «les professions de la relation» mettent littéralement au silence une part du «Je». Le mouvement psychique, par lequel celui-ci vient coller à la figure du héros corrélativement à la capacité de «survivre» à la traversé des épreuves, configure des dépôts et des cryptes au sein du groupe – «Survivre» dans le champ professionnel équivaut à ne pas quitter la scène, à faire en sorte que les identifications professionnelles ne soient pas désarrimées de l’ensemble des repères identificatoires au travers desquels le «Je» maintient sa cohérence. Les pans du psychisme qui ont été l’objet de glaciations, d’anesthésies, se constituent alors comme des noeuds d’arrimage pour l’identification professionnelle. Le «Je» assimile son changement identitaire à ces éprouvés ; simultanément la sensation se fait emblématique du contrat identificatoire, de son affiliation au groupe. À défaut de triomphe, les blessures et les souffrances endurées, deviennent la preuve, indubitable, du statut héroïque du sujet.

Notes
131.

Annie Ernaux (2000), L’événement - Paris, Gallimard, 154 p.